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Stars romandes de la BD

Peggy Adam: «Je suis toujours en train de m’inventer des histoires»

La discrète Peggy Adam trace un sillon qui mêle allègrement observations piquantes de l’âme humaine, onirisme et allers-retours dans l’enfance.

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Peggy Adam dessine et colorie à la main avant de scanner ses dessins. Dans son atelier genevois, des esquisses de son projet en cours, ses aquarelles...

Elle déboule à vélo dans son atelier de la rue de Lausanne, après une baignade. Française sur le papier, elle qui a adopté Genève il y a une quinzaine d’années apprécie «la taille humaine» et le multiculturalisme de la ville, après la mégapole de Toronto, ralliée pour ses études à l’Ontario College of Art and Design University, après Saint-Etienne et avant Angoulême. Et puis, elle aime les langues – «trois sur un paquet de pâtes, c’est génial!» –, adore lacs et montagnes, marcher dans les Grisons ou en Valais, observer les oiseaux comme le gypaète barbu. «Je ne vais pas forcément loin, mais je prends mon temps. Je marche, je m’arrête, je dessine.»
A Genève, il y a aussi Atrabile, petite maison d’édition dirigée par Daniel Pellegrino qui a, dit Peggy Adam, «changé [sa] vie». Lorsqu’elle envoie un premier manuscrit à trois éditeurs qu’elle apprécie, Atrabile dit oui tout de suite. «Au départ, c’était un seul livre, mais j’étais tellement contente que j’ai fait une série!» Plus ou moins… L’hiver a clos, en 2016 avec le Prix Töpffer pour Genève, la boucle entamée en 2005 avec Plus ou moins… Le printemps, comédie sentimentale sans fard. La relation et le lien de confiance avec Atrabile perdurent. «Daniel est un éditeur vraiment précieux. Il publie par plaisir, fonctionne au coup de cœur et pas selon des attentes commerciales. C’est la liberté. Et puis, il fait un super boulot d’édition. Il m’aide à retravailler la trame si c’est trop linéaire, n’hésite pas à me dire quand ça ne va pas.»

Sa dernière création a été plébiscitée par quelque 700 élèves du secondaire. En avril, ils ont élu Les sales gosses Prix BD Zoom 2021. Un récit sur une bande de copains, garçons et filles, quelque part dans les années 1980. Elle l’a voulu pour sa fille, Hanaé, qui n’avait pas le droit de lire les précédents. De quoi constater les changements de générations – «nous, c’était garçons et filles mélangés, elle, elle a son groupe de filles, séparé des garçons» – et combien une lectrice de 13 ans peut se montrer intransigeante. «Elle a tout relu 25 fois, voyait tout ce qui n’allait pas. Elle est douée», sourit sa mère. Pour le dessin aussi? «Ah oui! Mais je ne veux pas qu’elle fasse ça!» grimace-t-elle.
L’inquiétude des lendemains, Peggy Adam connaît, mais elle continue de tracer son sillon. Elle réalise des affiches, illustre des livres jeunesse, enseigne à la Haute Ecole d’art et de design (HEAD), décroche des aides. Ainsi la bourse de la Fondation Leenaards, qui lui a permis de travailler sur les haïkus des haijins, poétesses japonaises – «Elles parlent de choses terribles, comme Hiroshima, avec des mots magnifiques. Les règles, l’enfant qui est parti…» – et les Scherrenschnitte, papiers découpés de silhouettes ou paysages, tradition chinoise mais aussi du Pays-d’Enhaut, dont la pratique effrénée lui a valu une tendinite au poignet. «J’ai découvert ça ici. C’est incroyable. Vous voyez, la Suisse reste exotique pour moi. J’ai le droit de dire ça?» Elle nous montre la finesse des feuilles de papier utilisées par le Bernois Ernst Oppliger, «un découpeur incroyable».
Peinture, céramique, sculpture, elle crée constamment de ses mains. Mais la bande dessinée reste son domaine, celui qu’elle maîtrise depuis toujours. «Enfant, quand il se passait quelque chose, je n’écrivais pas dans un journal intime, je dessinais.» Mais au fait, qu’aime-t-elle donc tant là-dedans? Son visage s’illumine. «On crée des mondes. On est des dieux. En toute humilité!» L’inspiration, elle la puise partout. «Je suis toujours en train de m’inventer des histoires.» Notamment dans ses rêves. «J’adore les utiliser comme si c’étaient des souvenirs.» Voilà le surnaturel qui surgit, comme dans La Gröcha («la crasse» en romanche, publié en 2012), récit apocalyptique situé dans les montagnes. De son projet en cours, pour l’heure des croquis en noir et blanc et des post-it collés au mur, elle veut juste nous dire que c’est «une histoire de hameau perdu dans la montagne». «Ces temps-ci, je relis Ramuz», ajoute-t-elle. Il est temps de la laisser à ses songes.


Dernier ouvrage paru: «Les sales gosses», Atrabile Editions, 2019. www.peggy-adam.com

Par Albertine Bourget publié le 7 juin 2021 - 09:37