«Le spectacle est époustouflant!» s’émerveille Chris Blaser. Toujours en quête de beauté cachée, le photographe vaudois a parcouru durant plusieurs jours les rives de la rivière franco-suisse, des Hôpitaux-Neufs au Saut du Doubs, et en a ramené des images dont l’étrangeté dit bien le caractère exceptionnel de la sécheresse qui nous assiège depuis la mi-juin.
Mijotant sous des températures caniculaires, sans la moindre averse digne de ce nom pour l’abreuver, le Doubs a disparu sur 15 kilomètres entre Morteau et Pontarlier et n’a laissé qu’alluvions et rochers des Brenets au Saut du Doubs, où l’on n’avait, paraît-il, rien vu de tel depuis 1906! De quoi faire le buzz et déplacer des foules de curieux de part et d’autre de la frontière: début novembre, c’est à pied et en famille qu’on défilait dans les gorges d’Entre-Roches, en marquant son passage par l’édification d’un énième cairn.
En France voisine, on tire la langue
Comme l’a souligné un journaliste de L’Est républicain, auteur de l’un des innombrables articles engendrés par ce phénomène, «si seulement les conversations sur la sécheresse pouvaient alimenter les bassins du Doubs en eau, le problème serait réglé».
Ou, plutôt, les problèmes! Car la sécheresse du Doubs a été dévastatrice pour la faune, bien sûr, mais aussi néfaste pour les ressources d’eau potable. Côté suisse, on ne tire pas la langue. Le canton de Neuchâtel puise son eau à d’autres sources, le lac et l’Areuse, alors que le canton du Jura bénéficie encore d’un débit suffisant, quoique faible, de la rivière. En revanche, côté français, c’est la crise: dans le département du Doubs, près de 40 communes sont alimentées par des camions-citernes et, si la situation perdure, d’autres suivront.
Mystère en sous-sol
La faute à qui? A quoi? Et comment y remédier? Yannick Cadet, chef de service eau, risque, nature et forêt à la Direction départementale des territoires du Doubs, explique qu’il faut distinguer deux facteurs: la sécheresse exceptionnelle, sans doute liée au réchauffement climatique, et les pertes d’eau inhérentes à la nature karstique du bassin du Doubs, dont le sous-sol calcaire est troué comme de l’emmental.
«A l’aval de Pontarlier, c’est bien connu, des pertes très importantes se produisent, au profit de la Loue. En général, on peut les pallier en ouvrant un peu plus le barrage du lac de Saint-Point, mais cette année cela n’a pas suffi. On suppose donc que les deux crues du Doubs en janvier ont créé, élargi ou découvert de nouvelles failles, générant de nouvelles pertes.»
De là à vouloir «boucher ces trous», il n’y a qu’un pas. De petites margelles ont été édifiées autour de quelques pertes, mais le peu d’eau qui est revenu s’est échappé par d’autres failles…
Pour Pierre-Yves Jeannin, directeur de l’Isska (Institut suisse de spéléologie et de karstologie), l’effet du développement urbain et agricole ne peut être ignoré. Il s’additionne à celui des pertes et de la sécheresse. Il faudrait donc identifier l’origine des eaux souterraines qui alimentent le Doubs, et étudier tous les usages faits de ces eaux.
Apportant de l’eau à ce moulin, Yannick Cadet voit comme une priorité de vérifier l’étanchéité des réseaux des collectivités, de limiter les gaspillages et de conserver au maximum, voire de restaurer, les zones humides et les lacs naturels, essentiels à la régulation hydraulique et à la qualité des eaux.