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Pour ou contre la 13e rente AVS? Le face-à-face entre deux économistes

Alors que le peuple se prononcera le 3 mars sur une éventuelle augmentation de la rente AVS touchée par les retraités dans le cadre de l'initiative «Mieux vivre à la retraite», le ton monte d'un cran entre les partisans et les opposants de l'initiative. Sergio Rossi et Beat Kappeler, tous deux économistes, débattent respectivement des pour et des contre.

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Sergio Rossi et Beat Kappeler, tous deux économistes, débattent respectivement des pour et des contre de l'initiative sur la 13e rente AVS

Sergio Rossi et Beat Kappeler, tous deux économistes, débattent respectivement des pour et des contre de l'initiative sur la 13e rente AVS.

Shutterstock, Maurizio Solari/Université de Fribourg, RDB

Sergio Rossi, professeur ordinaire de macroéconomie et d’économie monétaire à l’Université de Fribourg: «Un micro-impôt sur les transactions sans espèces couvrira largement les 5 milliards nécessaires»


- Pour quelle(s) raison(s) êtes-vous favorable à l’initiative?
- Sergio Rossi:
Parce qu’elle permet de soutenir le pouvoir d’achat de beaucoup de personnes à la retraite qui, en l’état, ont des difficultés financières suite à des renchérissements dont elles ne sont aucunement responsables. Il s’agit surtout des femmes qui ont dû interrompre leurs activités professionnelles pour s’occuper de leurs enfants ou qui, durant ces activités, ont été rétribuées de manière insuffisante pour épargner une somme permettant de vivre dignement durant leur retraite.

- Cette précarité touche-t-elle d’autres catégories, selon vous?
- De plus en plus d’hommes vont aussi souffrir de ces problèmes, vu le nombre de places de travail qui ne sont pas suffisamment rémunérées pour mener une vie digne en Suisse. L’initiative a un autre mérite: elle va soutenir l’activité économique puisque le pouvoir d’achat des retraité·e·s va augmenter ainsi que leurs dépenses. Cela permettra à des entreprises, en particulier de taille petite ou moyenne, d’augmenter également leur chiffre d’affaires, ce qui améliorera leurs profits et contribuera à accroître le niveau d’emploi.

- Et donc les recettes fiscales, si on pousse votre raisonnement?
- C’est exact. Tout cela bénéficiera aussi aux finances publiques, d’autant plus qu’il y aura aussi moins de dépenses pour les politiques sociales.

- Les adversaires de l’initiative parlent d’un cadeau que le pays n’a pas les moyens d’offrir...
- Le montant nécessaire pour financer une 13e rente AVS, environ 5 milliards de francs par année, peut être obtenu de différentes manières qui ne pèseront aucunement sur l’économie nationale: au lieu de faire payer cette somme en augmentant même légèrement les charges sociales des employeurs et des employé·e·s, il vaudrait mieux prélever un micro-impôt sur le trafic des paiements sans espèces, dont la très grande majorité concerne des transactions financières qui ne sont à l’origine d’aucune valeur ajoutée dans l’ensemble de l’économie nationale puisqu’il s’agit d’activités purement spéculatives.

- D’autres souhaiteraient que les personnes déjà fortunées ou très à l’aise ne jouissent pas de ce «cadeau»...
- Il est vrai que l’initiative permet aux personnes qui n’en ont pas besoin de recevoir davantage de rente AVS une fois qu’elles sont à la retraite. Mais il faut reconnaître que les charges sociales payées par les travailleurs gagnant des salaires très élevés dépassent largement le montant de leurs rentes AVS une fois à la retraite. L’AVS est une assurance sociale à proprement parler, car elle est véritablement solidaire et intergénérationnelle. De surcroît, elle est beaucoup plus solide et efficace que le 2e pilier, entendez les caisses de pension, parce qu’elle verse aux retraité·e·s les montants qu’elle prélève aux personnes actives sur le marché du travail, sans passer par les marchés financiers et dès lors sans devoir supporter les risques que ces marchés comportent pour les personnes assurées.


Beat Kappeler,  économiste à la retraite, chroniqueur à la «NZZ» et au «Nebelspalter», le plus ancien titre satirique publié au monde (1875): «Cette rente est absurde et n’a pas lieu d’être»

- Pour quelle(s) raison(s) êtes-vous défavorable à cette initiative?
- Beat Kappeler: J’en ai une multitude, qui démontrent que l’idée de cette 13e rente est absurde et n’a pas lieu d’être. Premièrement, les statistiques le montrent, la classe des rentiers est plus riche que la moyenne de la population en Suisse. Lui offrir une 13e rente avec un système qui arroserait tout le monde favoriserait donc une catégorie de personnes globalement plus à l’aise que les autres. C’est déjà une ineptie sociale et économique en soi.

- Les retraités aisés existent en effet, mais vous n’ignorez pas qu’il y a aussi un bon nombre d’entre eux qui vivent dans la précarité ou se privent de beaucoup de choses...
- C’est vrai. Raison pour laquelle ont été créées les rentes complémentaires. Les personnes qui peuvent justifier d’en être bénéficiaires doivent absolument les demander. C’est un droit, ce n’est pas de l’aumône. Grâce à elles, aucun rentier AVS touchant la rente minimale ne vit au-dessous du seuil de pauvreté. Ce système est idéal car, contrairement à celui de l’arrosoir, il entre dans les détails des situations particulières, ce qui permet de maintenir les rentes au niveau où elles sont aujourd’hui. Environ 10% des retraités les perçoivent. Inutile donc d’arroser les 90% restants. Et ce  n’est pas tout...

- C’est-à-dire?
- Depuis 1985 et l’existence du 2e pilier, pratiquement tout le monde a cotisé, peu ou prou, selon son temps de travail et ses moyens. En ajoutant ce revenu à l’AVS et aux prestations complémentaires, la somme reçue chaque mois garantit l’objectif inscrit dans la Constitution qui est de toucher au moins 60% de son dernier salaire. Et je ne parle pas du 3e pilier, facultatif et à la portée d’une grande majorité de la population. Même les personnes à faible revenu qui mettent de côté le minimum bénéficient d’une somme non négligeable au bout de trente ou quarante ans.

- La Suisse a les moyens de financer cette 13e rente, qui serait quoi qu’il en soit bienvenue avec la hausse continuelle du coût de la vie, non?
- Ce sera fatalement à la jeune génération de porter le chapeau. De plus, on n’échappera pas à une nouvelle hausse de la TVA. Au bout du compte, tout le monde bénéficiera de cette 13e rente et tout le monde la paiera. C’est un cercle vicieux insensé et nul. Et tout cela sans prendre en compte la baisse de la natalité. Tous les piliers européens de répartition directe et non capitalisée souffrent du fait que nous ne faisons plus assez d’enfants alors que, à l’autre bout de la chaîne, nous vivons plus longtemps. Ce n’est donc pas le moment d’augmenter le débit. Economiquement, ce serait idiot. Et plus encore étant donné que, comparées à celles des pays qui nous entourent (y compris l’Allemagne), nos rentes sont nettement supérieures, même si le coût de la vie est plus élevé chez nous. Pour tous ces arguments, je trouverais inouï qu’on touche une 13e rente et qu’on doive payer plus de TVA pour celles et ceux qui n’ont pas économisé.

Par Christian Rappaz publié le 19 février 2024 - 09:47