Un destin hors du commun que celui de cette femme de conviction, née le 9 janvier 1940, Argovienne d’origine qui a grandi à Genève et dont le parcours politique culminera sous la coupole fédérale à Berne.
En 1991, elle est encore secrétaire de l’Union syndicale suisse, vient d’échouer à se faire élire au Conseil national et n’imagine pas un instant qu’elle va entrer au Conseil fédéral le 1er avril 1993, sans avoir jamais été ni parlementaire fédérale ni membre d’un exécutif.
Mais le temps d’une deuxième conseillère fédérale est arrivé, faisant presque oublier le souvenir amer de la première. Surtout, son élection surprise fait suite au rejet par l’Assemblée fédérale de la candidature de Christiane Brunner, un affront ressenti douloureusement par les femmes du pays.
«A peine élue, elle rentre déjà dans les livres d’histoire», relève Chantal Tauxe dans son édito de notre magazine lorsque la Genevoise accède pour la première fois à la présidence, en 1999. Première Romande, première socialiste, première représentante de confession juive. «Une espèce d’animal politique parfaitement atypique dans la jungle confédérale», remarque l’éditorialiste.
Il y a aussi chez Ruth Dreifuss ce côté «Mutti» de la nation qu’on soulignera ensuite, en plus austère, chez Angela Merkel. Une empathie, une manière différente de faire de la politique.
La patronne du Département fédéral de l’intérieur jusqu’en 2002 incarne aussi une certaine idée de la Suisse. On se souvient de sa fermeté courtoise face au dirigeant chinois très en colère qu’on ait autorisé des manifestants pro-Tibet à s’exprimer durant sa visite. Et de la vingtaine de réfugiés kosovars qu’elle ramène dans ses bagages lors d’une visite officielle en Macédoine.
Elle aura aussi œuvré pour faire accepter la 10e révision de l’AVS, reconnaissant pour la première fois le travail dans les ménages. Elle a lancé une nouvelle politique de la drogue fondée sur le principe des quatre piliers (prévention, thérapie, aide à la survie et répression).
La politicienne a certes essuyé un revers cinglant lors du rejet par le peuple de l’assurance maternité en 1999 – qui sera acceptée en 2005, trois ans après son départ. Elle a présidé la Commission mondiale sur les drogues jusqu’en 2020, et en reste une membre active. Et milite toujours pour l’égalité hommes-femmes.