Stefania Sesa, passée d’éducatrice de la petite enfance à secrétaire médicale: «Je revis, enfin!»
«Travailler dans une garderie, au fil des ans, c’était devenu insupportable», raconte tout doucement Stefania Sesa (40 ans), assise sur un banc du parc de Valency à Lausanne. «La routine s’est installée assez vite. Les enfants ont besoin de repères et de régularité pour s’épanouir et c’est justement ce qui m’ennuyait, à force. C’est aussi un métier qui demande beaucoup d’implication émotionnelle. Il y a du bruit tout le temps, des pleurs. C’est très usant.»
Stefania s’essouffle mais persévère. Et puis, en 2010, la jeune femme tombe enceinte de son premier enfant. «Nous avons beaucoup discuté avec mon conjoint: comment et pourquoi confier mon bébé à des étrangers pour que moi, éducatrice, j’aille m’occuper d’autres enfants? Le questionnement était existentiel. J’ai prolongé au maximum mon congé maternité, puis je suis retournée dans une garderie. Je rentrais le soir, épuisée par les enfants des autres, m’occuper du mien. J’avais la sensation d’être dans l’erreur, mais comment changer de voie? Avec quel financement? Pour faire quoi?»
Ces interrogations tournent en boucle dans son esprit. «Mon fils me demandait quel était mon métier et, c’était affolant, je me sentais si coupable que je n’osais pas lui raconter que je gardais d’autres enfants. A la maison, j’étais agressive, épuisée, je n’avais plus envie de jouer avec lui. Un jour, sa garderie nous a appelés pour nous dire qu’il devenait colérique, irritable.» Stefania prend conscience que son mal-être rejaillit sur son fils. «C’était le craquage total, j’ai fait un immense burn-out.» Elle cherche une reconversion «rapide et pas chère». Elle prend des cours pour devenir secrétaire médicale. Ce sera une révélation. «J’ai adoré retrouver le monde des études et, surtout, j’ai eu la sensation d’avoir enfin trouvé ma voie, à 38 ans! Pour ça, il a fallu toucher le fond, passer par une dépression et le chômage.»
Elle s’occupe désormais du domaine de la maltraitance à l’Hôpital de l’enfance, travaille avec des adultes dans un univers centré sur les petits. «Mon expérience dans les garderies a été un atout.» Il n’y a plus de contact direct avec les enfants et leur famille, «tout est moins émotionnel». «Je revis. J’ai retrouvé un contact sain avec mon fils, un équilibre dans mon couple, dans ma vie. Cela valait le sacrifice financier, possible grâce à mon mari, de recommencer à zéro sur la grille salariale. J’aurais dû changer avant: cette paix n’a pas de prix.»
Robert Chardon, passé d’analyste financier à restaurateur: «Parfois, dans la vie, on fait l’autruche»
Sa destinée était celle de la finance. «Après des études de sciences politiques et d’économie, à Genève, on lorgne très souvent du côté de la banque. C’est presque mécanique», raconte Robert Chardon (50 ans), entre deux services, dans son tout nouveau restaurant. JPMorgan, Lombard Odier, ce père de trois enfants de 20, 16 et 13 ans a passé plus de vingt ans dans le domaine bancaire. «Je me suis souvent dit que j’allais changer de voie. Mais dans une vie, on fait parfois l’autruche. Et puis, avec les enfants, le quotidien, on peine à prendre des risques. On se dit qu’on continue et qu’on verra après.»
«Je dors peu, mais bien»
«En 2010, je me suis surpris à regarder le site des cafetiers-restaurateurs. Mes parents tenaient un établissement quand j’étais enfant. Je me disais que cela faisait des années que je n’apportais plus de valeur à ce que je faisais dans la banque. Les choses n’avaient plus vraiment de sens pour moi.» Epicurien et gastronome, Robert raconte: «A table, dans les bistrots, je bassinais toujours ma femme: «Je me verrais bien reprendre un endroit comme ça…» Mais le déclic ne vient toujours pas. «Fin 2014, j’ai perdu mon emploi. Cela m’a donné du temps. Je me suis lancé. La restauration, à la place de la banque. J’ai fait un stage dans un restaurant, pour confronter rêve et réalité. J’ai enchaîné avec l’incontournable certificat de cafetier-restaurateur. Complété cela par deux formations pratiques à Paris: la plus courte et la moins chère d’abord, mais finalement aussi celle qui me tentait depuis le départ: chez Ducasse. Quand on est au chômage, payer 11 000 euros de formation, on se demande si c’est bien raisonnable.» Mais la passion est là. L’envie, aussi, de vivre autrement: «Je voulais montrer à mes enfants qu’on a le droit d’oser essayer de vivre de sa passion. Toute ma famille m’a soutenu, ma femme s’y est faite, elle a vu mon obstination.»
Robert a repris le Bistroquet en janvier de cette année. Il a fallu faire des compromis. «Je suis en salle et non en cuisine, pour des raisons d’organisation. Pour garder les clients fidèles, j’ai conservé une partie de la carte. J’ai investi tout mon deuxième pilier dans ce rêve: je n’ai pas le choix, il faut que ça marche. Bien sûr, il y a une part d’inquiétude, mais je n’ai jamais imaginé retourner en arrière. Ma vie d’avant, c’est celle d’un autre. Je dors peu, oui, mais bien.»