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Le romanesque dans la vie de Jérôme Aké Béda

Lors d’une excursion, le célèbre sommelier et pape du chasselas Jérôme Aké Béda a sauté dans le vide au péril de sa vie pour sauver son fils de 4 ans. Récit d’une chute folle.

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© Fred Merz | lundi13

«En ce dimanche d’été 2005, nous partons en excursion au Roc d’Orsay avec les membres du Club du Jeudi; les jours de congé, on y tisse des liens, c’est souvent l’occasion de déguster de bonnes choses. Il y a Denis Martin – chez qui j’ai travaillé – et le chef Thierry Bonfante. Nos femmes et nos enfants sont de la partie et Pierre-Alain Meylan, vigneron-encaveur à Ollon, nous accueille dans son chalet. Pour y accéder, il faut laisser les voitures et grimper quinze minutes. Après une grillade trop arrosée, je m’assoupis.

Au moment de repartir, vers 18 h 30, nous cheminons en file indienne. Mon fils Bryan, 4 ans, intenable, tourne comme une girouette. Sur le chemin escarpé, il échappe à la vigilance de sa mère et tente de rejoindre les enfants regroupés en tête. Le danger guette car il est impossible de se croiser, au risque de tomber dans le vide. Je suis à l’arrière, quand soudain des cris retentissent: «Bryan! Bryan!» Le petit vient de chuter d’une hauteur de cinq étages. Emporté en contrebas, il roule comme une noix de coco. Il hurle «Papa! Papa!» et sa voix résonne en un écho déchirant, entrecoupée de pleurs. Denis Martin descend aussitôt à sa recherche en se laissant glisser.

En une fraction de seconde, je sens une force me pousser dans le vide. Je saute à pieds joints, sans réfléchir, en direction des cris de détresse. J’arrive 7 mètres plus bas, stoppé par un arbuste et m’écrase de tout mon poids. L’instinct paternel a été plus fort. Je ne sens pas encore que ma main droite, fracassée, forme un L. L’os du poignet dépasse. Denis Martin, couvert de boue, a récupéré Bryan sain et sauf. En tirant sur ma main, il essaiera de la remettre en place, en vain. On file alors à l’hôpital de Montreux.

Sur place, le verdict se confirme. En voyant la moue du médecin tenant mes radios, je panique. Il m’annonce de multiples fractures et je me dis: «Je vais perdre l’usage de ma main, mon outil de travail. Je ne pourrai plus exercer mon métier, plus jamais appuyer sur un tire-bouchon.» On m’opère le lendemain après une mauvaise nuit. A la sortie, je me retrouve avec des broches en métal. Sept jours plus tard, des amis, inquiets, me conseillent le centre de la Longeraie à Lausanne. La doctoresse Biljana Jovanovic, surnommée «la fée des mains», me prend en charge. Elle me plâtre afin de me stabiliser et envisage de me réopérer, des bouts d’os sont encore visibles sur les radios. Un collège de médecins se réunit, étudie mon cas puis renonce. Au final, il faudra des mois de rééducation avant que je ne retrouve l’usage de cet organe si précieux.

Depuis, je suis d’une prudence extrême. J’ai eu de la chance dans mon inconscience. Lorsqu’il fait froid, la blessure se ravive. Mon fils a 19 ans aujourd’hui, on a reparlé de cette mésaventure lorsqu’il en avait 8. Il me voyait comme un super-héros, un Zorro. J’ai failli me tuer pour lui sauver la vie. Mon geste fou était un geste d’amour.»

 

Par Dana Didier publié le 7 janvier 2021 - 08:49, modifié 13 octobre 2023 - 13:16