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Interview intime

Pierrick Destraz: «Les drogues t'éloignent de toi-même»

Sur scène, Tonton Pierrick raconte l’histoire du rock, le destin des stars, la drogue. Chez lui, l’artiste parle du rocker qu’il a été et d’un nouvel homme, apaisé, amoureux, végane et en marche sur le chemin d’une certaine sagesse.

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Didier Martenet/L'illustré

Votre maman est décédée le 9 septembre dernier, victime d’un cancer fulgurant, comment allez-vous aujourd’hui?

Je vais bien mais je pense à elle tous les jours. Il y a des remontées de tristesse qui peuvent arriver n’importe quand dans la journée. Mais le temps de sa maladie nous a aussi permis de nous retrouver, d’entrer vraiment en contact, de nous dire des choses que l’on n’arrivait pas à se dire avant. Sur la fin, on a pu se montrer notre amour, c’est une des conséquences positives de ce qui s’est passé.

Et comment va votre père?

Il va bien aussi. C’est très dur, mais il a recommencé à voir des gens, à sortir, à voyager. Il s’est aussi remis à bosser sa guitare, ce qu’il ne faisait plus depuis longtemps. J’étais vraiment inquiet pour lui, se retrouver tout seul, dans sa grande baraque, après cinquante-trois ans de mariage…

Des noces d’or, c’est un anniversaire que vous n’allez pas fêter…

Non, ça, c’est foutu! Je vivais seul depuis sept ans et je ne comptais pas revivre avec qui que ce soit. Et puis j’ai rencontré Virginia et je me suis parjuré! Autrement, je m’en fiche un peu de la longévité d’un couple, ce qui m’intéresse, c’est ce qui passe à l’instant. J’ai arrêté de me projeter dans l’avenir… Virginia est plus jeune que moi, mais on vibre vraiment pareil, on partage la même vision du monde. Elle m’apprend beaucoup, et je lui apprends beaucoup aussi, c’est un bel échange. Elle m’aide à être cohérent et à vivre selon mes valeurs. Bon, c’est un peu le job d’une vie, mais aujourd’hui, j’ai très faim de comprendre et de déconstruire certaines certitudes et des croyances qui se rigidifiaient déjà… J’ai 47 ans, je ne suis pas vieux, mais j’ai déjà dans ma tête des trucs un peu rigides.

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Depuis le décès de sa maman, Pierrick conserve toujours sur lui ces cristaux qu'elle gardait précieusement auprès d'elle. Photo: Didier Martenet Didier Martenet/L'illustré

En 2007, vous publiez aux Editions Favre un livre très fort et très émouvant, une biographie de votre père…

Au départ, c’était un cadeau que je voulais lui faire pour ses 50 ans. Mais je n’ai pas fini à temps et j’ai abandonné. Je l’ai repris quinze ans plus tard, à sa demande, et c’est sorti pour ses 40 ans de carrière. J’étais alors dans une position différente, je voulais vraiment découvrir qui était mon père, Henri Destraz, parce qu’il avait beaucoup existé à travers Henri Dès. J’avais envie de connaître son enfance, son adolescence… Le livre a aussi été un peu thérapeutique, je réglais mes comptes et l’accouchement a été douloureux. C’est à ce moment-là que j’ai creusé l’histoire de mon frère et de sa mort prématurée et sans laquelle je ne serais pas là... Ce livre, je l’ai commencé en pleurant sur mon clavier et je l’ai fini à l’hôpital psychiatrique! J’ai fait un burn-out, c’était aussi au moment de mes débuts sur Couleur 3, j’avais encore une boîte de vente de partitions. Bon, c’est pas seulement le bouquin, à l’époque, je consommais aussi pas mal de drogue…

Quel genre de drogue?

De la cocaïne, beaucoup, pendant vingt ans. J’avais tout le temps du monde autour de moi, je me faisais un peu aimer comme ça dans le milieu. La cocaïne, ça te fait parler, ça te fait tenir toute la nuit, tu as l’impression d’avoir tout le temps la pêche mais tu es complètement stressé à l’intérieur. Avec le recul, c’est un peu ridicule mais quand tu n’es pas sûr de toi, de ce que tu vaux, tu as tendance à essayer de te faire aimer par des biais un peu tordus. C’est ce que j’ai fait.

Et aujourd’hui?

J’ai arrêté il y a maintenant quatre ans.

Comment avez-vous fait?

Avec l’aide de ma copine de l’époque. L’amour, c’est une belle motivation et puis elle m’a aidé avec tellement de compréhension. En arrivant un jour dans son pays, je me suis fait fouiller à l’aéroport. J’en avais sur moi mais ils n’ont rien trouvé. Quand je lui ai raconté l’histoire, elle m’a dit que j’allais finir en prison et m’a demandé ce que je dirais alors à mes enfants et à mes parents, et aux siens. Le voyage suivant, je suis venu sans cocaïne, je suis resté dix jours et ça c’est super bien passé, je me sentais vachement mieux. Après, pour mon retour chez moi, elle m’avait proposé un petit challenge: ne rien prendre pendant trois jours, j’ai tenu, et je n’en ai jamais repris… Il a fallu que j’arrête pour constater que c’était mieux sans.

Qu’est-ce qui vous a amené à la drogue?

J’ai été un enfant désiré, choyé. Après avoir perdu un enfant, mes parents avaient très peur qu’il m’arrive quoi que ce soit, j’ai donc été très protégé et je ne suis pas sûr que ça soit une bonne idée de surprotéger un enfant. Mais j’ai vraiment vécu une enfance heureuse, donc a priori il n’y a pas de raison, mis à part la curiosité, le désir d’expérimenter, de transformer mes perceptions, ma conscience… Depuis des milliers d’années – j’en parle dans mon spectacle –, les humains utilisent des drogues diverses et variées. Sinon, les drogues récréatives, c’est rigolo, c’est parfois dangereux mais ça t’éloigne de toi. Tu prends quelque chose et tu vois le monde différemment, alors c’est quoi la réalité? Le simple fait de se poser la question ouvre des portes. Ça rend plus humble par rapport au monde qui nous entoure... Le sacré, c’est ce qui manque aujourd’hui. Je ne suis pas du tout religieux, mais le sacré, on devrait en parler à l’école! Parce que quand tu remets le sacré dans ta vie, non seulement elle devient plus belle, mais tu as envie de la respecter, de respecter ton corps et de respecter les autres.

Vous vous sentez sur le chemin de la sagesse?

Je ne sais pas, mais pendant très longtemps mes limites n’étaient pas claires, donc j’ai été très loin pour les trouver, dans tous les sens, jusqu’à me cogner la tête aux murs de mes limites. Parfois, j’ai dû me cogner la tête plusieurs fois avant de comprendre qu’il ne fallait pas aller par là… Quand j’ai commencé à me poser des questions sur mon fonctionnement, j’ai réalisé que j’avais à la fois une grande confiance en moi et un grand manque de confiance, comme un monstre à deux têtes!

Comment réconcilier ces deux êtres?

L’année dernière, je suis allé dans la jungle au Pérou faire une expérience assez inédite avec de l’ayahuasca, un breuvage de lianes hallucinogène. Des gens utilisent l’ayahuasca comme drogue récréative mais ça n’a pas tellement de sens. Moi, je suis resté dix jours dans un endroit ultra «roots», à vivre à poil dans une hutte, à me laver dans la rivière, parmi plein d’araignées pas très feng shui! Mais là, j’ai vécu cinq cérémonies. Selon la tradition, tu bois la potion, le chaman chante et quand tu pars en vision, il te maintient un minimum sur terre, parce que ton cerveau ne fait plus la différence entre la vision et la réalité. Au cours d’une vision, je me suis retrouvé enfermé dans une crypte pendant des mois – parce que tu perds aussi la notion du temps… Et là j’ai dû me préparer à ma mort, accepter ma mort. Psychologiquement, ce sont des expériences vraiment très fortes, parce que tu dois aller chercher dans tes ressources, tes ressources de patience, d’humilité; et tu reviens de là avec de nouveaux outils.

Lesquels par exemple?

Par rapport à ma peur de l’abandon – j’ai souvent quitté des femmes par peur d’être abandonné –, eh bien en vivant en vision une sorte d’abandon de manière ultraviolente, j’ai pu faire des liens avec des situations que j’avais vécues induites par cette peur. J’ai compris beaucoup de choses sur moi-même, j’ai appris à ne pas réagir de manière tripale. On en apprend beaucoup plus sur soi dans les moments de douleur, l’expérience avec ma maman, que ma maman devait vivre, que mon papa devait vivre , nous avons essayé de la vivre le mieux possible, de la vivre avec le cœur et non pas avec la peur, de ne pas se laisser prendre dans un tourbillon d’émotions. En 2016, j’ai fait dix jours de méditation vipassana en Israël. Dix heures de méditation par jour. C’est super violent mais j’en suis sorti grandi. Mon burn-out aussi, je l’ai pris comme une opportunité de me «reseter» et de me reconstruire différemment. Ça m’a pris dix ans mais aujourd’hui je suis bien.

Après un premier spectacle sur les bluesmen et les débuts du rock, vous racontez aujourd’hui la suite de l’histoire, vous vivez dans la nostalgie des sixties?

Non, la nostalgie, c’est sortir de l’instant. Mais j’aime bien penser aux choses agréables du passé. Pour la musique, les années 60 sont extraordinaires. Je parle pas mal de drogue parce que le LSD et les amphétamines ont beaucoup influencé la manière de composer. Des groupes comme Jefferson Airplane ou Pink Floyd... Et puis, il m’a pris la lubie d’écrire mon texte avec des rimes, c’est une contrainte un peu chiante mais le résultat est plutôt chouette, ça fait un peu chanté.

Dans le livre, vous expliquez que, enfant, vous voyiez votre père comme l’Empire State Building – pour dire comme vous l’admiriez –, et vous, quel genre de bâtiment seriez-vous?

Une cabane en bois! Ce serait tout à fait dans ma démarche de décroissance. Parce qu’aujourd’hui par exemple, je me retrouve dans cette maison, immense, avec tout ce fourbi que j’adore mais qui ne sert à rien, en fait. Du coup, j’aimerais bien vivre dans un endroit beaucoup plus simple, de type cabane en bois.

Au chaud comme Gauguin ou en Sibérie comme Sylvain Tesson?

Plutôt au chaud, genre Jacques Brel, dans une jungle. Je n’adore pas le froid. Quoique l’image d’une cabane dans la neige… Sortir emballé dans une peau de renne, mais non, je suis maintenant végane donc je ne peux plus mettre de peau de renne!

Vous ne consommez plus de produits d’origine animale?

Non, depuis six mois, j’ai éliminé toutes les matières issues de l’exploitation animale. J’étais déjà végétarien depuis vingt ans mais Virginia (Virginia Markus, ndlr), qui est très engagée pour l’antispécisme, a trouvé les bons mots pour m’expliquer que si on ne mangeait plus de viande à cause des conditions d’élevage, on pouvait appliquer le même raisonnement pour le cuir ou la laine… Je fermais les yeux mais j’étais incohérent. Aujourd’hui, je suis très heureux de ce dernier petit upgrade, je ne me sens plus jamais mal par rapport à ce que j’achète.

Sans regrets?

De temps en temps, il m’arrive de penser à une fondue… J’étais un gros consommateur de fromage et ça a été le plus difficile à supprimer. Mais je ne pourrais pas revenir en arrière. Je ne veux plus cautionner l’exploitation animale. Je ne vais peut-être pas jeter tous mes blousons mais je ne m’achèterai plus d’article en cuir.

Une piste pour continuer?

Jusque-là, j’ai passé ma vie d’adulte à fonctionner essentiellement avec mon mental. Aujourd’hui, j’essaie de fonctionner le plus possible avec mon cœur. Si tu te connectes à ton cœur, tu ne peux pas te planter. Quand tu as un choix à faire, que tu dois agir ou dire quelque chose, si tu n’es pas trop sûr, tu te connectes à ton cœur et tu sais ce que tu dois faire.

Par Jean-blaise Besencon publié le 9 mars 2018 - 00:00, modifié 15 mai 2018 - 17:08