1. Home
  2. Actu
  3. Peter Knapp, l'éternel créatif

Rencontre

Peter Knapp, l'éternel créatif

Dans les années 1960, le Suisse passait pour le révolutionnaire par excellence. Peter Knapp a notamment marqué «Elle», la bible de la mode à l’époque, en tant que directeur artistique et photographe. Aujourd’hui âgé de 92 ans, il fait toujours la navette entre son atelier de Paris et son chalet de Klosters (GR). Une grande expo lui est consacrée dès février en Belgique.

Partager

Conserver

Partager cet article

Le photographe et graphiste Peter Knapp

Motivé. L’artiste suisse jette une idée sur le papier pour le prochain jubilé d’une commune française.

Geri Born

En fait, Peter Knapp ne devait s’installer sur la balançoire que pour une photo. Mais voilà que l’artiste de 92 ans laisse se réveiller «l’enfant qui sommeille en tout homme» et qu’il se balance avec entrain. Le bonhomme déborde d’énergie et de joie de vivre, ses yeux pétillent comme ceux d’un môme. Il accélère le mouvement, comme il l’a fait récemment au volant de sa voiture. «J’ai fait un gros excès de vitesse», avoue-t-il un peu gêné. Il a dû déposer son permis pendant un mois.

Paris-Klosters-Paris: mois après mois, Peter Knapp se tape ces 1600 kilomètres en voiture et c’est lui qui conduit. Il travaille à Malakoff, au sud de Paris, «une commune communiste depuis 1945». Il revit et se détend dans les montagnes des Grisons. Et pourquoi s’inflige-t-il ce chemin de croix de pendulaire? «A Paris, il se passe tellement plus de choses sur le plan culturel!» Ce n’est pas seulement dans la capitale française qu’il écume les musées et les galeries. Souvent, il grimpe vite fait dans un avion pour aller voir une expo à Barcelone ou à New York.

Le photographe et graphiste Peter Knapp dans le jardin de sa petite-fille Ninon

Insouciant. Sur la balançoire, dans le jardin de sa petite-fille Ninon, l’enfant qui sommeille en tout homme se réveille chez le nonagénaire.

Geri Born

Révolutionnaire et ami des femmes


En France, le Suisse passe pour un révolutionnaire. Naguère, il chambardait de fond en comble la mise en pages et le langage visuel de revues de mode comme «Elle». En tant que photographe, on le sollicitait partout, au «Stern» et à «Vogue», au «Sunday Times» et à «Marie Claire». Il passe pour être à l’écoute des femmes et invente par sa photographie une image nouvelle et moderne. Peter Knapp pourrait se reposer sur ses lauriers, jouir d’une paisible existence de retraité. Au lieu de cela, il photographie, filme, crayonne et dessine, médite sur des concepts et étudie de nouvelles idées. «J’ai encore tellement de projets qui sont loin d’être achevés!»

Quand il se balade à Klosters, il s’entend souvent demander: «Monsieur Knapp, vous êtes en vacances?» Et il répond chaque fois sur un ton narquois: «Soit je suis en vacances ma vie tout entière, soit je travaille depuis le début de mon existence.» Ce qui le motive, à 92 ans, c’est le besoin de raconter des histoires. «Je ressens au fond de moi le besoin d’exprimer en images tout ce que je vois.» Il dit éprouver depuis toujours un immense respect pour Charlie Chaplin, qui a réalisé des films où pas un mot n’était prononcé alors qu’ils transmettaient un message émouvant.

Peter Knapp puise aussi son énergie dans les montagnes. Jusqu’à récemment, il dévalait à skis les pistes de Parsenn. Mais à la suite d’une chute spectaculaire, après laquelle une jeune fille a dû l’aider à se relever, il a consulté un médecin qui lui a conseillé soit de ne plus jamais tomber, soit d’avoir toujours une adolescente de 16 ans à ses côtés. «Je ne voudrais pas paraître déraisonnable», rigole-t-il. Sa seconde épouse, Christine, est décédée il y a deux ans, après trente-huit ans de mariage. Il porte toujours son alliance au petit doigt. «Moi-même, je n’en avais pas, je trouvais cela souvent gênant dans mon travail.» Sa Rolex, cadeau reçu pour son 35e anniversaire, il en a fait cadeau à son fils quand il a atteint les 90 ans. Depuis lors, il porte au poignet une montre de 1932 qui réplique les horloges de gare. «Elle est très lisible.»

Le photographe et graphiste Peter Knapp

Motivé. L’artiste suisse jette une idée sur le papier pour le prochain jubilé d’une commune française.

Geri Born

Prix suisse du design


L’argent, les symboles de réussite, Peter Knapp n’en a jamais fait grand cas. «L’argent était pour mon épouse, je n’avais pas le temps de le dépenser.» Et pourtant, il est un luxe qu’il s’est offert lorsqu’il était un jeune graphiste demandé partout: à 24 ans, il a acheté une Mercedes 300 SL, modèle W194, celle avec les portes papillons. Une rareté! Onze exemplaires seulement en ont été construits à l’époque. Il avait racheté cette «sculpture de voiture» en 1955 au producteur de canons Emil Bührle. «Il était trop grand pour s’y sentir à l’aise», raconte Peter Knapp. Et d’ajouter en rigolant: «Toutes mes économies sont passées dans cette acquisition. Je n’avais plus un centime pour acheter de l’essence.» Plus tard, il a pris pour le constructeur allemand la photo d’une Mercedes qui figure désormais dans l’ouvrage «Les meilleures photos de Mercedes».

Après des expositions dans le monde entier, une grande rétrospective en 2020 à la Cité de la mode et du design à Paris et le Prix suisse du design qui lui a été remis en 2021 à Davos, il se réjouit de participer à une exposition de groupe avec de jeunes artistes. On y verra «des paysages hivernaux plats, presque monochromes». Pour cette expo, Peter Knapp a cherché des troncs d’arbres noueux, les a peints en blanc puis photographiés et il a créé des reliefs à partir des photos. «Quand on les regarde de loin, ce sont toujours des photos. Ce n’est qu’en les examinant de près qu’apparaissent les volumes», explique l’artiste.

Le photographe et graphiste Peter Knapp collabore avec Robertson Käppeli pour l’exposition de Davos

Concentré. Pour l’exposition de Davos, Peter Knapp collabore avec Robertson Käppeli, descendant d’une famille d’artistes bâlois. «Son père est mon plus fidèle compagnon de ski depuis 1960.»

Geri Born

Karajan pour son 93e anniversaire


Une grande exposition de Peter Knapp se déroulera de février à mai 2024 à Charleroi (B), dont le musée consacré à la photographie passe pour le plus important d’Europe. Ce sera un hommage au travail de l’artiste «qui fait revivre l’atmosphère d’une époque (1965-1980) et les changements que la société a connus».

Peter Knapp aura 93 ans quelques jours après la clôture de l’exposition. Au petit-déjeuner, il écoutera à la TV, comme tous les matins, 150 musiciens élégamment vêtus sous la baguette de Herbert von Karajan. «C’est comme s’ils ne jouaient que pour moi. La télé, parfois, c’est fantastique!»

>> Retrouvez l'exposition «Peter Knapp. Mon temps»: du 3 février au 26 mai 2024 au Musée de la photographie à Charleroi. Plus d'informations sur www.museephoto.be

Par René Haenig publié le 9 février 2024 - 08:01