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Santé

Le plaidoyer de Claude pour le don d'organes

Claude Lonfat défend vigoureusement l’initiative sur le don d’organes et pour cause. Le Valaisan a perdu sa femme et son fils aîné à cause d’une maladie rare, mais son cadet a été sauvé in extremis par une transplantation cardiaque.

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Sedrik Nemeth

S’il en est un qui s’est battu pour cette cause, c’est bien ce Saviésan de 61 ans au tutoiement et à la tchatche faciles. A Berne, vendredi dernier, Claude Lonfat était présent, en pensée, avec les initiants qui ont remis à la Chancellerie fédérale l’initiative en faveur du consentement présumé pour le don d’organes (voir encadré), signée par plus de 145'000 personnes.

Succession de malheurs

Des années que le Valaisan témoigne dans la presse, les écoles, pour informer, convaincre que le don d’organes en cas de mort cérébrale sauve des vies; «un donneur peut sauver jusqu’à 12 personnes», répète-t-il en boucle, lui qui aurait bien aimé qu’on puisse sauver tous les siens, mais le destin en a décidé autrement.

Un destin qui a failli le mettre KO. Et l’on se dit, juste avant de faire la liste de ses malheurs, bien trop nombreux pour un seul homme, que sa bonne humeur, sa gentillesse et l’énergie qu’il met encore à vouloir aider les autres ont quelque chose de surnaturel. Son humour aussi. Incroyable, cet humour, puisé chez Pierre Dac ou Desproges, comme une bouée de sauvetage qui l’a empêché de se faire engloutir. «L’aveugle aux mille malheurs», avait titré en 2008 un journal après la parution d’un livre dans lequel Claude racontait son parcours. Oui, mais l’aveugle aux mille ressources aussi.

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Frappé par une rétinite pigmentaire, le Valaisan a perdu la vue mais cela ne l’empêche pas de pratiquer la sculpture sur pierre ollaire. Depuis des années, il milite publiquement pour éveiller les consciences à la nécessité du don d’organes. Sedrik Nemeth

Les cornées de son fils

Claude Lonfat a perdu sa femme et son fils aîné à quelques années d’intervalle, tous deux atteints de la maladie de Danon, une pathologie rare (moins d’une personne sur un million) qui détruit progressivement le muscle cardiaque. Son deuxième fils a pu être sauvé grâce à une transplantation. Quand on ajoute à tout ça que le Valaisan a perdu la vue au moment où sa femme est décédée en 1993, le laissant avec deux petits garçons de 5 et 7 ans, on se dit stop: trop, c’est trop.

Si la vie de Claude était une série TV, le scénario serait refusé pour excès de pathos. «Pourtant, c’est ma vie et je ne me plains pas. Le seul moyen de donner du courage à mes enfants, c’était d’en avoir! A la mort de ma femme, j’ai accepté de donner certains de ses organes. Que ton urne pèse 4,5kg ou 4,3kg ça ne change rien pour toi, mais ces 200 grammes peuvent redonner la vie à plusieurs personnes. Pour mon fils aîné, décédé à 20 ans, la maladie était trop avancée, mais j’ai donné ses cornées. Nous sommes dans une culture judéo-chrétienne où les gens ont souvent peur de donner, surtout les yeux. Mais dans le cercueil, tu sais, les paupières sont fermées. Le fils d’un aveugle qui permet à deux personnes de retrouver la vue, ce n’est pas rien, quand même. Le jour de son enterrement, j’étais triste et heureux à la fois, je me disais: on est au cimetière, mais deux personnes peuvent revoir le ciel.»

Chien d'aveugle... borgne

Claude sourit, attentif à notre réaction devant la photo de son chien Cajal. «A la fin de sa vie, il a perdu un œil, je devais être le seul aveugle au monde guidé par un chien borgne», rigole ce bon vivant en débouchant une bouteille de blanc. Il n’y voit plus rien, mais sait à quoi ressemblent le ciel et la couleur des vignes qui ne sont pas loin. «J’adorais les chevaux, j’étais instructeur d’équitation, j’aurais pu faire une belle carrière dans les concours hippiques, sans ma maladie. Par la suite, j’ai été gérant d’un magasin de sport à Sion. Ma rétinite pigmentaire s’est aggravée au fil des ans et un jour on m’a licencié.»

Heureusement, «Savièse est remplie de petites Sœurs Emmanuelle. Il y avait toujours quelqu’un pour me conduire où je devais aller.» Notamment au CHUV, où, après la mort de son épouse Jeanne, Christophe et Xavier, ses deux fils, ont dû subir de nombreux examens pour déterminer s’ils étaient porteurs de la maladie qui a emporté leur maman. «Il fallait à tout prix poser un défibrillateur à mes enfants pour s’assurer que leur cœur se remette en marche en cas d’arrêt cardiaque. Ça a sauvé la vie, temporairement, de Christophe. Il a fait 22 arrêts cardiaques, il a pu vivre quatre ans de plus grâce à cet appareil, mais son cœur, qui ne fonctionnait qu’à 10%, était en trop mauvais état pour envisager une transplantation. Mais je peux dire que nous avons profité de tous les instants avec lui et ça déconnait fort dans sa chambre au CHUV. Avant de mourir, en 2006, il a dit à son frère: «Tu sais Xavier, je vais mourir, mais toi, tu vas t’en sortir, j’ai fait le cobaye pour toi!»

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Il a donné les organes de son épouse, morte en 1993, et les cornées de son fils aîné, décédé en 2006 de la même maladie génétique que sa mère. DR

«Ce cœur est le sien»

A chaque décès, Claude s’est concentré sur ceux qui restent en vie. «Je ne veux pas vivre avec les morts; le cimetière, je le laisse aux autres.» Toute sa force et son énergie au service du survivant. «Xavier était en meilleure condition physique que son frère, une greffe pouvait être envisagée. Les médecins l’ont mis en tête de liste d’attente du fait qu’il avait un groupe sanguin rare. Dans sa chambre, ils étaient trois à attendre un cœur. Un d’entre eux a été greffé quelques mois après lui, mais le troisième est mort, faute de donneur. Je me souviendrai toujours de ce souper, quand le téléphone a sonné six mois après la mort de Christophe: «Il y a un cœur pour Xavier!»

Une transplantation qui paraît loin aux yeux du principal intéressé. Xavier Lonfat est un garçon de 30 ans calme et réservé, qui a retrouvé une vie normale même si sa condition physique est toujours fragile. Son donneur, il y pense parfois, lui voue une grande reconnaissance, mais désormais son cœur est son cœur. «Il l’a totalement fait sien», explique son père.

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Avec Xavier, son fils de 30 ans, atteint de la même maladie que sa mère et son frère, mais sauvé grâce à une transplantation cardiaque en 2007. Sedrik Nemeth

Le don d'organes, sa cause

Il a peu de regrets, Claude, mis à part l’impossibilité de voir le corps des femmes, il dévore jusqu’à six livres par semaine empruntés à la bibliothèque sonore et sculpte des heures durant une pierre ollaire qu’il caresse sensuellement et dont il expose parfois les métamorphoses. Le don d’organes est devenu sa cause. «C’est important de choisir le consentement présumé pour augmenter le nombre de donneurs, même si en dernier ressort la famille a toujours le dernier mot, comme aujourd’hui. Mais au moins les choses seront plus claires pour tout le monde.»

Claude n’est pas trop croyant, mais qui pourrait lui en vouloir? «Si Dieu existe, il doit être méchant, déclare-t-il. Parfois, certaines personnes me disaient qu’il n’envoie des épreuves qu’à ceux qui ont les épaules assez larges pour les supporter. Moi, je dis que j’aurais volontiers partagé avec les autres!»


Augmenter le nombre de donneurs

Le peuple votera au plus tôt en 2021 sur le consentement présumé.

L’initiative populaire «Pour sauver des vies en favorisant le don d’organes», lancée en 2017 par la Jeune chambre internationale Riviera (JCI), a été remise à la Chancellerie fédérale à Berne le 22 mars, forte de plus de 145'000 signatures (113'000 validées par les communes).

Elle propose que toute personne devienne donneuse d’organes, à moins qu’elle n’ait fait connaître son choix opposé au cours de sa vie, avec la possibilité de l’inscrire dans un registre officiel. Un système de consentement présumé déjà en vigueur dans bon nombre de pays européens, comme l’Autriche, la France, l’Italie, le Portugal, l’Espagne, la Belgique ou, dernièrement, les Pays-Bas, dont le but vise à augmenter le nombre de transplantations permettant de sauver des vies. En France, il existe par exemple 27 donneurs par million d’habitants, contre 15 en Suisse.

Longue liste d'attente

Confiant dans le fait que, selon un sondage, 80% de la population est favorable au don d’organes, Julien Cattin, président du comité d’initiative, espère un vote populaire au plus tôt en février 2021. Certes, pour chaque don d’organes, les proches continueront à être consultés et pourront, le cas échéant, s’opposer aux dons, mais le système proposé, affirme ce jeune entrepreneur, a le mérite d’être plus clair pour tout le monde. Aujourd’hui, seuls 5% des personnes décédées avaient clairement fait part de leurs vœux et seulement un tiers des proches d’un défunt connaissent ses dernières volontés en matière de don d’organes.

En 2018, 1412 personnes étaient sur liste d’attente pour recevoir un organe, 599 ont été transplantées, 68 sont décédées faute de donneur. La plupart d’entre elles avaient besoin d’un foie, d’un rein ou d’un cœur.


Par Baumann Patrick publié le 27 mars 2019 - 08:32, modifié 18 janvier 2021 - 21:03