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De la santé du monde dépend celle des hommes

Dans son ouvrage, Frederika Van Ingen explore les savoirs des peuples racines en matière de santé. Son constat: nos maux physiques et psychiques sont les signes d’une maladie du vivant.

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Les peuples racines, qualifiés durant toute l’histoire moderne de primitifs avant que les colonisateurs repentis ne les élèvent au titre de «premiers», représentent 370 millions de personnes dans le monde, réparties en 5000 groupes environ. Elles présentent la particularité, selon la journaliste Frederika Van Ingen, de n’avoir jamais coupé le lien avec la terre sur laquelle elles vivent, ce qui leur a permis de conserver des sagesses reposant sur un équilibre homme-nature fort mis à mal aujourd’hui.

Dans la vision de ces peuples racines, «l’explosion des maladies de civilisation (cancers, diabètes, maladies dégénératives, dépressions) est le symptôme d’un lien dysharmonieux. Entre l’humain et lui-même, entre les hommes entre eux, entre les hommes et le grand corps.» Parce que nous autres humains ne sommes que des parties du grand corps de la nature et que le fil naturel qui nous relie à ce grand corps est la santé de notre âme et de notre corps, rien d’étonnant à ce que, lorsque la nature est malade, les hommes le soient aussi.

Pour autant, insiste l’auteure, son livre* ne constitue pas une invitation à aller se faire soigner auprès des peuples racines. «Nombre d’entre eux souffrent déjà beaucoup de la rencontre de nos mondes, des effets du développement industriel, de l’accaparement des terres et de notre pression touristique.» Surtout, vu leur conception holistique de la santé, ces peuples n’ont pas de remèdes miracles à nous proposer. On devrait juste s’inspirer d’eux pour se soigner en tenant compte de la globalité de l’être humain: physique, émotionnel, mental et spirituel. Un principe appliqué par les différentes branches de la naturopathie, fort bien représentées en Suisse. Pas besoin de partir à l’autre bout du monde…

L’implication du patient et du groupe auquel il appartient est, pour ces peuples, une condition indispensable à sa guérison. A l’opposé de nos sociétés, où l’on isole l’individu de sa communauté lorsqu’il est malade, les Dineh (Navajos), par exemple, organisent une grande cérémonie regroupant l’ensemble de ses proches en présence de l’homme-médecine. «Parce que, dans leur vision, explique Frederika Van Ingen, le problème que porte l’individu n’est que le reflet d’un déséquilibre qui, soigné collectivement, bénéficiera à tous.» Mais ces peuples racines mettent également en avant le pouvoir d’auto-guérison du malade: «Lorsque le chamane sibérien soigne une personne, celle-ci sait qu’elle aura probablement des rituels à accomplir et des comportements à changer. Et c’est de son implication que dépendra sa guérison.»

La perception de la mort qu’ont les peuples racines influence également leur manière de soigner. Pour eux, «la mort n’est pas une fin, mais un changement d’état». En Afrique, la mort est perçue comme le prolongement de la vie. «Un homme sur le rivage observe la mer au loin. Elle est vide. Un point au loin apparaît, puis grossit petit à petit: une pirogue. Puis, la pirogue s’éloigne, n’est plus à nouveau qu’un point à l’horizon, puis disparaît. Le bateau a coulé? Non, il continue son voyage…» Une métaphore éclairante sur la nécessité de soigner aussi bien l’âme que le corps de celui qui est malade.

Le livre de Frederika Van Ingen fourmille de ces exemples de savoirs ancestraux que l’on aurait tout intérêt à méditer. Dans la langue des Dineh, par exemple, on ne dit pas «je suis déprimé», mais «yiniil», qui pourrait se traduire par «mon esprit est en compagnie de la tristesse». Cela n’a l’air de rien; pourtant, cette idée que l’émotion n’est pas en celui qui la ressent mais est quelque chose qui le traverse est l’un des thèmes centraux de nombreux courants philosophiques et religieux, comme le bouddhisme. Et une clé pour se délivrer de la douleur: si la tristesse n’est qu’une compagne, on peut lui fausser compagnie. Et si ces savoirs sont menacés, les richesses naturelles sur lesquelles ils s’appuient le sont aussi: le quart du territoire mondial qu’occupent les peuples racines concentre 80% de toute la biodiversité de la planète!

En guise de conclusion et pour vous donner envie de lire ce livre touffu mais passionnant, un dernier aperçu de la vision de l’homme qu’ont les Amérindiens: «L’homme n’est pas la créature la plus aboutie, mais celle qui l’est le moins. En tant que créature la moins parfaite, son travail est de constamment se perfectionner. Les animaux n’en ont pas besoin: ils n’ont pas à se battre avec le bien et le mal, car ils sont au-delà. Ils n’ont pas d’intentions mauvaises. Ni les plantes ni les pierres.»

>> *Le livre: «Ce que les peuples racines ont à nous dire», de Frederika Van Ingen, Editions Les Liens qui libèrent.


Par Busson François publié le 21 février 2020 - 15:45, modifié 18 janvier 2021 - 21:09