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Rencontre 

Renaud Capuçon: «Je souhaite que les Lausannois soient fiers de leur orchestre, comme on est fier de son équipe de foot»

Le violoniste virtuose Renaud Capuçon, nouveau directeur artistique de l’Orchestre de chambre de Lausanne, et son épouse, la célèbre journaliste Laurence Ferrari, en ont parlé dès leur première rencontre: ils souhaitent s’installer sur les bords du Léman, à Lausanne. Un projet qu’ils comptent bien concrétiser d’ici quelques années. Confidences exclusives à Saint-Tropez.

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Renaud Capuçon

Renaud Capuçon et son épouse, Laurence Ferrari, aimeraient s'installer en Suisse, sur les bords du Léman, au cours des prochaines années. Un rêve qui leur tient à coeur. 

Blaise Kormann

Au château de la Messardière, dans la sécheresse du mois d’août, la nature enchanteresse accueille la pluie comme une bénédiction. Signe du ciel, l’orage cesse au moment où arrive le violoniste Renaud Capuçon. Cet homme au regard intense et pétillant, rentré de Salzbourg, retrouve sa femme, la journaliste Laurence Ferrari, et leur fils Elliott, dans ce havre de paix surplombant la baie de Saint-Tropez. On les rejoint juste avant qu’il n’entame sa saison à la tête de l’Orchestre de chambre de Lausanne (OCL), dont il est le nouveau directeur artistique. Cette nomination est une façon, pour lui, de resserrer encore plus ses liens avec la Suisse romande. Il le révèle pour la première fois: le virtuose souhaite, d’ici quelques années, s’y installer en famille.

- Nous sommes sur votre lieu de vacances, ici à Saint-Tropez, et hier soir encore vous étiez sur scène à Salzbourg. Renaud Capuçon, toujours entre deux avions, savez-vous prendre des vacances?
- Renaud Capuçon: Ah oui! (Rires.) Je sais depuis que j’ai rencontré ma femme, en 2008. C’est elle qui m’a appris. Avant, j’en étais incapable. Cette année, les vacances sont raccourcies. La pandémie m’a privé de représentations. Je suis passé de 150 concerts par an à 20. Alors, depuis la réouverture des salles, j’en profite pour rejouer. C’est ma passion et je dois aussi gagner ma vie.

Renaud Capuçon

«Chacun de nous vit sa passion, lui, celle de la musique et moi, celle de l’info. C’est aussi cela qui fait le ciment de notre couple», confie Laurence Ferrari.

Blaise Kormann

- Votre épouse nous a révélé un petit secret, le nombre de jours où elle vous a vu cet été, ajoutant: «Vous confronterez les réponses.» Quel est votre décompte?
- On a passé une semaine ensemble. Et, avant, quatre jours à la maison, à Eygalières, qu’elle n’a pas dû compter. Normalement, je prends trois semaines pleines.

- Là où d’autres se fatiguent, vous semblez vous ressourcer dans l’action. Comment faites-vous?
- Je suis très bien organisé. Et jamais fatigué par la musique. C’est un travail, certes, mais il est exaltant et me régénère. Seuls les voyages sont épuisants. Jouer est une nourriture spirituelle sans fin. On y puise du bonheur et de la joie dans le partage. La musique n’est que partage. Je me suis levé à 5h15, j’ai dormi quatre heures cette nuit. Lorsque vous savez que vous avez une journée d’une grande richesse musicale ou intellectuelle qui vous attend, que vous verrez des gens que vous aimez, ça se fait naturellement. La passion me porte.

- Quel est votre tout premier souvenir musical?
- Les concerts au Festival des Arcs, la station de ski savoyarde. J’ai aussi découvert la musique classique en écoutant chez mes parents, au casque, des opéras pour enfants et d’autres œuvres. J’en garde une sensation de plénitude. J’y ai immédiatement trouvé un réconfort. Cela me rassurait. Je pense qu’enfant on a des angoisses et la musique m’apaisait. Inconsciemment, je cherchais cette sensation. J’ai commencé le violon à 4 ans et retrouve cette plénitude quarante et un ans après.

- Un jour, quelqu’un a dit à votre père en parlant de vous: «Il a l’oreille absolue, il faut le mettre au violon.» A quel moment avez-vous su que vous alliez emprunter ce chemin?
- En classe, à 8 ans, répondant à l’interrogation de savoir ce que je souhaitais faire plus tard, j’ai dit: «Je veux être violoniste l’été et skieur l’hiver.» (Sourire.) J’adorais aussi le ski. Mais la décision de devenir soliste s’est jouée entre 9 et 10 ans, alors que je ne savais pas du tout ce que c’était. J’ai compris que ce serait difficile. J’ai donc redoublé d’efforts. Il y avait un point de mire, très loin, qui était là où je voulais aller. Je n’ai pas dévié de ma trajectoire, alors que les obstacles ont été multiples, notamment à l’adolescence. J’avais décidé d’y arriver. Il y avait une part d’inconscience. Si j’avais su à quel point ce serait difficile, j’aurais peut-être abandonné. Ce mélange de volonté et de candeur a fait que j’ai franchi les obstacles avec détermination.

- Vous êtes, à Lausanne, le nouveau directeur artistique de l’OCL. La saison s’est ouverte le 15 septembre par un concert accompagné de la sortie d’un disque: «Tabula Rasa». Pourquoi avoir choisi cette œuvre d’Arvo Pärt?
- Comme celle de Bach, sa musique est un baume qui apaise. C’est méditatif et universel. Elle parle à chacun. Quels que soient votre langue, votre âge, votre confession, vous y trouverez une clé d’entrée. Et puis, l’OCL a une sonorité idéale, extrêmement pure, pour jouer Arvo Pärt. C’est rare de commencer une collaboration et de sortir un disque au même moment. Nous devions enregistrer bien plus tard. La pandémie nous a permis de nous connaître plus rapidement.

- Comment trouve-t-on le son juste en arrivant à la tête d’un orchestre?
- Il faut trouver un noyau central, un cœur de son, que l’on modèle, comme une pierre que l’on polit. Les musiciens lui donnent du corps, de la matière. On a travaillé là-dessus. J’ai une conception précise du son que je rêve d’avoir. Avec l’OCL, cela va se construire sur plusieurs années. Il va nous servir, et c’est grisant, pour tous les autres compositeurs: Schubert, Brahms, Beethoven...

- Quel est votre but avec l’OCL?
- L’orchestre, l’un des meilleurs d’Europe, jouit d’une réputation internationale. Je souhaite que les Lausannois en soient super fiers, comme on est fier de son équipe de foot. J’aimerais que tout le monde ait envie de venir. Et j’ajouterai, parmi ce qui me tient à cœur, la mise en place de concerts donnés dans un centre d’arrêt, un EMS et un hôpital. C’est l’orchestre au complet qui vient, en habit de concert, pour les «publics empêchés». Tous ces gens qui ne peuvent pas se déplacer.

- La Suisse et vous, c’est une histoire d’amour qui dure. Aimeriez-vous vous y installer?
- C’est dans mes projets. A ce stade, c’est complexe, car ma femme est tous les jours à l’antenne à la télévision française (sur CNews, ndlr). Un déménagement impliquerait que je sois seul, ce qui n’est pas imaginable. Vivre en Suisse, c’est son rêve et le mien depuis toujours. C’est l’une des premières choses dont nous avons parlé dès notre rencontre, en 2008. On s’en est amusés, alors que je ne venais pas encore à Lausanne et que je n’avais pas installé ma vie professionnelle en Suisse comme enseignant à l’HEMU ou aux Sommets musicaux de Gstaad en tant que directeur artistique. Laurence m’a toujours dit: «Vivre sur les bords du Léman, c’est mon rêve.» Cela se réalisera certainement.

>> Lire aussi: Laurence Ferrari: «Mon projet de vie, c'est de vivre un jour à Lausanne»

Renaud Capuçon

Renaud Capuçon, à la baguette cette fois, dirige l’OCL à la veille de leur premier et éblouissant concert, donné mercredi 15 septembre, à la Salle Métropole à Lausanne.

Yuri Pires Tavares

- Votre violon et vous, c’est encore une passion qui passe par la Suisse. Comment?
- Le président de la Banque de la Suisse italienne (BSI), un établissement qui n’existe plus, avait souhaité acheter un instrument afin de le mettre à ma disposition. Je devais le choisir, ce qui est un luxe suprême. En 2005, j’ai eu la chance d’essayer plusieurs Guarnerius del Gesù, dont celui-ci: le Vicomte de Panette de 1737 (il désigne l’étui sur la table). Il a appartenu pendant cinquante ans à Isaac Stern. En l’essayant, cela s’est joué en quinze secondes. Rien que d’y penser, j’en ai la chair de poule. C’était un coup de foudre. J’ai connu ce même sentiment la première fois que j’ai rencontré ma femme. Ce violon m’accompagne depuis seize ans et il m’accompagnera, je pense, jusqu’à la fin de mes jours.

- Cet instrument précieux a traversé presque trois siècles. A-t-il une mémoire?
- Je suis persuadé que le bois a une mémoire. Cela ne veut pas dire que le violon joue tout seul; mais il connaît les pièces, j’en suis convaincu. Je le ressens. Cela peut s’expliquer de façon assez pragmatique par le fait que le bois vibre d’une certaine façon avec certaines harmonies. Il doit y avoir une mémoire sensorielle du bois. C’est très troublant. Oui, tout d’un coup, vous avez l’impression que l’instrument connaît l’œuvre. C’est assez dingue!

- Vous dites aussi qu’il réagit à votre humeur. Comment?
- Il réagit au millième de quart de millimètre à tout ce que vous y mettez comme tension. Plus vous êtes libéré, plus vous êtes souple, plus il sonne et s’épanouit. La paternité, qui est un choc positif, a eu quelque chose de thermonucléaire pour moi à la naissance de notre fils Elliott. Le mariage, pareil. Tout d’un coup, vous vous sentez bien, vous êtes heureux. Vous avez réglé vos frustrations, vos peurs. Votre ambition est mesurée. Les choses s’équilibrent. Et tout cela se ressent en jouant.

- Vous avez commandé une copie de ce violon. Pourquoi?
- J’en aurai même deux. L’une sortie des ateliers de Charles Coquet et l’autre de chez Patrick Robin. J’ai une estime immense pour les luthiers d’aujourd’hui. Mais la raison principale est que j’ai créé un fonds de dotation, qui porte mon nom, dans le but d’acquérir des instruments modernes – j’aimerais aussi pouvoir en acheter d’anciens si je trouve des mécènes – et de les prêter à de jeunes musiciens.

- Pourquoi finalement avoir acheté le vôtre?
- Je crois en l’effort. Je le dis à mes élèves: «Dès que vous avez un peu d’argent, investissez dans un instrument moderne afin de le posséder. Même si vous empruntez sur dix ou quinze ans.» Chaque mois, après chaque concert, c’est important que ce que l’on gagne aille dans l’instrument. Moi, ça me motive énormément. En l’achetant, il y a eu comme une libération. Je ne suis plus dépendant d’un prêt avec la peur qu’on me retire l’instrument. Il est à moi et, chaque mois, je rembourse une somme considérable, générée par moi-même. Et je n’ai pas fini de le payer… (Sourire entendu.)

Renaud Capuçon

Renaud Capuçon et son précieux Guarnerius del Gesù de 1737 baptisé Vicomte de Panette, dont il a fait l’acquisition en Suisse pour une somme tenue secrète. La BSI l’avait acheté en 2005 pour environ 10 millions de dollars, selon un article de «Libération» paru en décembre 2014.

Blaise Kormann

- Votre notoriété est internationale et votre voix porte aujourd’hui. Vous avez rendu un prix parce qu’il a été décerné, par la suite, à un groupe de rap dont les paroles avaient une connotation antisémite. Qu’est-ce qui a motivé ce geste?
- Cela m’a choqué. Le Prix Echo, est, en Allemagne, l’équivalent des Victoires de la musique. Un musicien peut avoir des gestes ou des paroles symboliques. Quand j’ai une conviction, j’y vais. Répercussions ou pas, je m’en fiche. J’ai, peut-être plus qu’avant, une parole qui porte. Alors si elle peut servir, tant mieux. Pendant la pandémie, j’ai essayé de mettre tout mon poids dans la balance afin d’aider les musiciens indépendants. Je n’ai réussi qu’à moitié, mais je me suis battu pour qu’ils obtiennent une sorte de reconnaissance.

- Pourriez-vous répondre favorablement, si elle vous était faite un jour, à la proposition de devenir ministre de la Culture?
- Ce n’est pas imaginable. Ce qui m’intéresse n’est ni le pouvoir ni la politique. J’aime faire bouger les choses. Pour être franc, je ne suis pas sûr que, en tant que ministre de la Culture, on le puisse. J’ai besoin d’être libre. On a plus d’impact dans cette position. Et puis, c’est un tout autre métier. Moi, j’aime trop la musique.

- Pendant le confinement, vous avez continué à jouer en postant des vidéos sur Instagram. C’était un besoin?
- J’ai adoré l’adrénaline qu’il y avait, chaque jour, et qui me manquait, sans perspective de concert. Je me la suis recréée de façon artisanale. Et elle m’a sauvé. Je me serais, sinon, laissé un peu abattre. L’ensemble des pièces jouées à distance avec le pianiste Guillaume Bellom constituera un album intitulé Un violon à Paris.

- Vous avez retrouvé la scène à Madrid en mars 2021. Vous y étiez, paraît-il, «émerveillé comme un enfant».
- Avant le concert, j’ai eu l’impression que je ne savais plus rien. C’est un truc de fou, le muscle s’était complètement détendu, je n’étais plus dans le rythme. Ensuite, au moment de partir, je n’ai pas su quoi mettre dans ma valise. C’était alors le constat de la fragilité psychologique. Et Dieu sait si je suis quelqu’un qui sait faire des valises! (Rires.) Ma femme m’a dit: «Mais enfin!» A Madrid, avant de jouer, j’ai eu le trac du débutant. J’ai frappé à la porte de la loge de la pianiste et lui ai demandé: «Es-tu dans le même état que moi?» Elle m’a dit: «Oui.» Nous tournions en rond dans une excitation enfantine à l’idée de rejouer et, en même temps, nous avions peur. J’étais comme un type qui, d’habitude, fait des sauts sur le plongeoir à 15 mètres et se retrouve soudain tétanisé à 1 mètre de hauteur.

- Et une fois sur scène?
- Là, les applaudissements que vous n’avez pas entendus depuis des mois sont extraordinaires. Ils vous portent. Les gens applaudissent comme si vous aviez déjà joué. Ils étaient tellement heureux de nous voir. A l’instant où j’ai posé l’archet sur la corde, c’était parti. Quelle jubilation! Il y avait une urgence à jouer, une forme d’intensité qui n’existait pas avant. J’ai assimilé le fait que chaque soir pouvait être le dernier concert. N’importe quand. Et, désormais, chaque soir de représentation est un cadeau.

- Au début, vous avez eu du mal avec la notoriété, celle que générait votre couple avec Laurence Ferrari. Ça va mieux?
- Nous nous sommes connus lors d’un dîner de Savoyards organisé par le ministre Michel Barnier (sous Nicolas Sarkozy, ndlr). Je n’avais jamais vu Laurence à la télé et elle ne m’avait jamais entendu jouer. L’année suivante, en 2009, nous étions poursuivis par les paparazzis. C’était l’enfer. Mais, parfois, les circonstances vous amènent à relativiser. Un jour, à la montagne, je me promenais avec ma femme et j’ai entendu: «Tu as vu, il y a Laurence Ferrari et son mari. Il est accordéoniste, non?» C’est d’autant plus drôle que j’avais mon violon avec moi. Je ne le laisse jamais dans la voiture. C’est assez génial, car ça remet tout à sa place! (Rires.)


Le nouvel album de Renaud Capuçon 
 

L’album «Arvo Pärt – Tabula Rasa», Renaud Capuçon et l’Orchestre de chambre de Lausanne (Erato/Warner Classics, 2021), est disponible. Pour retrouver le programme complet de l’OCL et réserver: www.ocl.ch

Par Didier Dana publié le 23 septembre 2021 - 11:31