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«Le risque de rebond de l’épidémie à l’automne semble élevé»

Spécialiste de la modélisation mathématique des maladies transmissibles, le professeur Antoine Flahault répond, à la lumière des connaissances actuelles, aux nombreuses questions en suspens que laisse encore planer le Covid-19.

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Mesures de distanciation sociale dans une cafétéria. Salvatore di Nolfi

- Pendant que la Suisse et l’Europe déconfinent à un rythme soutenu, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) multiplie les avertissements sur l’arrivée possible d’une deuxième vague. Ne sommes-nous pas en train de répéter l’erreur du mois de février, quand peu de monde avait pris la menace au sérieux?

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Antoine Flahault, chef de l’Institut de santé globale de la Faculté de médecine de l’Université de Genève.

- Antoine Flahault: Je ne crois pas. Il est vrai que le déconfinement est relativement rapide, notamment en Suisse. Mais dans le même temps, nous ne constatons pas de rebond de l’épidémie. Cela nous laisse l’espoir d’être épargnés par cette fameuse deuxième vague, tout au moins dans les semaines et les mois d’été à venir. Mais cela ne veut pas dire que l’OMS a tort, ni qu’elle surévalue le danger.

- C’est-à-dire?
- En fait, le risque de deuxième vague dépend de deux possibilités. Soit elle survient sitôt après le déconfinement, ce qui ne semble donc pas être le cas, soit nous avons affaire à un virus saisonnier, comme celui de la grippe, et il pourrait alors faire son retour vers la fin d’octobre ou le mois de novembre, voire un peu plus tard dans l’hiver. C’est à ces hypothèses que l’OMS nous enjoint de nous préparer. Le seul pays qui, à ma connaissance, connaît aujourd’hui une deuxième vague est l’Iran. Elle n’est pas plus forte que la première et elle est due à un foyer qui est apparu dans une province du sud-est du pays, à l’opposé de la région où l’épidémie s’était initialement déclarée.

- Mais est-ce une mesure de précaution ou l’OMS dispose-t-elle d’arguments objectifs pour lancer ses alertes?
- Je dirais que les premières observations accréditant la thèse que le Covid-19 est un virus d’hiver plaident en faveur d’un risque élevé de rebond à l’automne. Car si, dans les régions tempérées de l’hémisphère Nord, le virus est désormais beaucoup moins actif, ce n’est pas le cas dans celles de l’hémisphère Sud, qui s’apprêtent à entrer dans l’hiver austral. En Argentine, au Chili, dans le sud du Brésil et de l’Afrique du Sud, l’épidémie de Covid-19 flambe actuellement. Cette croissance exponentielle ressemble à celle que nous avons connue ces derniers mois et pourrait annoncer une deuxième vague dans l’hémisphère Nord sitôt le frein estival levé.

- Comment une épidémie s’arrête-t-elle, au fait?
- Cette question hantait déjà l’esprit de Kermack et McKendrick, deux mathématiciens anglais, dans les années 1920. Ils cherchaient à comprendre comment la grippe espagnole de 1918-1920 avait subitement pris fin. Les deux scientifiques ont alors développé une théorie mathématique des épidémies, celle-là même que l’on utilise encore aujourd’hui et dont tous les modèles mathématiques du Covid-19 sont inspirés. Ils sont arrivés à la conclusion que le virus avait disparu parce que le seuil d’immunité grégaire (ou collective) avait été atteint. En l’occurrence, celui-ci a été estimé entre 30% et 50% de la population dans le cas de la grippe.

- Aujourd’hui, la faculté parle d’un taux de 60% à 70% de personnes immunisées pour éliminer le Covid-19…
- En effet. Et en partant de la même approche que celle de Kermack et McKendrick. Mais ces estimations demeurent théoriques. Elles suscitent d’ailleurs pas mal de controverses. Certains experts estiment qu’un seuil de 20% d’immunité collective suffirait probablement à bloquer l’épidémie, en raison de l’hétérogénéité de la diffusion de ce virus – dont je vous passe les détails des implications mathématiques. Personnellement, je pense qu’il faut rester sur ses gardes car le spectre est large. Sur le porte-avion français Charles de Gaulle, près de 70% de l’équipage a été infecté; alors que sur le navire de croisière Diamond Princess, à peine 20% des passagers et membres d’équipage l’ont été.

- Cela étant, l’immunité collective reste la seule façon de se débarrasser de cette pandémie…
- Il n’y a pas d’autre option. Mais il y a deux manières pour y parvenir. Soit naturellement, par l’infection qui se propage, soit avec l’aide d’un vaccin. En Suisse, nous sommes encore loin du compte. On estime à environ 10% la population immunisée dans le canton de Genève, mais ce taux ne doit guère dépasser 5% dans l’ensemble du pays. Et c’est ainsi dans à peu près toute l’Europe. Dès lors, j’ai envie de dire qu’en l’état, seul un vaccin pourrait résoudre définitivement le problème.

- Certains avancent que le taux d’immunité collective serait bien supérieur à la réalité à cause d’innombrables faux négatifs au test et de personnes asymptomatiques ayant été contaminées sans le savoir...
- C’est délicat. Il y a encore trop d’inconnues pour s’aventurer sur ce terrain. Il est vrai que certaines sérologies se révèlent négatives ou concluent à une immunité non constatée malgré la certitude que certaines personnes ont été effectivement infectées par le virus. Sont-elles quand même protégées sans exprimer d’anticorps détectables par les sérologies existantes? Ne sont-elles pas protégées malgré leur infection par le coronavirus? Ce débat exige encore davantage de recherche et de recul.

- Et qu’en est-il de l’immunité des personnes qui ont développé le virus?
- Il semble qu’elles sont probablement protégées d’une rechute pour plusieurs mois au moins, voire plus. Des études sur le SRAS, ce virus qui avait sévi en 2003, et dont le virus (SARS-CoV) est un cousin proche du SARS-CoV-2, ont démontré que les personnes touchées étaient encore protégées aujourd’hui. Du fait des similitudes entre les deux virus, certains scientifiques ont conclu que l’immunité contre le SRAS servait même d’immunité croisée contre le SARS-CoV-2.

- On parle de la découverte imminente d’un vaccin. N’est-on pas exagérément optimiste?
- Permettez-moi une réponse de Normand: oui et non! Non, l’optimisme n’est pas exagéré parce que, à ma connaissance, il y a actuellement 224 candidats vaccins à travers le monde en cours de recherche et de développement, dont huit sont déjà au stade d’essais cliniques de phases initiales et que ces investigations font l’objet d’investissements planétaires jamais égalés. Mais oui, si l’on pense qu’on aura ce vaccin rapidement. J’évalue le temps nécessaire à fabriquer une substance efficace et sûre, susceptible d’être administrée à large échelle à une année à partir de maintenant.

- On disait la même chose pour le sida il y a bientôt quarante ans. Et on attend toujours…
- On ne peut pas facilement comparer le cas du VIH avec celui du SARS-CoV-2 concernant le développement du vaccin. Le VIH détruit le système immunitaire et c’est un rétrovirus qui s’intègre au génome humain pour se multiplier. Trouver un vaccin pour le traiter s’avère donc nettement plus compliqué que pour un coronavirus, un virus à ARN comme celui de la grippe ou de la fièvre jaune par exemple. S’agissant du Covid-19, je serais surpris qu’on ne trouve pas de vaccin.

- La question des nouveaux foyers d’infection («clusters») inquiète les gens. Comment se développent-ils? Il semble que les rassemblements à l’intérieur des bâtiments soient plus touchés...
- Cette question des «clusters» appelle deux commentaires. Le premier est qu’il me semble que c’est une caractéristique propre, sans être exclusive, du Covid-19 que de se propager par «clusters». On l’a constaté dès les premiers foyers de Wuhan, en Corée du Sud, en Iran, en Italie, en France, en Espagne, aux Etats-Unis: marché aux poissons, rassemblements religieux, abattoirs, boîtes de nuit, collèges, navires de croisière ou de guerre, métros, etc. Le Covid-19 ne se répand pas de façon diffuse et homogène comme la grippe mais de manière très hétérogène. La faible proportion des asymptomatiques est peut-être la raison de ces différences entre les deux maladies. Mon second commentaire concerne la période actuelle. Le fait que l’on repère mieux aujourd’hui ces «clusters» ne me semble pas un motif d’inquiétude mais plutôt un indicateur de qualité de la veille sanitaire, puisque leur identification signifie qu’ils sont repérés et tracés. Cela permet de casser les chaînes de transmission identifiées et de mieux comprendre où circule le virus dans cette phase de déconfinement.

- Où en est-on de l’état des connaissances du virus à l’heure où l’on se parle?
- Nous avons encore beaucoup à découvrir pour être en mesure de faire des prévisions et des projections fiables. Va-t-il disparaître? Reviendra-t-il à l’automne, puis tous les ans? Mystère. Dès lors, nous avons le devoir d’élaborer tous les scénarios relevant du possible afin de mieux préparer la riposte que lors de la première vague, qui nous a tous pris par surprise en Occident.


Par Rappaz Christian publié le 4 juin 2020 - 10:01, modifié 18 janvier 2021 - 21:11