«En 1966, jeune chanteur, j’ai déjà connu quelques succès – «Moi j’attends Adèle», «Blanche», «Le tord-boyaux» – mais pas encore de tube. Le soir, avec ma guitare, je fais la tournée des boîtes, cinq ou six à la suite. Rebecca, ma femme, travaille chez Barclay. Je pars lorsqu'elle arrive pour ne rentrer qu'à 4 heures du matin, crevé. La journée, je tente vaillamment d’écrire des chansons dans notre HLM, à Gennevilliers. Les portes claquent, les gamins crient dans les escaliers: c’est l’enfer.
Un soir, Rebecca me demande ce que je compose et je lui joue le seul titre que j’ai pondu en deux jours de ma vie: «Les jolies colonies de vacances». Ecrasée de rire, elle dit: «Il faut l’enregistrer tout de suite!» Je réponds: «Tu déconnes? C’est juste pour les cabarets…» Le soir, je la chante et je fais un tabac sur scène. On l’a enregistrée et ça a été le carton qu’on sait. Il s’en vendait des dizaines de milliers par jour.
Mais un beau matin, le patron de la radio-télévision française, Roland Dhordain, m’appelle et me dit: «Quelqu’un d’important m’a lancé un coup de bigophone: «Nous vous prions, cher Monsieur, de ne plus diffuser la chanson de cet horrible personnage que nous considérons comme la honte de la France.» C’était Yvonne de Gaulle. En trois secondes, je prenais du galon.
Avec la phrase «NOUS considérons», elle mettait pépère dans le coup. Soit Charles de Gaulle, le président de la République. Dhordain lui a répondu «Bien, Madame» et il a diffusé «Les jolies colonies deux fois plus souvent». Le 45 tours, conservé dans les archives, est annoté «censuré». Tout ça à cause de la seule phrase «en faisant pipi dans le lavabo».
Par la suite, la vraie interdiction est venue de la télévision. Alors que je suis au sommet du hit-parade depuis un mois, on m’interdit au «Palmarès des chansons», l’émission populaire de Guy Lux.
Un soir, il m’invite et précise: «Le grand patron de l’audiovisuel, Claude Contamine, veut que tu tousses au moment de prononcer la phrase où tu parles du lavabo.» J’ai répondu: «Tu lui diras que je ne suis pas enrhumé et que je l’emmerde!» J’ai attrapé le caméraman, qui était un copain, et je lui ai demandé: «Quand je dis ça, tu fais un super gros plan sur ma bouche.» En plein direct, il me cadre serré, j’articule en détachant les syllabes et je gueule: «En f’sant pi-pi dans l’la-va-bo!»
Dès le lendemain, j’ai été boycotté pendant six mois. Or, comme c’était LE tube de l’année, ils ont fini par me demander de refaire des grosses émissions. Et cette fois, en homme libre que j’ai toujours été, c’est moi qui les ai punis: J’ai dit: «Non, c’est vous qui êtes interdits de Pierre Perret!» Cette année-là, grâce aux «Jolies colonies», j’ai créé ma maison de disques. Huit ans plus tard, avec «Le zizi», j’ai eu 16 disques d’or. Ces deux chansons m’ont permis d’acheter une très grande maison en Seine-et-Marne, à la campagne. Avec Rebecca, nous y vivons heureux depuis cinquante ans.»
Le scoop de Pierre Perret
«Ma prochaine chanson, et c’est un scoop, s’appelle «Bientôt». «Oui on s’en fera des bisous, bientôt, bientôt, bientôt…» Une chanson d’espoir, très moqueuse pour ceux qui nous ont gérés comme des charlots (rires).»
>> Pierre Perret sera en Suisse en juin: jeudi 10 à La Marive à Yverdon-les-Bains (VD), vendredi 11 au Théâtre du Martolet à Saint-Maurice (VS) et samedi 12 au Théâtre du Léman à Genève. Concerts à 20 h.