Les deux joueurs de tennis sont là, face à face, sur cette scène de théâtre que constitue un match. A quelques mètres, proches jusqu’à les toucher, les photographes perçoivent le moindre de leurs tressaillements, ressentent leurs joies et leurs doutes. Présente sur les courts avec son objectif depuis 1990, d’abord pour la revue spécialisée Tennis Magazine, ardente comme au premier jour, Corinne Dubreuil va de Grand Chelem en Grand Chelem depuis 2004. Sa route a sans cesse croisé celle de Roger Federer.
- Combien de finales avez-vous vécues avec Roger Federer?
- Corinne Dubreuil: J’ai assisté à toutes ses finales de Grand Chelem sauf à la première, en 2003, à Wimbledon. C’est la seule qui me manque sur les vingt. Et j’ai couvert tous les tournois du Grand Chelem depuis 2004, absolument tous. Federer m’a accompagnée tout au long de ma carrière.
- L’avez-vous vu changer?
- C’était un adolescent, c’est aujourd’hui un homme. J’ai senti son évolution, je l’ai vu devenir une icône au fil des années. Mais tout est allé assez vite. Très tôt, il était déjà un joueur phénoménal.
- Comment aborde-t-on Federer?
- Aujourd’hui, tout est beaucoup plus facile et moins stressant que cela a pu l’être à une époque. Roger est devenu un homme accompli, qui a tout gagné et prend les choses de façon plus relax qu’avant. Du coup, la relation est devenue simple, normale. Je n’ai pas d’angoisse à m’adresser à lui. Il y a quelques années, c’était plus compliqué.
- Vous souvenez-vous de la première fois où vous lui avez parlé?
- A Miami, en 2007, je crois. Je devais réaliser un sujet dans les hôtels des joueurs, pour L’Equipe Magazine. Je voulais montrer leur vie sur le circuit. Il m’a dit d’aller voir Mirka et cela ne s’est pas fait. Elle n’en avait pas envie, visiblement. Mais c’est surtout ces six dernières années que j’ai eu plusieurs fois l’occasion de travailler avec lui et cela s’est toujours bien passé. Quand il dit oui à un projet, il le fait bien.
- Votre dernier moment avec lui?
- A Rotterdam, récemment, pour L’illustré. Pour une séance photo tard, vers minuit et demi, dans le restaurant des joueurs. C’était un gamin avec ses potes, un immense champion qui se comportait comme un homme normal.
- Est-il possible de montrer son intimité?
- Pour une telle demande, on passe rarement directement par Roger. Un agent ou quelqu’un de son entourage s’en charge. Et c’est toujours non dès qu’il est question d’intimité. Avec lui, c’est un aspect inabordable. Ses enfants viennent certes parfois au bord du court, mais il protège totalement sa vie privée. Une séance photo posée, cela n’existe pas.
- Que ressentez-vous pendant un match? Y a-t-il un contact possible avec lui?
- Avec Roger, non, cela n’arrive pas. A l’entraînement oui, mais pas en match, il est trop concentré. Un tel contact visuel peut cependant arriver avec quelqu’un comme Wawrinka. Il voit tout sur un terrain, Stan, il regarde beaucoup tout ce qui se passe autour de lui, il nous repère, c’est drôle, quelquefois bizarre.
- Que représente Federer pour vous?
- Je me dis chaque fois qu’on frôle le parfait. Il est tellement impressionnant de facilité. De tout près, je me sens privilégiée. J’entends le son de la balle, j’entends le joueur respirer. Avec Federer, je vibre. Ce sont des moments où je sais que je suis en train de vivre l’histoire du tennis.
- Que se passe-t-il entre le public et Federer, vous qui vous situez entre les deux?
- Quand Federer arrive, il se passe toujours un truc. Les gens l’attendent, ils ont des pancartes, ils sont grimés.
- Que diriez-vous de sa relation avec Rafael Nadal?
- La première dimension qui me vient en pensant à eux, c’est le respect, sincère, qu’ils ont l’un pour l’autre. Je suis même persuadée qu’il existe une forme d’amitié entre eux, même s’ils demeurent des compétiteurs. J’ai une photo magnifique d’eux à Roland-Garros, où Rafa vient de gagner. Ils sont tête contre tête, avec leur trophée respectif. L’image montre la force de leur rapport, mais aussi leur cœur, leur générosité. Je le redis: quand ils sont là, l’un ou l’autre, tout change sur un court, il y a une tension, tout est différent.
>> Retrouvez le site web de Corinne Dubreuil: www.corinnedubreuil.com