Comme Obélix, je suis tombé dans ce métier quand j’étais petit. Mon père a été pendant vingt-deux ans taxidermiste au Musée d’histoire naturelle de Fribourg. Il travaillait seul et j’y allais le jeudi après-midi, quand j’avais congé. Quand j’étais petit, il ne me faisait pas trop participer. Puis, à 16 ans, j’ai suivi un stage de deux mois avec lui, l’été. Je me suis pris au jeu et je n’ai fait que cela toute ma vie. Il y a aussi que j’aimais travailler avec lui. Quand il s’est installé en indépendant, en 1977, ce fut «Joseph et Raphaël Codourey», nous étions au même niveau. Cela a duré quarante-cinq ans, d’abord dans la vieille ville, puis ici. Passionné d’ornithologie, mon père était un autodidacte. Il a appris dans des livres, puis auprès du taxidermiste du Musée océanographique de Monaco, quand celui-ci enseignait à Berne.
Dans le Larousse, on dit que le taxidermiste cherche l’apparence de la vie. Or on constate vite que la vie nous échappe. Pour résumer mon travail en trois phrases, on retire la viande, qui sera incinérée, et on garde la peau. Puis on agit à l’ancienne, avec un corps en paille, une technique qui revient à la mode à cause de l’écologie. Ou on utilise des moules en matière synthétique, en gardant le crâne, les os et les pattes. On recoud et on définit une posture naturelle. C’est le plus difficile. Même si le montage va bien, il faut des années pour y arriver. Autre accessoire important: les yeux. Un chevreuil a des pupilles horizontales, un félin des verticales, que dire des serpents ou des batraciens, c’est infini. Il faut être un peu menuisier, un peu boucher, un peu peintre pour les couleurs, un peu sculpteur pour les trois dimensions, un peu scientifique si on doit prendre des mesures.
Autrefois, les chasseurs gardaient plus leurs trophées que maintenant, cela constituait l’essentiel de notre travail. Aujourd’hui, c’est plus varié et je m’en réjouis. Une foule de gens nous contactent, dont une nouvelle clientèle, plus jeune, attirée par des animaux comme les corneilles. Là, il y a quelques mois, j’ai travaillé pour un film. Ils voulaient une dizaine d’animaux pour une scène de manifestation devant un tribunal. J’ai aussi ouvert un cabinet de curiosités à Fribourg, rue de Lausanne, avec une jeune artiste, Nilza. Il s’y trouve toutes sortes d’objets et j’ai un immense plaisir à créer. Par exemple des chimères, des animaux fantastiques. On travaille toujours sur commande, notamment pour des musées ou les services de la faune. Un lynx tué par une voiture, un vautour fauve pris dans des barbelés. Les animaux ramassés sur la route, nous les prenons s’ils ne sont pas trop abîmés. Mais je refuse généralement les animaux de compagnie. C’est trop affectif. Les gens voudraient retrouver le regard de leur chat ou de leur chien, ils seraient forcément déçus. Le rapport aux animaux? C’est d’abord la peine des personnes qui me touche. Mais je ne pourrais pas tuer une bête. Chasser m’est impossible, même s’il m’est arrivé d’accompagner quelqu’un comme Benoît Violier.
Le truc le plus fou? Un crocodile de 4,60 m, issu d’un domaine de chasse au Cameroun. Je l’ai reçu dans une caisse, avec la peau salée. La bête était si grande qu’on a dû travailler devant la maison, avec l’aide des voisins pour la retourner. Rien que la peau pesait 100 kilos. Deux mois et demi de travail, je ne le referais plus. Aujourd’hui, je suis heureux de transmettre ce que je sais. Deux jeunes motivés, Aurélie et Jérémie, travaillent avec moi et mon fils François vient l’après-midi. Je suis juste fâché que ce métier n’existe plus! Avant, l’Etat offrait des cours. Aujourd’hui, mon apprenti paie de sa poche ses mois d’école en Autriche. C’est incompréhensible alors que les musées sont débordés et obligés de faire appel aux privés...»
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