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Dossier «salaires»

Pierre-Yves Maillard: «Il faut augmenter les salaires de 5%!»

L’inertie politique face à l’inflation scandalise le président de lʼUnion syndicale suisse et conseiller national socialiste vaudois Pierre-Yves Maillard. A un mois des élections fédérales, le candidat au Conseil des Etats exige des mesures concrètes.

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Pierre-Yves Maillard

L’inertie politique face au renchérissement du coût de la vie scandalise le président de lʼUnion syndicale suisse et conseiller national vaudois Pierre-Yves Maillard qui exige une augmentation des salaires de 5% pour 2024.

Anoush Abrar

- Pour commencer, comment commentez-vous de manière générale la situation des salaires en Suisse en 2023?
- Pierre-Yves Maillard: Nous nous retrouvons malheureusement dans une période inédite de l’histoire économique suisse d’après-guerre, la période la plus longue de baisse de salaire réel, trois années de suite, avec une perte de pouvoir d’achat. Selon nos calculs, une famille avec deux enfants va vivre l’an prochain en moyenne avec 300 francs de moins par mois qu’en 2021. Ce qui signifie pour ceux qui avaient encore un peu de marge à leur budget que celle-ci disparaît progressivement et, pour ceux qui n’avaient pas de marge, qu’ils doivent faire des sacrifices sur des choses pourtant essentielles.

- Les mécanismes d’indexation automatique sont révolus. Faudrait-il les réintégrer?
- Ils étaient évidents quand on était habitué à l’inflation et ils existent encore dans certaines conventions collectives, mais les organisations patronales les contestent. J’ai rencontré l’autre jour un ouvrier qui travaille en trois fois huit, notamment en équipe de nuit, depuis trente ans. Son entreprise a fait 4 milliards de francs de bénéfice lors du dernier exercice mais n’a accordé à ses employés que la moitié de l’augmentation du coût de la vie. «Je gagne donc moins que lʼannée passée, mʼa-t-il dit. Il faudrait que la politique commence à fixer ce qui est nécessaire en termes de compensation du renchérissement et de partage des bénéfices.» Quand une entreprise fait de tels profits, il devrait au minimum être obligatoire de les partager de telle sorte que les employés ne sʼappauvrissent pas année après année. Si le partenariat social n’apporte plus cette sécurité, il faudra agir au niveau de la loi, comme on le voit pour les salaires minimaux dans les cantons.

- Vous demandez 5% pour 2024?
- C’est le froid constat des chiffres. Il faut 2,5% pour compenser les pertes des trois années passées, à quoi s’ajoute la compensation des hausses de coûts prévues pour l’an prochain.

- Et bloquer les loyers, du moins ceux qui augmentent sans autre raison quʼun alignement sur le renchérissement?
- Oui, car il faut rappeler que beaucoup dʼinvestisseurs immobiliers ne placent en fait que leurs fonds propres et ne sont donc pas touchés par lʼévolution des taux hypothécaires et des taux dʼintérêt. Ils nʼont aucune charge supplémentaire avec ces hausses de taux, ce qui signifie quʼils nʼont aucune raison dʼaugmenter les loyers. Le Conseil fédéral aurait tout à fait la possibilité dʼagir. Le cadre légal des augmentations de loyer est en effet fixé par lʼordonnance fédérale. La loi stipule que les loyers évoluent en fonction des coûts. Point! Nous avons pu vérifier avec la débâcle de Credit Suisse que le Conseil fédéral était capable dʼadopter très rapidement des ordonnances concernant des sommes colossales. M. Parmelin pourrait donc très bien proposer une réforme de lʼordonnance pour décorréler au moins un certain temps lʼévolution des taux et lʼaugmentation des loyers. Nous avons demandé ça au National lors de la session dʼété. Mais il nʼy a malheureusement pas de majorité politique pour aller dans ce sens. Cʼest dramatique. Du côté des primes dʼassurance, des loyers et des factures dʼélectricité, les dirigeants, propriétaires et distributeurs peuvent encore agir comme bon leur semble. La majorité politique ne fait rien, en espérant que le peuple fasse le dos rond et pense à autre chose malgré sa précarisation.

- La Suisse est aussi îlot de cherté qui pénalise les salariés les plus modestes. Que faire sur ce plan-là?
- Il y a déjà le prix des médicaments. Alain Berset proposait dʼimposer les prix de référence européens aux médicaments génériques, qui sont deux fois plus chers en moyenne en Suisse que chez nos voisins. Cela aurait permis d’économiser 300 millions de francs. Mais le président des fabricants de génériques, un conseiller national UDC, est membre de la Commission de la santé publique et a retourné celle-ci contre ce projet. Notre parlement est truffé de lobbyistes comme lui, ce qui permet en lʼoccurrence aux entreprises pharmaceutiques, aux médecins, aux cliniques privées dʼinfluencer ses décisions. Je déplore que les partis bourgeois suivent trop souvent ces lobbys. Cette triste réalité est bien sûr en lien avec le financement des campagnes électorales.

- La Suisse évolue comme le reste du monde: toujours plus de travailleurs pauvres et toujours plus de millionnaires, pas forcément travailleurs, mais souvent actionnaires.
- Oui et la majorité de notre parlement pousse dans ce sens. Un exemple: ce parlement a réussi lʼexploit cette année de refuser lʼentrée en matière sur un projet du Conseil fédéral qui devait garantir qu’au moins lʼAVS soit indexée au coût de la vie. On sait que la part LPP des rentiers, soit la moitié de leur revenu, nʼest pas indexée. Pour l’AVS, la Constitution prévoit que la rente soit au moins indexée sur les prix, ce que la loi ne garantit plus depuis deux ans. Il s’agissait donc d’ajouter environ 10 francs par mois par personne, 20 francs par couple. Et la majorité bourgeoise a refusé dʼentrer en matière. En pleine année électorale, la droite et même, au Conseil des Etats, Le Centre ont osé se permettre ça! Cela montre à quel point ces gens sont loin des réalités. Autre exemple avec lʼinitiative du PS qui demandait le plafonnement des primes maladie. Le Conseil des Etats a dans un premier temps aussi refusé dʼentrer en matière, même sur un contre-projet. A chacune et chacun de décider dans un mois par qui il souhaite être représenté à Berne. Mais surtout, nous avons la chance, en Suisse, d’avoir une démocratie directe. Donc la population peut se défendre. Cela sera possible en mars, lors de la votation sur la 13e rente AVS, et probablement en juin, sur le plafonnement à 10% des primes. Les citoyennes et citoyens suisses auront là aussi l’occasion de protéger un peu leur niveau de vie.

- La transparence obligatoire et intégrale des salaires, ce serait une bonne chose?
- Pourquoi pas.

- Et si vous êtes élu au Conseil des Etats dans un mois, le pouvoir d’achat sera un de vos thèmes principaux?
- Oui, parce que l’expression «pouvoir d’achat», pour moi, ne désigne pas la possibilité d’acheter mais la possibilité de vivre normalement. En Suisse, chacune et chacun qui travaille ou qui a travaillé toute sa vie devrait pouvoir se nourrir, se vêtir, se loger et se payer un loisir de temps en temps. Et cette promesse que fait l’Etat à ses citoyennes et citoyens n’est pas tenue pour tout le monde. Cela a été mon combat de conseiller d’Etat vaudois et ce sera celui de conseiller aux Etats si je suis élu.

- Si cette paupérisation rampante devait se poursuivre en Suisse, qu’est-ce qui risquerait de se passer?
- Le sentiment d’appartenance nationale et à la démocratie va s’éroder. Est-ce que cela se traduira par des manifestations de colère, comme à Cointrin cet été, c’est difficile à dire. J’ai été très impressionné par la grève des employés qui ont bloqué complètement l’aéroport parce qu’on s’attaquait à leurs salaires alors que le directeur venait de s’augmenter. Je n’aurais jamais cru voir cela en Suisse. Et, de manière générale, je crains une dégradation rapide du rapport au travail, un découragement, une démotivation générale. Quand les exigences augmentent et que le salaire réel baisse, cela a des conséquences sociales profondes et durables.

Par Philippe Clot publié le 25 septembre 2023 - 08:41