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Droit du travail

Quand le patron devient détective

S’il soupçonne une infraction, l’employeur a le droit d’enquêter, mais il doit se conformer à des règles strictes. C’est ce que montre le cas d’Alice A. Le point sur les droits et les devoirs de chacune des parties.

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Denis Kormann

Quand une infraction quelconque se produit à l’intérieur d’une entreprise, le patron a le droit et le devoir d’enquêter pour trouver le coupable et prononcer son éventuel renvoi. Mais il doit obéir à un certain nombre d’obligations et l’employé mis en cause dispose également de certains droits et devoirs.

L’employeur doit intervenir

L’infirmière Alice A. a l’impression de subir un interrogatoire. Le directeur l’a convoquée dans son bureau et lui reproche d’avoir volé des objets personnels à un patient.

L’employeur doit réagir aux rumeurs d’infractions au sein de l’entreprise. Cela découle du devoir de sollicitude, autrement dit de son devoir de veiller sur la santé et la personne de l’employé. Cela concerne en particulier l’honneur professionnel et personnel de l’employé, sa position et sa réputation. Mais l’employeur doit exercer ce devoir avec ménagement. Il ne peut donc pas simplement licencier un employé suspecté. Il doit au préalable examiner les reproches à l’interne.

Enquête minutieuse

«L’employeur doit collecter autant d’informations que possible, souligne Roland Müller, enseignant en droit du travail à l’Université de Berne. Ce n’est qu’ensuite qu’il peut choisir de déposer plainte auprès de la police ou d’une autorité d’enquête.» L’employeur ne doit pas se précipiter à la police: cela fait aussi partie de ce qu’on appelle le «ménagement dans l’exercice du droit». D’ailleurs, ce n’est souvent pas du tout dans son intérêt. Car sitôt qu’il confie une affaire aux autorités, il perd le contrôle de la procédure. En revanche, en se livrant à une enquête interne méticuleuse, il aplanit la tâche des autorités de poursuite pénale.

L’employeur peut également confier l’enquête à un tiers indépendant. Cela convient d’autant plus si le suspect se situe à un niveau élevé de la hiérarchie et si les reproches sont pesants. «C’est particulièrement le cas lorsque des membres de la direction ou du conseil d’administration sont impliqués. En cas d’enquête, la pression sur les collaborateurs serait trop élevée», commente Roland Müller.


L’employeur a un droit procédural

Alice A. est interrogée sur les reproches qui la visent mais reste pratiquement incapable d’articuler un mot. Elle a le sentiment qu’on ne l’écoute pas vraiment. Elle brûle de pouvoir sortir de ce bureau.

La contrepartie du devoir de sollicitude de l’employeur est le devoir de fidélité de l’employé. Il est contraint de se soumettre à l’enquête interne et à l’interrogatoire, mais il a aussi des droits: il doit pouvoir se défendre de façon adéquate. Il n’est juridiquement pas établi que ses droits procéduraux doivent correspondre à ceux d’une procédure pénale; les circonstances concrètes restent déterminantes. Mais si l’employeur viole des droits procéduraux, le risque est qu’un tribunal ne tienne pas compte des preuves ainsi collectées (interdiction d’exploiter des éléments de preuve). Au début d’un interrogatoire, l’employeur doit informer son salarié sur les raisons de l’enquête interne. Il doit également lui indiquer ce qui l’accuse.

Le Tribunal fédéral n’a encore jamais décidé si l’employé doit répondre aux questions ou peut s’y refuser. Ni s’il peut se faire assister par une personne de confiance, par exemple un avocat ou un membre d’une commission du personnel. Plus les reproches sont pesants, plus cela devrait être approprié.

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Denis Kormann

Soupçonné à tort, surveillé ou licencié

Au terme de l’entretien, Alice A. est formellement licenciée et libérée aussitôt de ses fonctions. Elle doit vider son casier de vestiaire et a le droit de prendre congé de ses collègues. Elle rentre tant bien que mal chez elle et, là, elle craque. Elle est en colère et s’estime traitée de manière injuste. Une semaine plus tard, elle consulte un avocat.

Une enquête interne est lourde à supporter. Même si les reproches ne se confirment pas, la relation de confiance peut être durablement altérée. Pour l’employé, il est donc important de se défendre aussitôt que possible. S’il est confronté aux reproches ou même à un avertissement, il a intérêt à toujours réagir par écrit et à rectifier les faits selon son point de vue. Même chose si l’employeur refuse de dresser un procès-verbal correct et complet de ses investigations. En cas de nécessité, l’employé devra dresser lui-même un protocole des faits.

Si l’on pense être surveillé à tort, il faut en parler avec l’employeur. Et si ce dernier ne réagit pas, l’employé peut aussi bien introduire une plainte pour atteinte à la personnalité. Celle-ci met fin à la surveillance et les données collectées doivent être détruites.

Ligne rouge

Avec son enquête interne, l’employeur peut même se rendre punissable. Notamment s’il mobilise des moyens illicites, comme des enregistreurs de frappe pour pister le clavier (keyloggers) ou des appareils d’écoute, ou s’il procède de manière contraignante. Ce qui compte, ce sont les circonstances: une seule des mesures prises peut s’avérer sans inconvénient sur le plan pénal mais, dans votre bilan, vous pouvez faire état de coercition. L’employeur se rend par exemple punissable s’il met sur pied des manœuvres d’intimidation pour contraindre l’employé à avouer ou s’il se comporte simplement de manière autoritaire, quasi policière.

Si un employé est licencié sans que les faits aient été élucidés, il y a licenciement abusif et le salarié est en droit de se défendre. A cette fin, il doit protester par écrit contre le licenciement avant la fin du délai de licenciement. S’il n’y a pas d’accord, il peut déposer une demande d’indemnité auprès du tribunal dans les 180 jours après la fin des rapports de travail. L’indemnité se monte au maximum à six mois de salaire.

Alice A. est allée jusqu’au Tribunal fédéral. Ce dernier a constaté que l’employeur n’en avait pas fait assez pour élucider les faits. En plus, le directeur n’a pas permis à Alice A. de se faire assister. Plus grave, les supérieurs directs d’Alice A. et un conseiller de fondation étaient présents. Alice A. a été prise au dépourvu et n’a pas pu défendre correctement sa position et son honneur. Le Tribunal fédéral a jugé le licenciement abusif et lui a attribué une indemnité de quatre mois de salaire.

* Traduit de l'allemand


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Katharina Siegrist
Katharina Siegristist Anwältin und seit 2014 Redaktorin und Beraterin beim Beobachter. Mehr erfahren
Par Katharina Siegrist publié le 14 juillet 2020 - 08:25, modifié 18 janvier 2021 - 21:13