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Sérotonine et dépression: la controverse?

Sous les projecteurs depuis des décennies, la sérotonine est-elle une clé pouvant tour à tour expliquer et soigner la dépression?  Une vaste analyse parue dans la revue «Molecular Psychiatry» a récemment semé le trouble sur la théorie neurochimique de la dépression. Elle rappelle surtout combien l’affaire est complexe.

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sérotonine et dépression

Les mécanismes en jeu dans la dépression restant extrêmement complexes, la thèse neurobiologique divise les experts, aujourd’hui encore.

Noura Gauper

Elles s’appellent sérotonine, dopamine et noradrénaline et œuvrent en direct de nos cerveaux, en tant que neurotransmetteurs, pour réguler nos humeurs, niveaux d’énergie, sensation de satiété, libido ou encore excès de stress. Réactives et opérationnelles quand tout va bien, elles seraient chahutées et en berne en cas de dépression. C’est sur cette base neurochimique que de nouveaux éclairages sont apparus il y a quelques décennies, tordant le cou à l’idée que la dépression ne serait que «dans la tête» et sans aucun fondement biologique.

C’est également ainsi que sont nés les antidépresseurs dits sérotoninergiques, dopaminergiques et/ou noradrénalinergiques, visant à pallier le manque supposé des neurotransmetteurs en question dans certaines synapses du cerveau. Mais les mécanismes en jeu dans la dépression restant extrêmement complexes, la thèse neurobiologique divise les experts, aujourd’hui encore. Preuve en est le vif débat qui a suivi la publication d’un article portant sur le lien entre sérotonine et dépression dans les pages de la revue «Molecular Psychiatry», il y a quelques mois.

L’ambition des chercheurs à l’origine de cette publication a été de passer au crible 17 études et méta-analyses – autrement dit compilant elles-mêmes plusieurs études – portant sur le lien entre sérotonine et dépression. Parmi les éléments ainsi observés: la sérotonine elle-même et l’un de ses métabolites, ou «dérivés» (le 5-HIAA) dans le sang, les taux de transporteurs de la sérotonine (SERT) mesurés par imagerie ou post-mortem, l’effet d’une diminution volontaire des taux de sérotonine sur les symptômes de la dépression ou encore l’impact de modifications génétiques sur les gènes SERT, impliqués dans le transport de la sérotonine. La conclusion de l’étude a été sans appel: aucune preuve cohérente ne permet d’associer sérotonine et dépression. L’enquête s’arrêterait-elle donc ainsi, balayant toute implication de la sérotonine, en même temps que l’intérêt des antidépresseurs visant à rectifier son manque supposé en cas de dépression?

De nombreux écueils

Rien n’est moins sûr. Car, rapidement, les limites de l’analyse se profilent. Certaines sont même énoncées par les auteurs eux-mêmes, à commencer par la mauvaise qualité de plusieurs études recensées, leur taille limitée ou encore le fait que certaines n’ont pas tenu compte de l’utilisation antérieure d’antidépresseurs par des volontaires impliqués dans les recherches, un fait susceptible de perturber les résultats. Et ce n’est pas tout: «Les écueils à souligner sont nombreux. L’un d’eux concerne la dépression elle-même. Aucune distinction n’est faite dans cette revue globale et pourtant, on le sait, la dépression n’est pas une entité unique qui se manifesterait à l’identique chez toutes les personnes qui en souffrent. De multiples formes existent, tant en termes de symptômes que de causes ou d’évolution du trouble. Dès lors, les facteurs neurobiologiques sous-jacents, impliquant la sérotonine par exemple, empruntent forcément des caractéristiques diverses», réagit le Pr Eap Chin-Bin, responsable de l’unité de pharmacogénétique et psychopharmacologie clinique et directeur du Centre de neurosciences psychiatriques du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV).

Autre fait marquant noté par l’expert, les éléments biologiques étudiés. «Prenons l’exemple des taux sanguins de sérotonine ou de son dérivé, le 5-HIAA, on ne peut rien conclure de ces analyses sanguines. Et pour cause, pour identifier les éventuels dysfonctionnements de la sérotonine, il faudrait l’étudier là où elle est active et déterminante: dans le cerveau, et plus précisément au niveau des circuits de neurones impliqués dans les symptômes de la dépression, autrement dit ceux régulant humeur, élan ou encore vitalité. Des études ont été faites en ce sens, mais elles sont rares, car elles supposent des prélèvements au niveau du liquide céphalorachidien, ce qui est très invasif et ne reflète même pas forcément les valeurs au niveau neuronal.»

sérotonine

Sérotonine, dopamine et noradrénaline œuvrent en direct de nos cerveaux, en tant que neurotransmetteurs, pour réguler nos humeurs, niveaux d’énergie, sensation de satiété, libido ou encore excès de stress.

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Autant de biais rendant impossible toute déduction définitive? Pour le Dr Michel Hofmann, psychiatre et chef de clinique au sein de l’unité de psychopharmacologie clinique des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), c’est une évidence: «Non seulement la rigueur scientifique de la synthèse est contestable, mais certaines recherches clés qui tendraient à tirer des conclusions inverses ayant par exemple été omises, dès lors, toute conclusion paraît en effet hâtive.» Et d’ajouter: «En clair, ce n’est parce que les données relevées n’étayent pas l’hypothèse de la dépression comme conséquence d’un déficit en sérotonine qu’une participation de ce neurotransmetteur n’existe pas, et encore moins que la piste neurochimique de la dépression s’effondre. Cette publication vient surtout comme un rappel de nos limites et du chemin qu’il reste à parcourir pour comprendre une pathologie aussi vaste que la dépression.»

Un constat qui fait l’unanimité: «La dépression reste aujourd’hui une maladie complexe, multifactorielle, mêlant sans aucun doute une dimension neurochimique à des facteurs psychologiques, personnels, génétiques, environnementaux nous rendant plus ou moins vulnérables, selon qui nous sommes, mais également selon les moments de vie que nous traversons», rappelle le Pr Chin-Bin.

Recommandations claires

Que penser alors des antidépresseurs, en particulier les versions ciblant la sérotonine, eux aussi ébranlés par cette récente étude? «Une telle publication est périlleuse parce qu’elle brouille les messages destinés aux patients, déplore le Dr Hofmann. Or les zones d’ombre sur les mécanismes en jeu dans la dépression n’annulent en aucun cas l’efficacité prouvée des antidépresseurs. Pour rappel, si ces médicaments sont sur le marché, à l’instar de tout autre traitement reconnu, c’est parce qu’ils ont prouvé leur efficacité, que les rapports entre risques et bénéfices ont été évalués et ont pu aboutir à des recommandations claires. Il est ainsi par exemple admis aujourd’hui que les antidépresseurs ne sont préconisés en première intention qu’en cas de dépression modérée à sévère.»

Et le Pr Chin-Bin de préciser: «L’action des antidépresseurs est vaste. Elle porte bien sûr en priorité sur la régulation des niveaux de neurotransmetteurs, mais serait bien plus étendue. Elle impliquerait notamment la stimulation du facteur neurotrophique issu du cerveau (BDNF), une protéine secrétée par les neurones eux-mêmes et essentielle à leur vivacité. S’il est certain que beaucoup reste à découvrir, cela n’enlève en rien leur intérêt, ni l’importance des recherches en cours pour trouver de nouvelles pistes de traitement. L’objectif clé reste une personnalisation toujours plus fine et efficace de la prise en charge de la dépression.» Il conclut: «Une chose est sûre: la dépression est une pathologie aux conséquences potentiellement graves sur le quotidien et sur la vie elle-même et ne doit en aucun cas être minimisée, quels que soient les débats en cours. Quant à la sérotonine elle-même, elle joue probablement un rôle, mais dans une équation elle-même extrêmement vaste, dont beaucoup reste à élucider.»


L’activité physique: un remède en soi


Les experts sont unanimes: une activité physique suffisante et régulière apparaît comme une véritable alliée face à la dépression, mais serait aussi capable d’en atténuer les symptômes. «C’est un constat de plus en plus solide et pour lequel de nombreuses recherches sont en cours pour comprendre les mécanismes en jeu, souligne le Pr Eap Chin-Bin, responsable de l’unité de pharmacogénétique et psychopharmacologie clinique et directeur du Centre de neurosciences psychiatriques du CHUV.

Parmi les explications possibles: la stimulation, par le biais de l’activité physique, du facteur neurotrophique issu du cerveau (BDNF), une protéine bénéfique synthétisée par les neurones. «Une piste pour expliquer ce phénomène repose sur le lactate, poursuit le spécialiste. S’illustrant par les douleurs ressenties lors d’un effort musculaire important ou inhabituel, ce composé est issu de la combustion naturelle du glucose lors de l’activité physique. Or, il semblerait qu’il puisse dans le même temps stimuler le BDNF.» Une piste inédite de traitement pour contrer la dépression? Pourquoi pas… «Des travaux vont dans ce sens», confirme le Pr Chin-Bin.

gens faisant du sport

Selon les experts, une activité physique suffisante et régulière apparaît comme une véritable alliée face à la dépression, mais serait aussi capable d’en atténuer les symptômes.

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En attendant, la routine idéale à adopter: une moyenne de 30 à 45 minutes d’activité physique modérée (autrement dit activant suffisamment le système cardiovasculaire pour provoquer essoufflement et transpiration) trois à cinq fois par semaine. Et l’expert de conclure: «Un tel rythme, si on s’y tient, est optimal. Il est inutile de mettre la barre trop haut et ce d’autant plus qu’une activité physique manifestement excessive aurait elle-même un effet délétère sur la santé psychique.»

Par Laetitia Grimaldi publié le 10 février 2023 - 08:39