Dès que le voile intégral se voit banni, en Suisse, en France ou au Danemark, le «Zorro du niqab», comme l’a surnommé le New York Times, débarque. Le Zorro du niqab, c’est Rachid Nekkaz, un homme de 46 ans que nous avons rencontré la semaine dernière à Paris, dans un palace du quartier de l’Opéra. Son «Q. G.», nous dit-il. Loge-t-il sur place? Où vit-il? Nous ne le saurons pas. «Je suis constamment en déplacement, je ne peux pas vous dire où je réside», nous déclare cet homme élancé de 46 ans qui porte beau. S’il prône la transparence, Rachid Nekkaz aime assurément entretenir un certain mystère autour de sa personne.
La semaine dernière, il était à Saint-Gall, accompagné d’une femme vêtue du niqab, ce voile islamique qui ne laisse voir que les yeux. Devant l’hôtel de ville et les médias, il a protesté contre la votation du 23 septembre, lors de laquelle les Saint-Gallois ont approuvé l’interdiction du voile intégral. Après le Tessin en 2013, le canton est devenu le deuxième du pays à bannir la tenue synonyme d’un islam rigoriste.
La venue de Rachid Nekkaz outre-Sarine a été relayée sur Facebook, où sa page est suivie par plus d’un million de personnes. Elle regorge de centaines de vidéos filmées lors des nombreuses manifestations qu’il organise. «Je filme tout, comme ça, j’ai les preuves.» Lors de notre entretien, il allume son smartphone à de multiples reprises pour nous montrer des vidéos. Depuis que la France et la Belgique ont commencé à bannir le port du voile intégral dans l’espace public en 2011, il assure avoir réglé 1553 amendes dans six pays européens pour un total avoisinant les 363 000 francs. Pour ce faire, il aurait mis sur pied un fonds de 1 million d’euros.
D’où vient cet argent? En 2016, un article du Figaro dressait le portrait d’un jeune entrepreneur ayant fait fortune dans le domaine des start-up dans les années 1990 et qui a investi dans l’immobilier. Il posséderait un millier d’appartements en France! Est-ce le cas? Rachid Nekkaz élude. «Ce que je peux vous dire, c’est que j’ai de quoi continuer à payer les amendes pendant les vingt prochaines années.» «Mon business est aux Etats-Unis», coupe-t-il lorsque nous insistons. Selon un article paru sur le site algérien Algérie Part l’année dernière, l’homme ne serait en France que copropriétaire, avec son épouse, «d’un modeste ensemble immobilier pas entièrement bâti» à Orly et d’un bâtiment à Choisy-le-Roi, «pour une somme globale d’environ 390 000 euros».
Soudan, Ramadan, Depardieu...
Ses velléités médiatiques de payer les contraventions ont fini par décider les autorités françaises à changer la loi pour faire interdire le paiement par des tiers. «Ils ont voté un amendement à mon nom, vous vous rendez compte?» se délecte-t-il. Ce musulman «fier de l’être» a réponse à tout. Parlez-lui oppression des femmes, il vous répondra que, en 2013, il s’est rendu au Soudan pour plaider la cause d’Amira Osman, une activiste qui risquait d’être flagellée pour avoir refusé de porter le voile. «Les autorités m’ont dit qu’elles appréciaient mon travail et qu’elle n’aurait pas de problème.» Une campagne de soutien organisée par Amnesty International avait mobilisé la communauté internationale pour Amira Osman, dont le procès végète aujourd’hui dans les limbes de la justice de Khartoum.
Nous avons contacté Amira Osman, qui nous a dit ne jamais avoir rencontré Rachid Nekkaz. Etonnant. Ainsi va l’activiste, papillonnant de cause en cause. La veille de notre rencontre, il manifestait pour protester contre la détention de Tariq Ramadan. Lui non plus, il ne l’a jamais rencontré. «Je ne le connais pas, je m’en fous! Mais pourquoi ne porte-t-il pas un bracelet électronique? Depardieu, Luc Besson, eux aussi sont accusés de viol! Pourquoi ce sont toujours les musulmans qui sont ciblés? Je choisis des causes que personne ne veut, voilà!» Oubliant un peu vite que ces hommes n’ont, eux, pas été inculpés.En France, insiste Rachid Nekkaz, la majorité des femmes en niqab sont des converties, des mères célibataires que personne n’oblige à porter le voile intégral. Lui-même est contre «à titre personnel». «Ma femme américaine, diplômée de Stanford, qui parle six langues, vous croyez qu’elle porte le niqab?» Et de dégainer son smartphone pour nous montrer une vidéo de son épouse, «qui vit à San Francisco» avec leur fils adolescent. Même si, toujours selon Algérie Part, elle serait installée en Espagne.
L’homme est fier d’avoir «des relations avec tout le monde, l’Etat français comme le groupe Akmi (ndlr: al-Qaida au Maghreb islamique), et je ne m’en cache pas. Mais au lieu de m’utiliser, les autorités préfèrent froncer le nez!» En 2013, il serait intervenu auprès des autorités soudanaises pour aider à la libération d’une famille française «catholique, je précise» prise en otage au Nigeria, et dit avoir versé 500 000 dollars pour aider des écoles dans l’Etat de Borno, cible de la secte djihadiste de Boko Haram. De quoi alimenter les accusations d’accointances sulfureuses qui lui ont valu, comme il le rappelle en une de son livre, d’être «fiché S», soit susceptible de représenter une atteinte à la sûreté de l’Etat.
Né en banlieue parisienne, où il a été élevé «dans des principes d’ouverture, de tolérance et de laïcité» par une mère kabyle et un père arabe, il a eu la chance d’être «intégré à l’élite française» en faisant des études dans des établissements huppés de la capitale, puis à la Sorbonne. Comme il l’écrit dans l’ouvrage édité par une association espagnole dont nous n’avons trouvé trace nulle part, l’autoproclamé «Voltaire du niqab» se réclame des principes de tolérance du philosophe des Lumières. «La visibilité de l’islam en France pose problème, c’est tout.» Dans le même temps, il dit comprendre l’interdiction des minarets en Suisse. «Ce ne sont pas les mosquées qui sont interdites, que je sache!»
Après avoir tenté de récolter suffisamment de signatures pour se porter candidat à la présidence française en 2007 puis en 2012, il a demandé à être déchu de la nationalité «parce que ce pays a tourné le dos aux valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité», a-t-il confié au site RT (Russia Today). Mais aussi parce que, en Algérie, un candidat à la présidentielle, ce qu’il a tenté d’être en 2014, ne peut avoir la double nationalité. Il n’aurait aujourd’hui plus qu’un passeport algérien – une affirmation que nous n’avons pas pu contrôler – expiré, que les autorités refuseraient de renouveler.
Ultra-populaire en Algérie
Sur l’Algérie, où il est «ultra-populaire car il dénonce la corruption, l’influence des généraux et le règne fantôme du président Abdelaziz Bouteflika», nous explique un observateur, Rachid Nekkaz est intarissable. Il nous montre une vidéo du kidnapping, filmé par son assistant qui le suivait en voiture, dont il aurait été victime au printemps dernier par des agents de la sûreté. «S’il y a des élections demain, je serai président. Mais je m’en fous, je veux juste dénoncer la corruption.»
Le 12 novembre, il sera de nouveau en Suisse, à Lugano, pour protester contre Samco, filiale de Sonatrach, géant public algérien des hydrocarbures. Avant cela, il a prévu une action éclair pour prouver que le gangster Redoine Faïd, évadé par hélicoptère de sa prison en juillet dernier et arrêté le 3 octobre, ne s’était pas déplacé dissimulé sous une burqa comme l’a indiqué le procureur de Paris. «Tout ce que je peux vous dire, c’est que je vais m’habiller en niqab.» Il en salive déjà. On reparlera du «Zorro du niqab».