Bonjour,
Le journaliste de la Radio Télévision Suisse (RTS) revient sur une année extrêmement forte et émouvante. Au mois d’avril, il s’est rendu à Boutcha, en Ukraine. Il y a trouvé l’enfer et l’indicible.
Le journaliste de la Radio Télévision Suisse (RTS) Sébastien Faure.
Philippe Christin«Quand je me penche sur l’année écoulée, je pense évidemment au reportage que nous avons réalisé à Boutcha, en Ukraine. Honnêtement, on ne s’attendait pas à l’ampleur de cette tragédie et du massacre, à retrouver cette ville de la banlieue cossue de Kiev constellée de cadavres. Avec le caméraman Jon Bjorgvinsson et le fixeur Alexander Nedbaev, nous avions tenté de nous y rendre à de multiples reprises mais la zone était très difficile d’accès en raison des bombardements. Nous nous sommes donc arrêtés quelques jours dans un petit village à proximité, pas loin de Kiev. Les Russes n’étaient pas nombreux et peu d’habitants étaient restés.
On parlait certes de pillages, mais l’occupation demeurait «humaine». Les villageois avaient fait avec l’occupant. Un gradé de l’armée ukrainienne m’avait toutefois montré une vidéo sur son téléphone portable où des cadavres avaient les mains attachées dans le dos à Boutcha. Je ne l’ai pas pris pour argent comptant. Cela ne voulait pas forcément dire que ça se passait comme ça dans toutes les rues de la ville.
Le lendemain matin, j’y suis allé. Les habitants commençaient à sortir de leurs caves, après y être restés cachés. Tous racontaient la même histoire, d’une intensité folle. C’était très émouvant d’être le destinataire de leurs témoignages. Il n’y avait pas besoin de beaucoup les pousser pour qu’ils rendent compte de l’horreur vécue, de cette ignominie, de cette méchanceté. Les soldats russes passaient quotidiennement dans la même cave et, chaque jour, ils en choisissaient un qu’ils allaient tuer. Sur un groupe de deux personnes, ils s’assuraient de n’en abattre qu’un pour voir l’autre paniquer. Ils ont instauré une forme de terreur systématique, qui est assez dure à comprendre.
Ce qui nous sauve en tant que journaliste, c’est qu’on sait pourquoi on est là. Pour le raconter, le documenter et le partager. Evidemment que ça ne laisse pas indemne. Je suis toujours très ému quand j’en parle. C’était d’une violence inouïe. Ce jour-là, je suis rentré à l’hôtel et j’ai pleuré deux fois. Puis on s’est mis au travail, on a fait le montage et j’ai assuré le duplex en direct avec le téléjournal.
Les téléspectateurs ont été marqués par ce reportage. Ils ont senti que j’étais moi-même très touché. Dans ce moment de grande défiance envers les médias, après le covid, les fake news et les théories de complot mondial, peut-être que d’avoir un visage connu, qui fait un peu partie des meubles de la RTS, permet de mieux se projeter et de porter un regard différent sur ce que l’on voit. Je l’espère.
Beaucoup de gens sont venus me parler de cette expérience dans la rue en me remerciant. A l’inverse, j’ai aussi reçu une quantité de messages de personnes qui «savent mieux», qui m’ont reproché d’être naïf et d’avoir été piégé par une mise en scène. Des messages qui s’inscrivent dans cette mouvance antivax, complotiste – pas forcément pro-russe – qui applique le même schéma de pensée sur la guerre. Cela m’a stupéfié.
Et puis, l’autre événement marquant, dans un tout autre registre bien sûr, a été la mort de la reine Elisabeth II. Je suis parti en urgence le vendredi pour réaliser un reportage pour le dimanche soir. J’avoue ne pas être fasciné par la royauté, mais j’ai pris beaucoup de plaisir à échanger avec des jeunes qui ont des opinions très tranchées sur la monarchie. C’est la beauté du métier. On trouve toujours quelque chose de fascinant à raconter, les petites histoires qui se cachent derrière la grande. «Etre journaliste, c’est dur mais c’est mieux que de travailler.» Cette phrase n’est pas de moi, mais je la trouve assez juste.»
Une deuxième manche de feu et la médaille d’or du slalom géant de ski alpin aux JO pour Marco Odermatt. Le Nidwaldien a tout gagné en 2022 et remporte le globe de cristal de géant et le grand globe, récompense suprême. 13.02, Pékin, Chine:
«Ces Jeux olympiques en Chine m’ont parlé pour d’autres raisons que celles sportives. Des JO de l’absurde situés dans des régions sans la moindre neige, où il a fallu pomper une quantité inimaginable d’eau pour enneiger les pistes. Un petit avant-goût de la Coupe du monde de football au Qatar ou encore des Jeux asiatiques d’hiver en Arabie saoudite en 2029…»
Jean-Christophe Bott/KeystoneElle est venue, elle a vu et elle a vaincu! Lara Gut-Behrami célèbre sa médaille d’or remportée lors du super-G féminin des JO d’hiver de Pékin. Quelques jours auparavant, elle s’était adjugé le bronze en slalom géant. 11.02, Pékin, Chine:
«Je suis, hélas, un très mauvais client pour le sport. Je ne le regarde jamais à la télévision, mais j’adore en faire! Du ski, beaucoup.»
UPI/Shutterstock/DukasDe retour de Pékin, Mathilde Gremaud est accueillie par sa famille et ses fans à l’aéroport. A seulement 22 ans,la skieuse acrobatique devient la Romande la plus titrée de l’histoire olympique, tous sports confondus,avec une médaille de chaque métal en deux participations. 18.02, Zurich, Suisse:
«Ce cliché est incroyable. Je ne prête pas trop d’attention aux résultats sportifs, mais je suis touché par l’histoire de La Roche, ce village avec ses petites installations sportives qui envoie deux de ses enfants – Noémie Kolly et Mathilde Gremaud – aux JO! Et Mathilde qui revient avec toutes ces médailles, c’est chouette pour elle et pour la notoriété de cette petite station de ski. C’est là que le sport m’intéresse, quand il devient une histoire de gens et de lieux. Et puis, on parle de Fribourg, pas forcément un canton star du ski. Pourtant, je l’adore, je vais skier chaque année au Moléson.»
Michael Buholzer/keystoneLe président français Emmanuel Macron face à son homologue russe, Vladimir Poutine, à Moscou. Ce déplacement visait à faire baisser les tensions entre la Russie et l’Ukraine… 07.02, Moscou, Russie:
«Une caricature totale, avec cette table démesurée qui incarne toute la sobriété du Kremlin. Sur le moment, l’image nous a amusés. On a pensé au covid, évidemment. Or c’est une magnifique métaphore de la situation à cet instant entre la Russie et l’Europe de l’Ouest, où nous sommes à la fois si proches et tellement loin. J’avoue que début février, on entendait des rumeurs. Mais jamais je ne me serais imaginé ce qui adviendrait dix-sept jours plus tard. On pensait que Poutine se contenterait de s’emparer du Donbass. Mais pas qu’il se lancerait directement dans une guerre totale et contre tout le territoire ukrainien.»
Tass/Abaca/DukasA Kiev, une femme – Natali Sevriukova – en larmes devant sa maison détruite par une frappe aérienne russe. La veille, Vladimir Poutine lançait son «opération militaire spéciale» en Ukraine. 25.02, Kiev, Ukraine:
«Un choc total ce 24 février en réalisant qu’on allait connaître une guerre «conventionnelle» opposant deux Etats en Europe. Ce n’est pas quelque chose que je m’attendais à vivre, tant cela évoque les conflits du passé. Objectivement, cette guerre n’a pas lieu d’être. Je me suis souvent rendu en Ukraine, notamment dans le Donbass. La première fois, c’était en 2005 lors de la Révolution orange. Une période qui marquait la fin de l’effondrement du bloc soviétique, les répercussions qui allaient arriver et les velléités d’indépendance pro-européenne de l’Ukraine. Et tout ça s’est poursuivi jusqu’à cette année. C’est effroyable de vivre ça.»
Emilio Morenatti/AP/Keystone«Elle n’a pas été adoptée, c’est mon enfant. J’ai toujours su que je serais mère», déclare la top-modèle Naomi Campbell, âgée de 51 ans, en posant avec son premier bébé en couverture du «British Vogue». 22.02, Grande-Bretagne:
«Une très belle photo qui change des habituels pères quinquas! L’opération de communication est intéressante: «Je ne donne pas son prénom mais je la présente en une de «Vogue». Un acte qui résonne en cette année 2022 où on lit que de plus en plus de jeunes renoncent à devenir parents afin d’épargner la planète. C’est un choix différent que de s’affirmer dans une maternité tardive.»
«Nous sommes toujours là», lance le président ukrainien Volodymyr Zelensky dans une vidéo enregistrée dans la rue, le soir du 25février. Entouré de plusieurs hauts fonctionnaires, il montre qu’il n’a pas fui la capitale. 25.02, Kiev, Ukraine:
«A star is born.» C’est fou, on pensait qu’il n’aurait que trois jours devant lui avant d’être abattu. On s’est tous rués sur sa série Netflix pour confronter réalité et fiction, une fiction dans laquelle il est aussi président. C’est ahurissant de voir ce qu’il est devenu. Il n’était pas pris au sérieux au début et il s’est révélé excellent, surtout dans sa communication en parvenant à fédérer la communauté internationale derrière lui. Il est devenu une référence, c’est presque un moment de «fame» pour les autres chefs d’Etat que d’aller se prendre en photo avec lui. C’est la révélation de cette année 2022.»
Les habitants de la capitale ukrainienne tentent de quitter la ville après les frappes de missiles des forces armées russes et du Bélarus, le 24février. 24.02, Kiev, Ukraine:
«Cette photographie est folle. On y voit la panique des habitants et cette fuite qui aura des répercussions sur l’Europe et la Suisse, notamment, qui a reçu 70000 réfugiés. On connaît tous des familles qui ont fait le choix d’accueillir des familles ukrainiennes et c’est dur parfois. Chacun y répond différemment. Evidemment, ce que m’évoque cette image, c’est la peur des habitants devant ce qui peut leur arriver. Ce que j’ai découvert à Boutcha en avril montre qu’ils ont été bien inspirés de partir. Je ne pensais pas connaître ça dans ma carrière de journaliste en Europe. C’est effroyable et indicible.»
«Nous n’envions personne dans le monde», affichent ces enfants lors d’une démonstration de natation synchronisée à l’occasion du 80e anniversaire de l’ancien dirigeant nord-coréen Kim Jong-il, défunt père de Kim Jong-un. 13.02, Pyongyang, Corée du Nord:
«En tant que journaliste, j’ai toujours nourri le désir de me rendre en Corée du Nord. Je suis fasciné par ce pays, par ce récit de la propagande martelé en permanence. Un pays dans lequel les gens ne parviennent pas à se nourrir mais où le régime veut donner le change et répète les mêmes clichés que la société de consommation occidentale. Notamment avec ce parc aquatique ou en construisant des stations de ski alors qu’on peut bien imaginer que le pays à d’autres défis devant lui. Mais le régime de Pyongyang veut montrer qu’il parvient à faire le bonheur de sa population.»
Mary J. Blige, Kendrick Lamar, Eminem, Dr. Dre, 50 Cent et Snoop Dogg sur scène à la mi-temps du Super Bowl, la grand-messe du sport américain. Un moment historique: jamais des rappeurs ne s’étaient vu réserver la tête d’affiche du show. 13.02, Inglewood, Etats-Unis:
«Un moment de fous! D’avoir un tel plateau affirme la prééminence de cette culture rap, le style de musique le plus écouté aujourd’hui. Tout le monde connaissait tous les morceaux joués durant ce Super Bowl. Et puis, ce genou à terre mythique d’Eminem qui démontre que les lignes bougent, que le mouvement Black Lives Matter prend de l’ampleur. Un bel hommage, un rassemblement de l’Amérique qui marque aussi symboliquement la fin des années Trump.»