Après trois jours de coma au CHUV, un arrêt cardiaque et une double dissection aortique, Patrizia se réveille sous le choc d’une poitrine en feu et de jambes éteintes.
En ce terrible après-midi du 29 juin 2017, la vie de cette séduisante Lausannoise d’origine italienne bascule. Blessée par quatre balles dans ce qu’elle appelle son «cocon» niché dans un immeuble au centre-ville de Lausanne, elle a fait face à l’impensable: elle s’en souvient, la main qui tenait le pistolet .22 Long Rifle est celle de sa mère. Un acte contre nature, apogée d’un conflit lancinant entre une maman violente et une fille isolée. Arrivée en Suisse dans les années 2000 à l’âge de 10 ans, Patrizia n’avait qu’elle comme famille, son père pointant depuis longtemps aux abonnés absents.
Dix mois ont passé depuis ce jeudi funeste. Derrière ses lunettes Ray-Ban, son maquillage soigné qu’elle porte comme une armure, la Vaudoise de 28 ans, à la longue chevelure digne d’une Vénus de Botticelli cache tant bien que mal un stress post-traumatique ponctué de crises d’angoisse. «Je ne dors plus. Je cogite sans cesse, alors j’écris sur mon mal-être. Pendant longtemps, j’ai cherché à signaler les violences dont j’étais la cible. Mais personne parmi mes proches ne m’a écoutée car nous venons d’un milieu sophistiqué», dénonce-t-elle avant de couper court à une conversation encore trop sensible.
Depuis un an, sa mère est incarcérée, dans l’attente de son procès fixé à l’automne prochain. «Ce que j’ai traversé est digne d’une tragédie romaine, comme celle des empereurs ou des papes tués par leurs proches, souffle la survivante, en comparant sa vie à celle d’un cruel soap-opéra. Je me rappelle m’être vidée de mon sang, puis c’est le néant. Je suis morte ce jour-là. Même le cardiologue qui m’a sauvée ne comprend pas comment j’ai survécu. Quelqu’un là-haut voulait vraiment que je reste sur cette terre», raconte cette catholique pratiquante, laissant un fin sourire se dessiner sur ses lèvres. Un moment de légèreté qu’elle dissimule rapidement derrière une bouffée de cigarette électronique.
De nature combative
De retour parmi les vivants, Patrizia est marquée dans sa chair. Brûlée à la moelle épinière par une munition, elle est paralysée depuis. Dans l’espoir de remarcher, portée par un mental d’acier qui lui vient de sa culture du sud, cette téméraire se jette dans un long processus de convalescence. Il débute par six mois de rééducation au centre suisse des paraplégiques de Nottwil, à Lucerne.
Comme les heures journalières de physiothérapie ne suffisent pas à cette férue de danse, de krav-maga et de yoga, elle décide de renforcer sa ceinture abdominale, motivée par ses acolytes d’infortune. Une bande de sportifs d’élite accidentés avec qui elle s’est vite liée d’amitié en partageant des soirées poker et whisky. Avec eux, elle s’astreint à pousser sa condition physique au-delà de la douleur pour reprendre des bribes d’autonomie. Terminaison nerveuse après terminaison nerveuse. «Je vis encore un calvaire, mais pas question de me morfondre. Même si les pronostics ne sont pas en ma faveur, rester à ne rien faire ne va jamais m’aider à sortir de cette chaise.»
De retour à Lausanne depuis le début de l’année, l’ancienne étudiante en finance et gestion d’entreprise souhaite multiplier les soins, alors elle s’entoure de «combattants», comme elle les appelle, de renom: Sebastian Tobler, un ingénieur tétraplégique cofondateur du vélo à trois roues Trike GBY, Benoît Thévenaz, ancien pilote de motocross devenu le premier tétraplégique à l’échelle planétaire à marcher grâce à un exosquelette, ainsi qu’Yves Vionnet, père du Swiss Recovery Center, lieu dédié aux traitements de la moelle épinière à Villeneuve.
«J’ai maintenant un doctorat en paraplégie», rit-elle. Patrizia a en effet dévoré toute la littérature médicale sur le sujet, des traitements novateurs aux bienfaits du régime cétogène – une consommation limitée en sucres et très riche en graisses – en passant par les dernières avancées technologiques. Elle vante surtout les mérites de l’activity-based therapy, un entraînement intense qui la force à se mettre debout, ce qui, selon elle, a fait ses preuves bien plus d’une fois. «Le corps a une mémoire, il faut reformer les connexions neuronales pour que mes jambes obéissent.»
Pour cela, elle travaille avec des coachs APA (activité physique adaptée) et avec l’exosquelette Twiice conçu à l’EPFL. Se basant sur les résultats des essais cliniques de l’un des chercheurs les plus éminents en neuroréhabilitation basé à l’école lausannoise, Grégoire Courtine – qui collabore avec Jocelyne Bloch, professeure en neurochirurgie au CHUV –, elle voit Lausanne comme la nouvelle capitale de guérison de la paraplégie. «C’est douloureux, je suis crevée, mais je m’accroche à ces espoirs.» Sur sa photo de profil Facebook, elle a republié une photo d’elle d’avant le drame, debout face une peinture datant de la Renaissance. Une image symbolique du passé qu’elle rêve pour son avenir. «Je suis consciente des difficultés mais je n’ai rien à perdre à essayer», lâche-t-elle, un peu nerveuse.
«Je pardonne à ma mère et je prie pour elle» Patrizia
Reste qu’il faut financer ces pratiques avant-gardistes très coûteuses. C’est pourquoi, courageuse et pragmatique jusqu’au bout, Patrizia s’est décidée à sortir de son silence pour témoigner d’une tragédie qui avait marqué toute la Suisse. «Il faut aussi savoir que les assurances ne prennent en compte que les soins de base», détaille-t-elle calmement. En vraie millennial douée d’un bon instinct marketing, elle lance Make Patrizia Walk Again, une campagne de crowdfunding sur la plateforme GoFundMe. Un projet qui naît un an pile après l’événement qui fait de son quotidien un combat permanent. «Quand vous me voyez, j’ai l’air toujours forte, mais j’en ai assez d’être emprisonnée dans mon corps. Voir le positif ne m’empêche pas d’être malheureuse, confie celle qui préfère taire sa détresse en tapotant sur son smartphone. Mes amis me disent que je suis devenue irritable, mais j’ai le droit d’être parfois en colère et de pleurer après ce qui m’est arrivé!»
Au moment de se quitter, c’est avec une bienveillance déroutante que Patrizia évoque celle qui est à l’origine de son état, sa mère: «Je lui pardonne, je prie pour elle tous les jours.»
SOUTIEN A PATRIZIA