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«Dirty Dancing», 35 ans après

Pourquoi il faut revoir «Dirty Dancing»

Trente-cinq ans après sa sortie, «Dirty Dancing» trône toujours au panthéon des films cultes, porté par un duo d’acteurs devenu mythique et une bande-son oscarisée. Référence d’un genre qu’elle transcende grâce à sa double lecture, cette comédie romantique aborde des sujets comme l’émancipation des femmes et leur droit à disposer de leur corps sans subir le jugement de la société. Décryptage. 

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Dirty Dancing

C’est sa mère qui lui a transmis le virus «Dirty Dancing». Ayana Uldry, 13 ans, incarne ce coup de cœur cinématographique et chorégraphique transgénérationnel.

Darrin Vanselow
carré blanc
Amanda Castillo

«Tiens, si on se faisait les dents sur un petit film, genre «Dirty Dancing», quelqu’un l’a vu?» Nous sommes le 3 janvier 1988 sur France Inter. L’émission «Le masque et la plume» est menée par le grand Pierre Bouteiller. Comme tous les dimanches soir, la fine fleur de la critique débat de l’actualité culturelle. Sans surprise, les critiques du «Masque» n’épargnent pas ce «petit film» dans lequel un garçon drague une fille surnommée «Bébé» en déclarant: «J’adore voir tes longs cheveux flotter dans la brise.» Ils ne sont pas les seuls. A sa sortie en France, en décembre 1987, «Dirty Dancing» est un flop (à l’inverse des Etats-Unis, où le film a rapporté 63 millions pour un budget initial de 5 millions). Le public range ce long métrage dans la catégorie des romances sirupeuses sans intérêt. Un certain nombre d’années s’écouleront avant que cette comédie musicale ne devienne culte grâce à la VHS, aux rediffusions télé et à sa bande-son mémorable.

Pourtant, comme le souligne à juste titre la journaliste Christine Mateus, «Dirty Dancing» est tout sauf un film niais. «C’est un loup déguisé en agneau. Il cache, derrière la bluette narrant l’histoire d’amour entre les personnages de Frances Houseman et de Johnny Castle, interprétés par les acteurs Jennifer Grey et Patrick Swayze, un véritable manifeste féministe.» Encore faut-il détenir la bonne grille de lecture. Mais commençons par poser le personnage principal. Au début des années 1960, une jeune fille sage issue d’un milieu aisé passe son été dans un «resort» des Catskills avec ses parents et sa sœur aînée. Souffrant du complexe d’Electre (l’œdipe féminin), cette intello un peu gauche souhaite s’engager dans le Corps de la paix et passe son temps à parler politique avec son père médecin. «Pour un personnage féminin érotisé, on repassera...» raille Christine Mateus. Ajoutons que le film s’ouvre sur la voix off de Jennifer Grey. Autrement dit, il traduit dès les premières secondes le point de vue féminin, le fameux «female gaze» dont il est tant question aujourd’hui.

Le personnage sexy, c’est... le mec!

Au cours des vacances, Bébé découvre le local d’un groupe de danse formé par les animateurs du village. L’ambiance y est électrique, désinhibée. C’est le début de l’émancipation. La jeune fille découvre son corps sur des rythmes sensuels grâce au ténébreux Johnny, un professeur de danse qui arrondit ses fins de mois difficiles en faisant le gigolo. «Objet de convoitise et de désir, il est LE personnage présenté comme sexy, pas elle. C’est rare au cinéma.» Comme dans la chanson des Ronettes «Be My Baby», qui fait partie de la bande-son, les rôles sont inversés: c’est Bébé qui demande à Johnny d’être «son bébé». A cet égard, l’héroïne, faut-il le rappeler, ne correspond pas aux canons de beauté hollywoodiens. Cette petite femme (elle mesure 1 m 60) aux cheveux bouclés et au nez busqué n’a ni grosse poitrine, ni fesses plantureuses, ce qui ne l’empêche pas de crever l’écran. «La scénariste Eleanor Bergstein avait choisi Jennifer Grey précisément parce qu’elle avait ce look «commun», ce n’était pas une bombe», note la critique de cinéma Pauline Mallet, avant de préciser que c’est ce physique de «girl next door» qui a permis aux jeunes spectatrices de s’identifier au personnage de Bébé. «Ce que nous dit ce personnage, c’est que l’on peut avoir un physique lambda et quand même intéresser le plus beau garçon.» 

«Dirty Dancing» fait aussi la part belle à la sororité. Elisabeth Cadoche et Anne de Montarlot, autrices du livre «En finir avec la rivalité féminine», rappellent de leur côté qu’au cinéma «ce qui cristallise le plus la rivalité entre femmes et s’emmêle parfois en un nœud gordien, c’est la beauté». Dans «Dirty Dancing», pas de crêpage de chignon entre Bébé la brune et Penny la blonde (campée par la sublime Cynthia Rhodes) pour les beaux yeux de Johnny, mais de l’admiration mutuelle, de l’empathie et du soutien. Lorsque Penny tombe enceinte, Bébé lui vient en aide et n’hésite pas à mentir à son père pour emprunter l’argent nécessaire à l’avortement. En 1963, c’est illégal. L’histoire se déroule en effet dix ans avant l’arrêt Roe vs Wade garantissant le droit des Nord-Américaines à l’IVG. Ce droit vient d’être enterré par la Cour suprême des Etats-Unis, ce qui donne à cette scène une résonance tristement contemporaine. «Quand j’ai fait le film en 1987, à propos de 1963, (…) tout le monde m’a dit: «Pourquoi fais-tu cela? Il y a eu Roe vs Wade», confiait récemment Eleanor Bergstein. J’ai répondu: «Eh bien, je ne sais pas si nous aurons toujours Roe vs Wade.»

«Dirty Dancing», enfin, est un film crépusculaire qui parle de la fin d’un monde, celui des années 1950, et décrit les clivages sociétaux de l’Amérique de l’après-guerre. Dans cette lutte des classes, la danse est un moyen de s’élever, de partir à la conquête de soi et des autres. La bonne nouvelle pour les fans du monde entier? «Dirty Dancing 2» devrait voir le jour en 2024 avec Jennifer Grey. A suivre. 


Dirty Dancing

La jeune fan dans le studio genevois Dance Area où elle prend des cours.

Darrin Vanselow

«Cette comédie est en résonance avec moi»

Ayana Uldry, (13 ans), en deuxième année au Collège de la Florence 

«C’est ma mère qui m’a transmis le virus «Dirty Dancing», se souvient Ayana Uldry. Elle connaît la chorégraphie et la bande-son par cœur. Cette comédie romantique est immédiatement entrée en résonance avec moi. C’est une très belle métaphore de la chrysalide qui devient papillon grâce à la danse.» Ayana Uldry pratique le «street dance» et le ballet depuis son plus jeune âge. Comme l’héroïne du film, cette passion lui a permis d’aiguiser sa capacité à aller à la rencontre d’elle-même.

«Dirty Dancing» véhicule des messages forts, poursuit-elle. C’est un des rares films où le garçon est plus beau que la fille. Quand on est une adolescente en pleine construction identitaire, trouver des produits culturels dans lesquels la femme séduit grâce à son intelligence, à sa beauté intérieure, c’est important. Dans les établissements scolaires, de nombreux élèves subissent des discriminations liées à leur physique et à leur statut socioéconomique. Il y a de la grossophobie, du racisme... Le cinéma a une responsabilité et un rôle à jouer comme briseur de tabous. Il doit davantage filmer le corps de «vraies femmes», c’est-à-dire celui qui présente des imperfections.» 

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35 ans de «Dirty dancing»: les coulisses du shooting photo

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A l'occasion des 35 ans de «Dirty dancing», «L'illustré» a organisé un shooting photo avec des fans absolus du film culte. Découvrez les coulisses de l'un des shootings. Jean-Philippe Uldry

Ayana Uldry a pris conscience du «male gaze»  dans les productions cinématographiques (concept désignant le fait que les images imposées au public présentent le plus souvent une perspective masculine hétérosexuelle, ndlr) grâce à son père, le réalisateur Jean-Philippe Uldry. «J’ai été triste d’apprendre que Jennifer Grey s’est finalement pliée à ce «male gaze» en ayant recours à une rhinoplastie. En transformant son nez pour qu’il réponde aux canons de beauté de la société, elle a trahi son public. On aimait cette actrice parce qu’elle avait des défauts et qu’elle rayonnait. Elle permettait à toutes les jeunes filles complexées par leur nez de se dire: «En fait, il est plutôt cool ce nez, il me donne du caractère. Grâce à lui, je suis unique.» Le pied de nez féministe? La rhinoplastie de Jennifer Grey lui a coûté sa carrière. Depuis, l’actrice a confié qu’elle regrettait amèrement cette opération qui l’avait rendue invisible du jour au lendemain. 

«D’une certaine manière, c’est aussi un message fort puisque ce que nous dit aujourd’hui Jennifer Grey, c’est que sa transformation physique ne l’a pas rendue plus heureuse, au contraire. La chirurgie esthétique n’agit pas sur la valorisation de soi et de son corps.»

Merci au studio Dance Area de Genève pour son accueil.

 

Par Amanda Castillo publié le 12 décembre 2022 - 08:21