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«On a tout fait pour sauver nos enfants»

Les pères de deux jeunes Alsaciens décédés dans l’avalanche du vallon d’Arbi témoignent. Ils ne tiennent pas à polémiquer sur les coûts de recherche qui leur sont facturés, mais soulignent le professionnalisme des secours et la qualité du soutien moral reçu par leurs familles en Valais.

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Sixième et dernière journée de recherche, le 21 mars. Les deux chiens spécialisés dans la recherche de corps mis à disposition par la gendarmerie vaudoise ne localiseront pas la dernière des quatre victimes. Jean-Guy Python

Cinq jours après l’avalanche, mercredi 21 mars, le soleil était de retour sur le vallon d’Arbi. Mais aucun skieur ne pouvait en profiter.

L’itinéraire balisé restait fermé pour cause de recherches. Des recherches sur le point de s’arrêter. Trois des quatre victimes avaient été retrouvées. Le corps du dernier disparu, un skieur vaudois de 57 ans, restait encore introuvable ce lundi. Pour assurer ces dernières heures de triste quête ressemblant à un chantier où des milliers de tonnes de neige avaient déjà été déplacées, une dameuse de Téléverbier multipliait les allers-retours avec sa lame. Deux policiers valaisans du groupe montagne et deux chiens de recherche de corps de la gendarmerie vaudoise et leurs maîtres-chiens sillonnaient ces masses dont seulement 20% environ avaient été déplacés par les ratraks. Et un gendarme était posté en amont, au lac des Vaux, pour interdire tout accès au vallon.

La période d’urgence, c’est-à-dire celle de sauvetage proprement dit, était passée depuis quatre jours déjà. Ce genre d’avalanche, massive, composée d’un mélange de neige lourde, de terre, de pierres et même d’arbres, ne pardonne pas. Les deux rescapés extraits juste après l’avalanche ont eu une chance inouïe.

Tous les moyens possibles avaient été engagés dès l’alerte lancée, vendredi peu avant 15 heures. Mais en arrivant sur place, les secouristes les plus chevronnés ont compris que les disparus étaient probablement condamnés. Ils se sont pourtant acharnés jusqu’à 3 heures du matin malgré les sondes qui se brisaient dans la neige compacte et dans une épaisseur de plus de 6 mètres.

«A mesure que les heures passent, il faut faire l’analyse de la situation. L’espoir, les risques, et bien d’autres paramètres…» explique Stève Léger, porte-parole de la police valaisanne. Et dès le lendemain, les différents acteurs, police, organisation cantonale du sauvetage, ont dû se résoudre à passer, en accord avec les familles, à la deuxième phase, celle de la recherche des corps. Un moment charnière très pénible pour celles-ci, qui doivent admettre qu’il n’y a plus d’espoir et qui apprennent aussi que les frais de cette recherche, contrairement aux opérations de sauvetage, leur seront facturés. Des dizaines de milliers de francs. Comment vit-on ce qui peut apparaître comme une double peine quand on est un proche de ces disparus?

Contactés par téléphone, le lendemain des obsèques communes, à Mulhouse, de leurs fils, les pères des deux plus jeunes victimes ont accepté de témoigner. Jean-George Gaide a perdu son fils Axel, 20 ans, dans l’avalanche. Son corps a été retrouvé en premier, durant la nuit du 16 au 17 mars. Ce père en deuil ne compte pas pour autant polémiquer: «Certes, en France, de telles recherches ne seraient pas facturées aux familles. Mais nous respectons le fait que chaque pays ait ses règles propres. C’est comme ça et nous devons faire face. Je tiens surtout à remercier l’organisation des secours, qui a fait absolument tout ce qui était possible pour retrouver nos enfants.» Cette famille a failli perdre deux frères dans la tragédie. Arnaud, le frère d’Axel, est en effet le seul rescapé des quatre Alsaciens. «Arnaud m’a dit qu’il était en train d’accélérer pour dépasser une snowboardeuse au sortir de la forêt. Il estime qu’il skiait à une quarantaine de kilomètres/heure quand il a ressenti comme un coup qu’on lui assénait derrière la tête. Il était en fait emporté par l’avalanche. Il s’est efforcé de surnager et s’est retrouvé à l’arrêt avec sa tête qui dépassait de la masse neigeuse.»

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De la peinture phosphorescente et des fanions indiquent les endroits où ont été retrouvés des victimes ou des éléments d’équipement (crédit Jean-Guy Python). Jean-Guy Python

Le deuil d’abord

Victime d’une double fracture tibia-péroné, le jeune homme a été opéré à l’hôpital de Sion, lieu de retrouvailles d’une tristesse indicible entre le père et le fils, qui savait qu’il avait perdu son frère. «Arnaud a eu besoin de deux heures avant de pouvoir prononcer des mots, se souvient Jean-George Gaide, très ému. Je remercie le personnel soignant qui a été d’un très grand soutien. Et les médecins qui ont examiné mon fils ici, à Mulhouse, à son retour, m’ont dit que l’opération qu’il a subie à sa jambe était un modèle du genre.»

De son côté, Jean-Marie Brice a perdu son fils Jordan, 25 ans, dans l’avalanche. Les équipes de recherche ont retrouvé le corps du jeune homme le samedi matin. Ce gendarme de Mulhouse tient lui aussi à saluer le fait que tout a été tenté pour sauver les skieurs ensevelis. L’aspect financier est secondaire pour lui aussi. Il ne sait pas encore combien lui coûteront les recherches et quelle part pourrait être prise en charge par l’assurance de son fils. Mais dans l’immédiat, il s’agit pour les trois familles du Haut-Rhin de rassembler leur courage, de faire le deuil. «C’est moi qui avais organisé ce séjour, précise-t-il. Je ne peux pas m’empêcher de me sentir en partie responsable de ce qui est arrivé.»

Détail cruel, cette descente fatale du vallon d’Arbi devait être la toute dernière du séjour en Valais de ces Français, amoureux fidèles des Alpes valaisannes depuis dix-huit ans. Les Alsaciens allaient repartir tous ensemble dans le Haut-Rhin. Après une dizaine de séjours annuels à Anzère, ils louaient cet hiver, pour la septième fois, le même chalet à La Tzoumaz à ses propriétaires belges. «Nous adorions cette vallée magnifique. L’ambiance au chalet était excellente, avec une moitié d’adultes et une moitié de jeunes. Il suffisait de sortir du chalet pour chausser les skis.» Mais aujourd’hui, il faut parler à l’imparfait de cette semaine rituelle, familiale, fraternelle, amicale et transgénérationnelle qui a aussi viré au drame pour une troisième famille alsacienne, celle d’Alexandre Gesegnet, 32 ans, qui avait été intégré pour la première fois à la joyeuse équipe et dont la dépouille a été retrouvée la veille de notre reportage sur place, le mardi 20 mars.

Les deux pères dans le deuil tiennent enfin à faire savoir qu’ils ne sont pour rien dans la collecte sur internet qui réunit des fonds pour financer tout ou partie des frais de recherche. Ils remercient simplement les organisateurs, des amis de Jordan, pour avoir organisé spontanément ce coup de pouce qui atteint près de 40 000 euros. «Nous ne demandons la charité à personne», précise Jean-Marie Brice.

Les deux pères se posent quand même des questions sur la sécurité du freeride dans le domaine des 4 Vallées. Leurs enfants étaient d’excellents skieurs et connaissaient comme leur poche ce vallon d’Arbi qu’ils dévalaient pour la septième année consécutive. Jean-George Gaide se demande notamment s’il ne faudrait pas «prendre des mesures plus strictes pour que ce vallon ne devienne pas un cimetière. Tout le monde skie un peu partout dans ce vallon.» Mais ce gendarme a conscience des difficultés pour canaliser les enthousiasmes sportifs: «Je sais bien aussi qu’il est impossible de mettre des barrières partout, dans un tel espace, pour empêcher les skieurs de s’éloigner d’un itinéraire balisé.»

Nous quittons le vallon d’Arbi en sachant que les recherches du dernier disparu vont se terminer, en accord avec la famille du Vaudois. «Mais nous n’abandonnons jamais», tient à préciser le porte-parole de la police valaisanne, Stève Léger. Les guides, les pilotes d’hélicoptère, tous les professionnels qui passeront au cours de l’année jetteront un coup d’œil attentif sur l’éboulement pour tenter d’apercevoir un indice permettant de rendre le corps à ses proches.

Par Clot Philippe publié le 26 mars 2018 - 17:17, modifié 18 mai 2018 - 15:20