Deux personnalités, deux styles, deux trajectoires croisées, mais une amitié sans nuage et surtout une même foi en un monde qui pourrait, qui devrait être plus sage, plus rationnel, plus économe et respectueux de ses ressources naturelles. D’un côté le dynastique Bertrand Piccard, 60 ans le 1er mars prochain, de l’autre le self-made-man Raphaël Domjan, 46 ans.
Trois tours du monde singuliers à eux deux: un en ballon et un en avion solaire (Solar Impulse) pour le premier. Un seul pour le deuxième, en bateau solaire (PlanetSolar), mais un probable futur record d’altitude en avion solaire avec son SolarStratos, qui corrige actuellement ses défauts de jeunesse avant d’aller taquiner la stratosphère.
Ces deux héros et hérauts du photovoltaïque s’étaient donné rendez-vous à Château-d’Œx la semaine passée pour embarquer dans une minuscule nacelle de montgolfière. Le Neuchâtelois avait en effet invité le Vaudois à tenter un exercice que l’aérostier circumterrestre n’avait encore jamais réalisé: sauter en parachute depuis un ballon. Un exercice un peu inhabituel, même pour un parachutiste émérite comme lui.
Car à la différence d’un saut depuis un avion, ici le saut débute sans vent, donc sans appui, et dans un silence parfait. «J’ai le trac», reconnaissait d’ailleurs le psychiatre en s’équipant, tandis que l’enveloppe du ballon commençait à se gonfler. Comme pour mieux surmonter son appréhension, l’aventurier avait déjà décidé de sa technique de saut: les pieds en avant.
«Absolument fantastique»
Les conditions étaient en tout cas idéales ce jour-là: très peu de vent et un ciel parfaitement dégagé. De quoi espérer une ascension pratiquement à la verticale du terrain d’envol. La montée est ultrarapide dans ce ballon piloté par Pierrick Duvoisin, détenteur de records du monde de durée de vol et concepteur de ce ballon écologique muni d’une double enveloppe métallisée très isolante, qui réduit au minimum de moitié la quantité de gaz.
Avec une vitesse ascensionnelle de près de 10 mètres par seconde, le ballon se retrouve en vingt minutes à 2000 mètres du sol, marge de sécurité nécessaire afin d’offrir aux parachutistes suffisamment de temps pour ouvrir leur voile de secours en cas de problème. «C’est absolument fantastique», répète Piccard en prenant place sur la plateforme extérieure en carbone, avant de sauter droit comme un T, bras écartés, et d’ouvrir sa voile une quinzaine de secondes plus tard. Raphaël Domjan la joue plus fun en se laissant tomber en arrière et en ouvrant son parachute plus tard, ce qui lui permettra de rattraper son camarade pour un atterrissage simultané.
«Sauter d’un ballon, c’est ce qui se rapproche le plus de certains rêves que je fais régulièrement. C’est aussi ton cas, Bertrand?» demande Domjan à son coéquipier d’un jour. «Non, moi, je rêve que je vole simplement en écartant les bras et que j’encourage les autres personnes présentes dans mon rêve à faire pareil.»
Mais les émotions, ça creuse. Le directeur du festival, Frédéric Delachaux, a réservé une table sous la tente VIP aux parachutistes solaires et à leur pilote.
Piccard veut tout savoir des secrets de ce ballon si sobre en propane. Pierrick Duvoisin lui explique le concept, qui commence d’ailleurs à s’imposer dans le petit monde des aérostiers. Cette technologie aurait peut-être rendu son tour du monde en ballon bien plus simple si elle avait existé il y a vingt ans.
«Amitié collaborative»
Mais pour Piccard, le ballon, c’est du passé. Depuis la fin du tour du monde de Solar Impulse, il s’est proposé de collecter et de certifier avec sa fondation mille solutions technologiques écologiques et rentables. Et c’est là que les deux aviateurs solaires se retrouvent et nourrissent leur «amitié collaborative», pour reprendre la formule du Vaudois.
Dans l’avion stratosphérique de Raphaël Domjan, à la place du passager, s’assiéront en effet les personnalités politiques haut placées (et courageuses) qui auront reçu au préalable le catalogue des 1000 idées géniales. Car pour mieux gouverner, il faut prendre de la hauteur. Et en cas d’avarie, ils auront eux aussi un parachute.
«Le mur approche très vite!»
Le solaire est enfin pris au sérieux et soutenu par des mécènes influents, tel Albert de Monaco. Rencontre avec un prince en état d’urgence écologique.
«Le plus rationnel et le plus urgent, c’est de sortir de l’énergie carbonée et de se reporter sur des énergies renouvelables. Il est inconcevable que l’on continue
à rejeter dans l’atmosphère des gigatonnes de CO2 et d’autres gaz à effet de serre. Le dernier rapport du GIEC vient de confirmer ce degré d’urgence pour une transition énergétique radicale.» Présent au Montreux Palace pour inaugurer l’exposition et le livre de la Fondation PlanetSolar sur les pionniers du solaire,
le prince Albert de Monaco fait visiblement sien l’alarmisme écologique de la communauté scientifique.
«Changer nos habitudes»
«L’optimisme reste de rigueur mais il dépend du degré de prise de conscience du plus grand nombre. Il faut aussi rester optimiste malgré tout, car des solutions, certes encore insuffisantes pour régler tous les problèmes écologiques, existent déjà pour alléger l’empreinte humaine sur la biosphère. Le frein au changement, ce sont les mauvaises habitudes que notre espèce a prises. Les énergies renouvelables ont un rôle très important pour nous aider à changer de paradigme, changer nos habitudes.»
Il était déjà temps pour Son Altesse de repartir vers d’autres cieux après avoir remis un prix à Fred To, 80 ans, l’adorable concepteur du tout premier avion solaire. A l’image de cet inventeur d’une aviation douce, la plupart de ces aventuriers de la mobilité solaire des années 70 et 80 sont désormais de vénérables seniors. L’engouement pour ces drôles d’engins promettant de reléguer le pétrole dans les profondeurs géologiques d’où il n’aurait jamais dû être extrait, ces compétitions joyeuses qui attiraient les foules, ces bricolages poétiques et pourtant efficaces, tout cela avait été éclipsé par le conformisme grégaire des années 2000.
Mais ce sont bien ces Icare du XXe siècle qui avaient raison. La mobilité électrique, en partie solaire, semble en effet s’imposer partout dans le monde. Même si elle ne répondra pas à toutes les urgences écologiques, cet avènement à retardement permettra peut-être, par effet domino, d’entraîner citoyens et décideurs vers des choix économiques, technologiques et sociétaux toujours plus éclairés.