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«On a vu qu’il était possible d’agir pour le climat»

Covid-19 et confinement ont au moins aidé à une prise de conscience quant à l’impact de nos activités sur l’environnement. Chercheur au Centre interdisciplinaire de durabilité de l’Université de Lausanne, Augustin Fragnière évoque les enseignements à tirer de la gestion de la crise.

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Augustin Fragnière, chercheur en durabilité à l'Université de Lausanne. Eddy Mottaz / Le Temps

- Qu’avez-vous pensé de l’emballement autour des images d’animaux sauvages dans les zones urbaines, comme si la nature reprenait ses droits?
- Augustin Fragnière: Ces images ont fait plaisir, nous avons envie d’y croire. Mais je crains que cela ne dure pas. Par contre, elles peuvent permettre une prise de conscience qui est nécessaire pour agir sur le long terme.

- Au-delà de la meilleure qualité de l’air pendant le confinement, notamment grâce à la réduction du dioxyde d’azote, les émissions de CO2, qui ont un impact direct sur le réchauffement climatique, ont elles aussi baissé. Cela vous a-t-il réjoui?
- Au plus fort du confinement, début avril, les émissions mondiales de CO2 ont baissé d’environ 17%. Sur toute l’année 2020, la baisse sera de 4 à 7%. Cela est bon à prendre, mais, comme je l’ai dit sur mon blog du Temps «Une seule Terre», cela reste anecdotique par rapport à ce qu’il faudrait faire pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris. On ne peut pas dire que le Covid-19 a été bon pour le climat, mais il peut aider à nous faire réaliser à quel point notre activité a un impact sur l’environnement. L’opportunité est là, mais ce n’est de loin pas certain qu’elle va être saisie. Au contraire.

- Pourquoi?
- Les crises économiques sont généralement suivies d’une forte remontée des émissions. Par ailleurs, rappelons que la pandémie sert, dans certains pays, de prétexte pour relâcher les efforts en cours, avec l’argument qu’il fallait aider les entreprises. Cela a été très frappant aux Etats-Unis, avec une dérégulation massive des normes antipollution. C’est bien sûr très frustrant.

- Vous avez également écrit: «L’anticipation est le grand enseignement du Covid-19. La crise du coronavirus montre clairement que les démocraties sont prêtes à prendre des mesures extrêmement vigoureuses lorsque la protection de leur population est en jeu.» La preuve, selon vous, qu’il est possible d’agir?
- Nous avons effectivement eu la démonstration éclatante que c’était possible. On a souvent entendu cet argument selon lequel agir pour le climat était trop compliqué, que les politiques n’avaient pas assez de pouvoir. Or, on l’a vu avec la pandémie, les gouvernements ont le pouvoir de changer radicalement les choses lorsque c’est nécessaire. Ils ont agi pour protéger les plus vulnérables. La question de l’anticipation, d’une action stratégique est cruciale. Agir avant que la pandémie ne fasse des ravages, avant que la mer ne monte et que les glaciers ne fondent: c’est la même chose. La différence est dans la temporalité. Avec le virus, il est question de semaines; avec le réchauffement, on parle d’années, voire de décennies, mais il y a urgence quand même.

- Faudrait-il imposer des règles plus strictes? Forcer la population à modifier ses comportements?
- Il faut suivre le processus démocratique, avec un soutien fort et massif de la population. Mais les autorités ont le devoir de proposer des mesures adéquates. Un certain nombre de règles contraignantes seront assurément nécessaires, mais nous n’avons bien heureusement pas besoin de confiner tout le monde à la maison pour lutter contre le changement climatique.

- Il y a déjà dix ans, vous dénonciez les mécanismes de compensation carbone – à ne pas confondre avec la taxe carbone. Aujourd’hui, vous n’y croyez toujours pas?
- Non, l’idée d’acheter des certificats correspondant à des réductions d’émissions effectuées ailleurs et de faire comme si nous avions réduit nos propres émissions ne tient pas la route. Il s’agit d’un artifice comptable contre-productif, surtout dans un contexte où l’ensemble des émissions mondiales, y compris les nôtres, va devoir être ramené à zéro.

- En Suisse, le vote par le parlement d’une aide à l’aviation à hauteur de 1,2 milliard de francs, sans contrepartie, vous a-t-il surpris?
- Surpris, non. Déçu, oui. D’autant que les sommes allouées à la relance économique pourraient financer plusieurs années de transition énergétique, par exemple par le financement d’un programme massif de réduction de la consommation d’énergie et de promotion des énergies renouvelables. Encore une fois, c’est le rôle et le devoir des pays développés de montrer qu’on peut décarboner nos économies.

- On a vu surgir de nombreuses polémiques autour des propos de scientifiques, qui ont été beaucoup remis en question. Cela pourrait-il remettre en cause les données sur le réchauffement climatique?
- Beaucoup de «fake news» ont circulé, et le doute a été jeté sur les données scientifiques, ce qui n’est pas particulièrement nouveau. En ce qui concerne la réalité du réchauffement, le constat scientifique ne souffre d’aucune ambiguïté et la menace est claire. Tout comme il est clair que la destruction des habitats naturels et la chute de la biodiversité ont pour conséquence une recrudescence de nouveaux pathogènes.

- Comment expliquer que cette urgence continue à ne pas être suffisamment prise au sérieux?
- Un virus, c’est proche de nous, ça rôde dans les parages. Cela rend le danger beaucoup plus concret qu’un changement climatique qui nous semble lointain. Et ce, malgré les ouragans, les vagues de chaleur en augmentation, la montée des océans à un point tel que certaines parties de la planète deviennent invivables. Je pense, malheureusement, que les hommes ne prennent la mesure du danger que s’ils y sont directement confrontés. Faudra-t-il que nous passions par des méga-cyclones, des vagues de chaleur meurtrières? Ce serait dramatique. Que les plus vulnérables soient touchés de plein fouet dans cinquante ou cent ans ne change rien à l’ampleur du problème. Mais avec le réchauffement climatique, il y a sans doute une forme de distance émotionnelle qui brouille notre sens moral. Mais si on y regarde de plus près, le danger est tout aussi grand.

- La pandémie a-t-elle porté un coup fatal aux mouvements pour le climat qui avaient pris de l’ampleur au tournant de l’année?
- Avec l’été et les vagues de chaleur qui arrivent, le climat va se rappeler à nous assez rapidement. En ce qui concerne l’actualité politique, c’est plus compliqué pour les mouvements de protection du climat, les négociations ayant été reportées. Cela représente une perte de temps précieux.

- Difficile d’être optimiste…
- Nous avons déjà beaucoup trop tardé. Voyez les incendies en Australie en début d’année, les invasions massives de criquets aidées par les cyclones et les fortes précipitations en Afrique de l’Est, la montée de la mer au Bangladesh qui fait de millions de personnes des réfugiés climatiques… Une partie de la biodiversité est déjà perdue. La situation ne va qu’empirer. C’est pour cela qu’une coopération internationale est indispensable. Mais je refuse de m’avouer vaincu. Il n’est pas trop tard pour limiter les dégâts. Nous devons tous retrousser nos manches.

- La semaine dernière, le National a décidé d’augmenter à 75% la part de réduction de gaz à effet pour la Suisse. C’est encourageant, non?
- C’est encourageant que le niveau d’ambition augmente et que l’on se dote d’instruments comme les taxes pour y parvenir. Mais je maintiens que fonder 25% de notre objectif sur des réductions à l’étranger n’a aucun sens. Les émissions de CO2 vont devoir disparaître partout d’ici à 2050. Il faudra donc bien réduire également ces 25% restants chez nous aussi!


Par Albertine Bourget publié le 21 juin 2020 - 11:20, modifié 18 janvier 2021 - 21:11