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Philip, l'homme qui faisait rire la reine

Le prince Philip, mari d’Elisabeth II, est décédé le 9 avril 2021. Nous republions ici le portrait que L'illustré lui avait consacré en mai 2017, quelques mois avant qu'il ne prenne sa retraite, à 96 ans. Personnage complexe, aussi blagueur que gaffeur, il était surtout le plus solide soutien de son épouse souveraine.

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FILE PHOTO: Prince Philip, Duke of Edinburgh To Step Down From Royal Duties

Moment de complicité entre le prince Philip et son épouse, la reine Elisabeth II, en 1947.

Getty Images
Yan Pauchard/L'Illustré

Encore une fois, le prince Philip s’en est tiré avec une pirouette. «Lever le pied? Mais je peux déjà à peine tenir sur mes deux jambes...» Une boutade en réponse à cette journée du jeudi 4 mai 2017, où Buckingham a officiellement annoncé que le duc d’Edimbourg, mari de la reine Elisabeth II, se retirera de la vie publique dès cet automne. A 96 ans – il les fêtera le 10 juin-, il prend sa retraite après avoir participé à 22 191 événements et prononcé 5493 discours, selon le décompte toujours très précis des correspondants royaux de la BBC. C’est une figure à la fois populaire et controversée de la monarchie britannique qui tire sa révérence. Connu pour ses gaffes et blagues douteuses, il est un indécrottable raciste misogyne pour certains, un libre penseur qui se moque du politiquement correct pour les autres. Philip est surtout le «roc» sur lequel s’est appuyée sa royale épouse. Il est l’homme qui sait la faire rire et la soutient à travers les drames de l’histoire. «Mon premier, deuxième et ultime emploi est de ne jamais laisser tomber la reine», a-t-il confié un jour.

Leur histoire débute il y a presque 80 ans, en juillet 1939. Le roi George VI visite le collège royal de la marine de Darmouth avec sa femme et leurs deux filles, Margaret et Elisabeth, qui est alors âgée de 13 ans. Cette dernière y fait la connaissance d’un jeune étudiant de 18 ans, Philip de Grèce, major de sa promotion. Il fait rire la princesse, fait le pitre, alors que d’habitude les autres jeunes multiplient les précautions envers l’héritière du trône. Elle est conquise. Mais quelques semaines plus tard, l’Europe bascule dans la Seconde Guerre mondiale. Et le jeune homme est mobilisé dans la Royal Navy, où il se montrera héroïque à la bataille navale du cap Matapan ou lors de l’invasion alliée de la Sicile. Il devient le plus jeune officier en second de la flotte britannique.

En 1946, Philip revient en Angleterre auréolé de ses exploits militaires. Elisabeth a 19 ans; elle ne l’a pas oublié. La jeune femme réservée, sérieuse, élevée dans une bulle regarde avec les yeux de Chimène ce beau marin, fougueux et drôle, qui a parcouru les mers du monde. Sa famille ne voit cependant pas cette idylle d’un bon œil. Né sur la table à manger d’une masure sans électricité de l’île de Corfou, il s’est fait tout seul, abandonné par un père membre d’une famille royale grecque en exil, qui dilapida sa fortune aux tables de jeu de Monte-Carlo, et par une mère schizophrène, internée à l’asile avant d’entrer dans les ordres. «C’est le prince de rien et de nulle part», murmure-t-on perfidement parmi l’aristocratie bien née. Surtout, il possède des origines allemandes et plusieurs de ses sœurs ont épousé des dignitaires nazis. Mais Elisabeth tient bon et impose son choix. Le couple se marie le 20 novembre 1947. Grandiose, la cérémonie à l’abbaye de Westminster fait rêver une Angleterre traumatisée par la guerre; elle est vue par plus de 200 millions de personnes dans le monde. Pour Elisabeth, Philip s’est fait naturaliser Britannique, a changé de nom – il est devenu Philip Mountbatten — et a abandonné la religion orthodoxe pour l’anglicane. Ultime preuve d’amour, il a accepté d’arrêter de fumer.

Le couple s’installe à Malte, où Philip est basé. Ces premières années sont idylliques, de voyages en garden-partys, de matchs de polo en cocktails. Tous deux adorent aller danser. Leur monde bascule le 6 février 1952. Ils sont au Kenya quand ils apprennent la mort du roi George VI. Elisabeth devient reine. On explique au prince Philip qu’il devra dorénavant marcher trois pas derrière son épouse. Quand il la croisera, il devra s’incliner. Leurs enfants ne porteront pas son nom, mais celui de sa femme, Windsor. C’est une humiliation: «Je ne suis qu’une foutue amibe, ici!» hurle-t-il devant Winston Churchill. Surtout, lui qui se rêvait amiral doit mettre un terme à sa prometteuse carrière dans la marine. Il a 30 ans.

Philip traverse une grave dépression. Il se fait construire une kitchenette dans ses appartements pour se préparer lui-même ses sandwichs, regrettant l’armée où «personne ne se précipite dès que vous laissez tomber quelque chose». Il va néanmoins tenir son rang, solide et loyal, aux côtés d’Elisabeth, même si on lui a prêté quelques maîtresses. C’est lui qui va élever leurs quatre enfants, Charles, Anne, Andrew et Edward, à la dure, surtout l’aîné, Charles, rêveur et romantique, bien loin de l’homme d’action dont aurait rêvé son père. C’est certain, le prince Philip est le liant de la famille; il impose par exemple que l’ensemble du clan se réunisse tous les 25 décembre.

C’est lui encore qui saura parler à William et à Harry à la mort de leur mère, les accompagnant derrière le cercueil de Diana lors de l’enterrement.

Mais Philip ne perdra jamais son côté cabotin. Après un voyage en mer, il revient vers Elisabeth en arborant une cravate constellée de petits cœurs roses. Quand il ne supporte plus la présence à Buckingham de sa belle-mère, la Queen Mum, il fait baisser le chauffage dans la chambre de celle-ci pour l’inciter à plier bagage. Le prince fera le beurre des tabloïds avec ses sorties souvent racistes et déplacées. En 1981, alors que la crise économique est à son paroxysme, il choque ainsi en se moquant des chômeurs: «D’abord ils disent qu’ils veulent davantage de loisirs, et maintenant ils se plaignent d’être sans emploi.»

Ces gaffes à répétition sont-elles le fruit d’un humour de caserne assumé ou la marque de la frustration de Philip d’être cantonné dans le rôle d’un homme lige? Lui seul le sait. Il se dit néanmoins que ses blagues feraient beaucoup rire la reine, qu’elles fonctionneraient comme une soupape pour celle qui doit se montrer irréprochable en toute circonstance. Elle pardonne tout à l’homme de sa vie. «Il a tout simplement été ma force, et il l’est resté pendant toutes ces années», tweetera-t-elle lors de son 90e anniversaire. Le couple s’est beaucoup rapproché après le départ de leurs enfants. Et si le protocole lui interdit toujours de prendre la main de sa femme en public, Philip se montre prévenant envers Elisabeth, qui le gratifie souvent d’un regard malicieux.

Entre la mort de Lady Di et les divorces de leurs enfants, l’union de Philip et d’Elisabeth, qui fêteront bientôt leurs 70 ans de mariage, forme le ciment de la monarchie britannique. «Philip est un trésor national», a même écrit le Daily Mail. Les Anglais observent aujourd’hui sa retraite avec appréhension. Ils le savent: celle-ci annonce une phase de transition, la fin d’une certaine époque.

Par Yan Pauchard/L'Illustré publié le 9 avril 2021 - 16:49