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Roux, et alors?

L’organisateur du premier festival des roux de Suisse a beaucoup souffert de la couleur de ses cheveux dans son enfance. A lui et à d’autres, nous avons donné la parole pour savoir comment ils vivent cette différence.

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«Me faire traiter de rouge qui pue, ça m’a marqué à vie», dit François Vorpe, 66 ans, Tavannes, organisateur du festival des roux. Guillaume Perret

Il ne s’aime pas. Vous aurez beau lui dire qu’il porte bien ses 66 ans, que quand vous regardez les photos de lui enfant vous ne voyez rien d’autre qu’un joli garçon, François Vorpe ne veut rien entendre. Il ne s’aime pas, il le répète comme un mantra. La faute à sa rousseur, qui lui a valu, enfant, moqueries et insultes. De la part de ses camarades d’école, mais aussi de nombreux adultes, enseignants, membres de la famille et inconnus. Se faire traiter de «rouge qui pue», il ne s’en est jamais remis. «Ça vous marque à vie.»

«Poil de carotte», l’amère autobiographie de Jules Renard sur son enfance de souffre-douleur, dont la chevelure a cristallisé la haine maternelle, c’était en 1894. Contrairement à l’écrivain français, François Vorpe a, lui, été choyé par ses parents, de modestes agriculteurs de Sombeval (JU). Il n’empêche: petit, fluet, roux et couvert de taches de rousseur qu’il frottait frénétiquement au savon dans l’espoir de les enlever, il s’est longtemps caché sous un bonnet et a mis des années à prendre de l’assurance. Il le raconte dans un récit joliment écrit, «La vie en roux», paru cette année aux Editions du Roc.

François Vorpe en est persuadé, le stigmate continue. Il en veut pour preuve son fils de 13 ans récemment rentré en larmes parce qu’un camarade de classe lui avait dit: «Ton père est un sale rouquin.» Il évoque le message, reçu par l’animateur Jean-Marc Richard, d’une adolescente rousse et en surpoids qui parle de se suicider. De quoi justifier, s’il le fallait, l’organisation de ce «festival des roux»* qui se tiendra les 29 et 30 novembre aux Breuleux et depuis lequel Jean-Marc Richard animera «La ligne de cœur».

L’idée de convier les roux à se réunir n’est pas nouvelle. En août 2020, le festival néerlandais Redhead Days, référence internationale du genre, fêtera son 15e anniversaire. Le Roodharigendag est né à la suite de l’appel d’un peintre néerlandais qui cherchait des modèles roux. Submergé de réponses, il n’a pas voulu leur fermer la porte. Depuis, le rassemblement attire des milliers de participants venus du monde entier et a fait des émules en France, aux Etats-Unis, en Italie, en Allemagne… et désormais en Suisse.

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«Dans la rue, on m’aborde pour me dire que j’ai des cheveux magnifiques», dit Clélia Vuille, enseignante de yoga de 28 ans, Lausanne. Guillaume Perret

La démarche ne plaît pas à tous ceux dotés d’une chevelure flamboyante. Clélia, 28 ans, avoue «ne pas vraiment la comprendre. Si c’est pour s’éloigner des préjugés, montrer que c’est une couleur de cheveux comme une autre, je ne suis pas sûre que ce soit la bonne démarche. Pour moi, cela renforce encore notre différence. Nous ne sommes pas une espèce à part.»

Enfant, elle aussi a été «la rouquine». «C’est clairement comme ça qu’on me définissait en premier.» Sans en souffrir. Aujourd’hui, sourit-elle, on l’arrête dans la rue pour la complimenter. «Peut-être est-ce moins facile pour les hommes.»

Cela n’a pas toujours été facile pour les femmes. Des actrices comme Julianne Moore ou Jessica Chastain, des mannequins comme Karen Elson sont célébrées pour leur couleur de cheveux. L’actrice la plus célèbre du XIXe siècle, Sarah Bernhardt, fascinait et dérangeait par son talent, son mode de vie, son esprit, sa judaïté. Et sa rousseur. Au Moyen Age, les rousses étaient assimilées à des prostituées ou à des sorcières. En 1254, un édit de saint Louis exigeait que les prostituées se teignent en roux, «couleur des feux de l’enfer et de la luxure».

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Arthur Reynaud, 15 ans, entouré de sa mère Stéphanie, 44 ans, et de sa sœur Charlotte, 17 ans, Palézieux. Guillaume Perret

Aujourd’hui encore, la rousseur reste synonyme d’altérité et de rareté. D’où les moqueries faciles. Arthur, 15 ans, a subi, à l’aube de l’adolescence, les quolibets de camarades de classe. «Au début, ça me touchait. Mais ça ne servait à rien de me mettre mal pour eux, alors je ne leur répondais pas.» Il a pu compter sur le soutien de ses amis et l’assure: aujourd’hui, ça va beaucoup mieux. Sa sœur de 17 ans, Charlotte, à qui on lançait «sorcière», «poil de carotte» ou «t’es trop moche», a, petite, demandé à ses parents de changer de couleur de cheveux, et s’est systématiquement défendue. La tendance s’est désormais inversée. «Maintenant, on me demande avec admiration si ma couleur est naturelle.»

La mère de Charlotte et Arthur, Stéphanie, 44 ans, évoque elle aussi des moments difficiles. Les mots d’excuse que lui faisait sa mère pour ne pas devoir afficher sa pâleur à la piscine. «J’ai toujours un peu vécu avec cette honte. Je me voyais moins belle dans le miroir.» La rencontre avec son futur époux, qui la choisit «aussi» pour sa chevelure, l’apaise. Ses grossesses sont teintées d’une crainte: ses enfants vont-ils aussi vivre ce qu’elle a vécu? Elle fera même de l’hypnose pour se libérer. Elle espère bien, elle, se rendre au festival.

François Vorpe, quant à lui, veut croire que l’événement aidera à «ouvrir le débat» pour que les enfants, notamment, ne soient plus en prise aux moqueries. «J’aimerais, dit-il, que l’on parle des différences. De toutes les différences.»

>> Festival pratique: Festival des roux, les 29 et 30 novembre au café-théâtre Aux Planches, Les Breuleux. Tables rondes, projection du documentaire «Dans la peau d’une rousse», concert. Entrée libre.
www.arcemotions.ch


Par Albertine Bourget publié le 15 novembre 2019 - 16:51, modifié 18 janvier 2021 - 21:06