C’est là-haut, dans les mystères de l’obscurité enveloppant la cathédrale de Lausanne, que tout a commencé. Le guet Renato Häusler effectuait, comme chaque nuit que Dieu fait, sa ronde. Lanterne à la main, chapeau de feutre sur la tête et veste en épais velours noir sur le dos, il venait de crier: «C’est le guet! Il a sonné une! Il a sonné une!» Cette nuit-là, au lieu de passer sous les voûtes pour rejoindre le beffroi depuis la tour lanterne, il choisit de descendre pour cheminer à travers la nef de ce chef-d’oeuvre de l’art gothique. «Dans cette ambiance secrète, mystique, la lueur de ma lanterne s’est projetée sur l’un des piliers en molasse. J’ai trouvé ça fascinant. Et je me suis dit qu’il faudrait que j’éclaire la cathédrale à la bougie.Que j’en mette partout, et avec de la musique!»
Il remonte alors quatre à quatre les 153 marches qui le séparent de sa loge et se met au travail. Sur la petite table en bois de la pièce minuscule qui lui sert de repaire, il commence à imaginer ce qui allait devenir «l’un des plus beaux moments de [sa] vie». Il faut dire que, d’une heure à l’autre, il a tout loisir de rêver.
Un métier ancestral
Son métier remonte à la nuit des temps. Plus ancienne tradition vivante de Suisse, le guet de la cathédrale de Lausanne – il n’en reste que sept en Europe – assure une présence dans le bâtiment 365 jours par an depuis le 4 novembre 1405. Titulaire du poste depuis 2002 et jusqu’à la fin de cette année, car l’heure de la retraite a sonné, Renato Häusler, 65 ans ce 15 décembre, a six collègues (dont pour la première fois une femme, nommée en 2021), qui le remplacent pour assurer la permanence. Avec pour voisine et gardienne du temps la cloche Marie-Madeleine, 6'600 kilos de bronze et un son à réveiller les morts, il crie l’heure aux citoyens de la ville, de 22 heures à 2 heures du matin, depuis le premier étage de la tour du beffroi.
Une révélation et le triomphe
Cette fameuse nuit de 2005, il ne dort pas une seconde. Il commence à dessiner sa «chorégraphie lumineuse». Imaginez un peu: sous les ogives de la cathédrale, un choeur de voix qui commence à chanter dans l’obscurité totale avec une illumination progressive grâce aux flammes de 2500 bougies, allumées par 50 personnes, occupant chacune un poste bien défini, le tout en parfaite harmonie avec la musique. «Ça a été un succès phénoménal, se souvient Renato. A la fin, les gens se sont levés, certains pleuraient d’émotion et ont ovationné le spectacle!» Le concert, baptisé «Choeurs de Lumière», permettra de verser un bénéfice net de 65'000 francs à l’association d’aide aux enfants atteints du sida pour laquelle Renato s’engage depuis longtemps.
Après le succès de ce premier spectacle, celui qui aime à se décrire comme un artisan de la lumière est de plus en plus sollicité avec ses bougies enchanteresses. En 2014, il lâche son autre emploi dans une institution pour handicapés et fonde sa petite entreprise, Kalalumen, qui signifie «belle lumière». Hasard ou non, son épouse se prénomme Kala. «Tout ce qui s’est passé dans ma vie a convergé vers ce projet lumineux: pouvoir m’exprimer dans les lieux aussi somptueux que les églises et éblouir mes semblables, ça a donné du sens à ma vie.»
Il est comme ça, Renato Häusler. Il faut que les choses aient du sens. Ecologiste de la première heure, il se déplace toujours à vélo – «J’ai la chance de n’avoir jamais eu besoin de voiture» – et il est végétarien, «parce que les animaux ont autant le droit de vivre que nous». Et il croit davantage au destin qu’en une religion: «Il y a certainement un principe supérieur qui gère tout cela, mais ce n’est pas un dieu créé par les hommes. Avec mes bougies, j’ai les mains noires, je me pète le dos, mais je me considère un peu comme un outil. Ce n’est pas le hasard, j’ai été choisi pour réaliser cette tâche. Pour moi, le paradis est avant tout sur terre.»
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