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Rétro 2020, une suisse sous Covid

Le photoreporter «plus que jamais utile en 2020»

Pas de télétravail pour les photographes de presse, qui ont sillonné le terrain pour rendre compte de ce qui se passait dans le pays. Le responsable du bureau romand de l’agence Keystone, Laurent Gilliéron, évoque ces mois intenses.

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Pour rappeler à la Suisse le nombre de victimes de la pandémie, des citoyens allument, le jour de la Saint-Nicolas, 4848 bougies, comme autant de morts à ce jour en Suisse, sur la place Fédérale à Berne. keystone-sda.ch

- Votre première photo liée au covid, vous vous en souvenez?

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Laurent Gilliéron, 44 ans, travaille pour l’agence Keystone depuis 1999. Il a été élu photographe de l’année en 2005 et en 2013. Gaetan Bally

- Laurent Gilliéron: Non… J’ai l’impression de baigner dedans depuis le 15 mars. Avant, même, puisque ma femme est infirmière et que le virus est très vite entré dans nos conversations. De cette période visuellement très forte, je garde les images prises aux soins intensifs et celles liées aux masques, qui donnent des scènes insolites, comme les conseillers d’Etat Nuria Gorrite et Philippe Leuba dans une étable.

- Quelle proportion de la production a été consacrée à la pandémie?
- Tout ce qu’on a fait y est plus ou moins lié. Toutes nos forces se sont reportées sur la situation.

- Au point de trop en faire?
- Non. Nous sommes là pour montrer ce qui se passe en Suisse au jour le jour. En agence, il faut produire vite, sans conceptualiser. Quand le Conseil fédéral annonce qu’il va fermer les commerces, nos clients veulent tout de suite des images de magasins fermés. On ne peut pas illustrer ça avec une image faite aux Etats-Unis. On parle de chez nous, de choses qui nous touchent tous. En fait, je ne me suis jamais senti aussi utile.

- Qu’est-ce qui a été le plus difficile?
- L’accès aux hôpitaux. La clé de ce qui se passait, c’était la fermeture pour ne pas qu’ils débordent. Nous voulions montrer la situation, mais nous avons d’abord essuyé beaucoup de refus. Nous sommes expérimentés, avec tous les contacts nécessaires, mais tout passait par des cellules de communication, avec des tonnes d’appels et de mails pour négocier, expliquer notre démarche. C’était très frustrant. Et puis, après deux semaines où tu t’es battu pour avoir l’accès, tu reçois tout d’un coup un mail qui dit: «Venez demain matin.» Et là, tu as deux heures, pas une journée comme d’habitude. Nous sommes tous devenus encore plus flexibles.

- Comment expliquez-vous ce barrage?
- Le personnel soignant était évidemment sous pression. Mais lorsque nous avons eu accès aux services de soins, il s’est montré très accueillant, reconnaissant de notre présence. J’imagine que si les hôpitaux nous ont d’abord refusé l’accès, c’était par volonté de contrôler leur image et la crainte que nous ne fassions des photos sans éthique. Quant aux politiques qui visitaient les services, il n’y a d’abord pas eu d’images probablement parce que les gens n’auraient pas compris pourquoi un conseiller fédéral était masqué alors que le discours officiel était que les masques ne servaient à rien. La situation a changé. J’ai par exemple suivi Alain Berset à Neuchâtel le 16 décembre sans aucun problème. Enfin, le problème a surgi après.

- C’est-à-dire?
- Nous sommes allés à l’hôpital Pourtalès puis à la Haute Ecole Arc Santé où la formation se fait avec des mannequins, qui apparaissent sur les images. Le Blick a publié une galerie photos avec une seule légende pour l’hôpital et la haute école. Le temps qu’elle soit corrigée, les réseaux sociaux parlaient de fake news, en disant que les malades n’existaient pas! Le conseiller national Andreas Glarner (UDC/GL) a tweeté la photo en insinuant qu’il y avait un problème. Des internautes étrangers s’en sont mêlés. Une «fact-checkeuse» de l’Associated Press à New York a enquêté.

- C’est frustrant, non?
- Frustrant, rageant… Surtout décevant de voir les images postées à la va-vite. Ce qui s’est passé nuit à la crédibilité des médias et nourrit par ricochet les thèses complotistes. Mais je préfère garder en tête la citation de Thomas Wiesel lorsqu’il a retweeté mes explications: «Sans les complotistes, cette année, on aurait quand même moins ri.»

>> Lire aussi la chronique de Thomas Wiesel: «2020, année de surprises, toutes mauvaises...»

- Vivement 2021?
- On commence à saturer, oui (il rit). Au début, les magasins fermés, les rues vides, c’est frappant. A la longue, c’est lassant. Un match sans public qui vibre, c’est sans âme. J’espère qu’on va retrouver ça bientôt!


Par Albertine Bourget publié le 3 janvier 2021 - 13:36, modifié 18 janvier 2021 - 21:17