Je suis humoriste, comédien, danseur, chorégraphe, champion du monde de salsa en groupe et j’ai été conseiller municipal vert à Genève. Tout est vrai. D’ailleurs, Le mytho est le titre de mon premier one man show teinté d’autodérision. Mais la grande affaire de ma vie, c’est mon abandon, à 6 mois, au Brésil, par celle que j’appelle «la dame qui m’a mis au monde». L’association Nordesta a permis mon adoption, à 1 an et 3 mois, par la famille Maulini, mes vrais parents. A Genève, ils avaient déjà eu deux enfants biologiques et venaient chercher une petite fille. Sauf que, en arrivant, ils sont tombés sur moi. J’ai été le seul d’une fratrie de six à avoir été écarté après la mort de mon père biologique. Un revenu en moins, une bouche de plus à nourrir m’ont valu d’être mis à l’écart. A la naissance, je m’appelais Pedro. J’en ris, mais je déteste ce prénom. Il suffit de me charrier avec ça pour me pousser à bout. J’ai toujours su que j’avais été adopté parce que, à Chancy (GE), j’étais le seul métis. A l’âge de 7 ans, mes parents m’ont dit: «On part au Brésil découvrir le village où tu es né.» Le beau voyage a commencé à Rio jusqu’à Quebrangulo, au nord-est. Ce jour-là, mon imaginaire de môme a percuté le réel. J’ai compris que j’avais échappé à la misère et à son cortège de drames.
Je pensais les retrouvailles intimes. Or des dizaines de villageois se sont massés autour de nous dès notre arrivée. Une fois dans le salon, petite pièce carrée, tout le monde s’est mis à pleurer; les deux familles réunies et les curieux agglutinés aux fenêtres. J’en garde un horrible souvenir. Je ne parlais pas leur langue et, pour la première fois, j’étais physiquement confronté à des gens qui me ressemblaient. Cette «dame», c’est moi avec une perruque, un de mes frères, moi avec dix ans de plus… Je suis eux, ils sont moi, mais rien ne nous relie. Etre embrassé par une inconnue qui me dit m’avoir abandonné pour mon bien ne résout rien. Je suis cash: je ne pardonnerai jamais… Malgré les années, une longue thérapie, ma colère ne s’apaise pas.
En repartant du village, on ne s’est pas dit que l’on se reverrait. Aujourd’hui, je déclare être né le 13 juin 1988 et non le 25 avril 1987. En vérité, j’ai 33 ans mais ne compte qu’à partir du jour de mon adoption. J’ai vu le jour au mauvais endroit et je me suis construit en Suisse, là où s’est opérée ma renaissance. Avant, je me travestissais sur scène. Un soir, face au miroir, avec maquillage et moumoute, l’image m’a fait peur. Je voyais ma mère biologique et j’ai arrêté. A la veille de la première du spectacle, une nièce m’a retrouvé sur les réseaux sociaux. Frères, sœurs, cousins et neveux brésiliens me harcelaient, cela en devenait angoissant. J’ai dû les bloquer, car ils recréaient sans cesse de nouveaux profils et je l’ai vécu comme une violence. Aujourd’hui, je ne regrette rien, sauf ma crise d’ado: vols, bagarres, triche et renvois de l’école genevoise. J’ai tout fait à mes frères et sœurs et à mes parents et j’en ai honte. Je pense que je voulais les tester afin de savoir si eux m’aimaient suffisamment pour ne jamais m’abandonner.
Antoine Maulini jouera «#KARMA», one man show traduit en langue des signes, à la salle Point Favre, à Chêne-Bourg (GE), du 16 au 19 juin 2021
Son dernier... bisou
Celui que j’ai fait à mes parents remonte à mars 2020, et ça me manque. Sinon, avec Louise, j’ai rencontré l’amour. Je ne veux pas d’enfants, mais je tiens au mariage. Elle, psychomotricienne, c’est tout le contraire. En plus, elle travaille avec des petits. Alors, on laissera faire la nature…