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Sebastião Salgado, l’ange gardien de la forêt amazonienne

Pendant six ans, le célèbre photographe Sebastião Salgado a rendu visite aux populations d’Amazonie menacées d’extinction. Son œuvre est exposée à Zurich. «J’ai vu beaucoup de souffrance. La nature a soigné mon âme», confesse le militant de l’environnement.

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Avec «Amazônia», Sebastião Salgado rend à Zurich un touchant hommage à la forêt Amazonienne

Avec «Amazônia», Sebastião Salgado rend à Zurich un touchant hommage à la forêt pluviale. «En Suisse, vous avez une voix de poids. Faites-la entendre!»

Geri Born

Hier à Toronto, aujourd’hui à Zurich. Sebastião Salgado oublie sa fatigue. Son regard bleu est souligné par des sourcils blancs broussailleux. L’homme est une légende, son œuvre passe pour prophétique. L’infatigable missionnaire a eu 79 ans en février. Il a arpenté pendant six ans les forêts pluviales d’Amazonie et rendu visite à 12 populations indigènes dans les régions les plus reculées, souvent dans des circonstances aventureuses. En 2016, il s’est fracturé une rotule en traversant une rivière. Paisiblement, il nous invite à une visite guidée privée de son exposition «Amazônia».

On est soufflé par l’esthétique des peuples autochtones, par l’exubérance et la beauté, par l’insolite virginité d’un des derniers paradis de l’humanité. Il n’est pas trop tard pour les sauver, pense-t-il. «Je souhaite de tout mon cœur, avec toute ma passion et mon énergie, que dans cinquante ans ces témoignages ne seront pas ceux d’un monde disparu. L’Amazonie doit continuer de vivre et c’est pourquoi je suis ici.»

- Sebastião Salgado, comment avez-vous vécu au jour le jour dans la jungle?
- Sebastião Salgado: 
A partir de 2016, je suis parti très souvent en Amazonie. Parfois, je disparaissais des semaines ou des mois dans la forêt et en revenais avec de nouveaux témoignages et de nouvelles impressions. J’ai gardé le contact avec certaines populations comme les Yanomami. J’ai été le premier non-indigène à pouvoir visiter chaque village du peuple Zo’é.

- Ils ont une existence paisible?
- Les gens vivent encore souvent dans des communautés intactes, en harmonie avec leur environnement, parfois dans un total isolement. Ils chassent à l’arc et à la sarbacane et sont pour la plupart nus. D’autres ont davantage de contacts et portent des vêtements. Ils ont tous la volonté de préserver leur tradition et leur culture au moins à l’occasion des cérémonies rituelles.

- La forêt pluviale est tellement riche en couleurs, pourquoi ne photographiez-vous qu’en noir et blanc?
- C’est une abstraction, je transforme tout en tons de gris. Cela me permet de concentrer l’attention sur ce que je veux. Je n’aime pas ce qui fait cliché. Le monde en clair-obscur est plus enrichissant, plus complexe. Et très fragile.

Sebastião Salgado est non seulement dans l’action, mais aussi dans le combat. Il a vu le jour à Aimorés, au Brésil, sixième d’une fratrie de huit enfants. A 20 ans, il a dû choisir s’il s’engageait dans la lutte contre la junte militaire. Il a opté pour l’émigration et fait carrière dans le commerce du café. A 26 ans, il a appris la photo et passe désormais pour l’un des plus célèbres photoreporters de la planète. Il habite à Paris avec son épouse, Lélia Wanick Salgado. Le couple réalise ensemble tous les projets.

- En deux ans, votre exposition «Amazônia» a été vue par 1,4 million de personnes. C’est un motif de fierté?
- Je suis fier d’avoir pu braquer les projecteurs sur le plus grand trésor de mon pays. Une musique de Jean-Michel Jarre composée exprès pour l’exposition accompagne les visiteurs de bout en bout. En tant que photographe, j’ai parcouru le monde, documenté la révolution industrielle, la consommation effrénée, les répercussions tragiques du changement climatique, les famines et le visage hideux de la guerre…

- … et vous êtes tombé gravement malade.
- Oui, le génocide au Rwanda m’a confronté à une souffrance indicible. Un jour, je ne l’ai plus supportée, mon corps et mon âme se sont rebellés. J’ai arrêté la photographie. A cette époque, mes parents, qui étaient très âgés, m’ont légué une ferme d’élevage de bovins. J’ai d’abord songé à me convertir en fermier. Mais le domaine était délabré et asséché. Mon épouse, Lélia, a eu la merveilleuse idée de replanter la forêt et nous avons lancé le projet Instituto Terra. Nous avons planté 3 millions d’arbres de plus de 300 essences et créé plus de 2000 nouvelles sources d’eau. Et un miracle s’est produit: entre arbres, oiseaux, mammifères et termites, la vie est revenue. Même le léopard a pris ses aises.

Lélia Wanick Salgado, l’épouse du photographe Sebastião Salgado, a monté l’exposition. Sebastião feuillette l’album «Amazônia», qui pèse 5 kilos.

Lélia Wanick Salgado, l’épouse du photographe, a monté l’exposition. Sebastião feuillette l’album «Amazônia», qui pèse 5 kilos.

Geri Bron

- Vous faites-vous aujourd’hui une autre idée de la beauté?
- Pour moi, la beauté est l’équilibre entre un lieu et la lumière, la dignité, une présence forte. Lorsque je prends un arbre en photo, je le respecte, il acquiert une grande dignité. Ces petites pensées ont beaucoup agi sur moi, elles ont fait mûrir mon souhait de regarder la planète avec plus d’attention et de photographier la nature.

- Faites-vous toujours des cauchemars?
- J’avais perdu toute foi en l’espèce humaine. Aujourd’hui, j’ai davantage d’espoir, je suis plus heureux. Quand je me réveille le matin, je pense à la photographie. Je rêve des gens que j’ai photographiés. Mais quand je fais un cauchemar, c’est celui d’un appareil photo dépourvu de pellicule au moment même où un décor parfait se présente devant mes yeux.

- Les images en disent-elles plus que les mots?
- En dépit de tous les aspects émotionnels que véhicule la photographie, j’hésite quant à son pouvoir. Je ne crois pas que les images puissent changer quoi que ce soit à la marche du monde. Mais la photo m’a permis d’en apprendre beaucoup sur notre planète. J’ai visité plus de 130 pays et appris à vraiment connaître leurs habitants. La photo rend possible quelque chose d’extraordinaire: elle crée un lien entre le photographe et la personne qu’il photographie. Dans le cas de l’Amazonie, en liaison avec des organisations environnementales, elle peut susciter un mouvement. Je peux faire une photo que les gens apprécient, qui devient peut-être même tout de suite iconique, mais au bout du compte ça ne change rien si elle ne fait pas partie d’un mouvement, associée à un message, à un texte, à la volonté de gouvernements, à l’engagement de tout un chacun.

- Que signifie la richesse pour vous?
- Je ne suis pas riche, je ne suis qu’un photographe. Mais il y a des avantages à être célèbre: c’est ainsi que les revenus d’«Amazônia» retournent à notre projet Instituto Terra. Grâce au Zurich Forest Project, nous pouvons continuer de restaurer cet écosystème encore bien des années.

- Vous nous avez fascinés avec «Genesis». Aujourd’hui, nous plongeons dans la forêt vierge. Quel est le message que vous entendez nous délivrer?
- Alors qu’avec «Genesis» je voulais documenter certains lieux de la planète demeurés intacts, ici l’idée est que des êtres humains puissent vivre durablement, que nous respections les communautés autochtones. On ne voit pas d’incendies, pas de destructions. Je montre une autre Amazonie, celle qui doit rester pour toujours là où elle est! Je voudrais permettre aux gens de se rendre compte combien la nature et les habitants y sont merveilleux, multiples et beaux. Afin que nous apprenions à les aimer. Et à défendre l’Amazonie. 

>> Retrouvez l'exposition «Amazônia» jusqu’au 13 août 2023 au Maag Halle à Zurich. Plus d'informations sur www.amazonia-exhibition.ch

3 chiffres à retenir

380 
Le nombre de peuples qui habitent l’Amazonie. Leurs territoires représentent plus de huit fois la superficie de la France. Ces populations autochtones parlent 250 langues différentes.

3 mios
Le nombre d’indigènes qui pourraient perdre leur habitat en raison de la déforestation. Ils sont les meilleurs garants de la forêt pluviale, qui absorbe presque 20% du CO2 de la planète.

22
Le pourcentage de la forêt vierge amazonienne qui a été défrichée rien qu’au Brésil en 2021. Cela représente 13 000 km2, soit l’équivalent de 1,8 million de terrains de football.

Par Caroline Micaela Hauger publié le 21 juin 2023 - 08:45