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Reportage 

À Sion, dans une prison nouvelle génération

L’établissement accueille entre 130 et 140 prisonniers, de tous bords. Entre détentions avant jugement, exécutions de peines ou de mesures, les destins de chacun se croisent en un intense va-et-vient à l’équilibre précaire. Découverte d’un monde à part, bien loin des images préconçues de l’univers pénitentiaire…

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© sedrik nemeth

C’est un bel endroit, en fait. Au milieu des vergers et d’une zone pas encore complètement industrielle, tout à côté du domaine des Iles et de son joli lac, si près du cœur de la capitale valaisanne, le bâtiment se confond presque avec les hangars de la scierie voisine.

Dans tout ce vert, pourtant, et même sous le soleil de ce début de juin, le mur d’enceinte aveugle, les barbelés sur les toits et l’immense porte de fer ne laissent aucun doute. On est bien devant une prison. Une vraie. Avec tout ce que cela comporte. Des bruits de clés aux crissements continus de portes qui s’ouvrent et qui se ferment. Des relents fatalement un peu rances des couloirs et des cellules aux kilos de nourriture entassés dans l’économat, des cours nues aux couloirs comme infiniment tapissés d’œillères. L’odeur du malheur, aussi, et la sensation d’étouffement, bien sûr…

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  © sedrik nemeth

La prison de Sion, construite en 1998, accueille une moyenne de 130 à 140 détenus partageant leur quotidien avec les quelque 30 agents de détention et le personnel médical, principalement des infirmiers, présents sur place.

23 heures sur 24 en cellule

Aujourd’hui, les huit blocs que compte l’établissement sont occupés aussi bien par des personnes condamnées à de longues comme à de courtes peines que par ceux qui sont incarcérés en attente de leur procès. Principalement enfermés dans leur cellule, individuelle ou à deux et même trois places, 23 heures sur 24, les détenus correspondent à la statistique de la population carcérale en Suisse: des hommes plutôt jeunes, issus de milieux modestes et, pour leur grande majorité, d’origine étrangère.

Dans la réalité et hors de toute statistique, un immense mélange d’histoires, de caractères, de drames, d’attentes et de problèmes sur lesquels veille depuis près de vingt ans Cédric*, le chef de maison, 44  ans, la poignée de main franche et les yeux qui sourient. Avec son uniforme discret, sans arme, l’homme ne correspond pas à l’image du garde-chiourme. Il rit: «Ici, l’agressivité ne sert à rien! Armé, je serais plus un danger pour moi-même et mes collègues qu’une garantie de protection. Le métier a bien changé en vingt ans. Surtout grâce au centre de formation suisse, qui nous permet de disposer de personnel bien formé désormais. Et si notre métier s’est transformé, notre relation aux détenus aussi. Nous sommes à leur écoute plus que sur leur dos. D’ailleurs, ils le reconnaissent et comprennent vite que nous sommes souvent leur seul lien vers l’extérieur. Il nous arrive de traduire des lettres d’avocat ou d’aider certains qui ne le peuvent pas à rédiger des courriers. Tout cela nous permet d’obtenir un certain respect, ce qui, clairement, favorise une bonne tenue à la fois de la maison et du quotidien de chacun.»

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Les détenus ont droit à une heure de promenade par jour. À Sion, chaque bloc dispose d'une cour, où les prisonniers sont accompagnés par les gardiens, qui surveillent également le retour en cellule. © sedrik nemeth

A ses côtés, une visite de la prison de Sion se transforme en véritable voyage au cœur d’une réalité très éloignée des fantasmes que suscite l’univers pénitentiaire.

Le quotidien des détenus est réglé comme du papier à musique: petit-déjeuner à 7  heures, repas de midi entre 11 heures et midi, repas du soir dès 16 h 30, le tout pris principalement en cellule. Une heure de promenade par jour, une heure de sport par semaine. Quelques visites, décidées au cas par cas et selon le statut ou le comportement de la personne. Et du travail en atelier pour ceux qui le peuvent. Cédric souligne: «Nous aimerions doubler le temps de promenade et de sport, mais nous sommes trop peu… Cela serait clairement bien pour les détenus. Comme de pouvoir augmenter les places de travail, qui sont bien trop rares.»

Trois ateliers pour 25 places de travail

La prison de Sion, avec ses tâches internes et ses trois ateliers (cuisine, buanderie et imprimerie), permet à 25 détenus d’effectuer une activité régulière. A la buanderie, deux hommes d’âge mûr se félicitent. «Travailler, cela nous aide à ne pas regarder le plafond. A ne pas sombrer. Ici, il ne faut pas trop penser. S’occuper de soi et ne pas trop regarder à côté, c’est comme cela qu’on peut supporter.»

A l’imprimerie, un tout jeune homme, 25  ans et six ans de détention, se prépare à sortir, bientôt: «Je ne sais pas quand. C’est difficile de ne pas savoir. Et en même temps, après si longtemps, cela fait presque un peu peur, l’extérieur. On ne sait pas comment payer des factures, on ne sait rien faire dehors. J’espère que cela ira, que ma famille, mes enfants, seront fiers de moi.» Plus tard, le chef de maison aura ce mot, un peu désabusé: «Je pense que l’on devrait s’occuper un peu mieux des gens quand on les a sous la main. C’est ici qu’on pourrait les former, les aider pour affronter leur vie d’après. Il manque un entourage d’aide sociale, clairement. C’est dommage.»

Dans un tel lieu, chaque geste est mesuré et les choses les plus insignifiantes prennent une dimension toute différente. Cédric l’explique volontiers: «Chaque détail compte. Par exemple, pour les colis amenés par les familles: il est clair que nous ne voulons pas brimer les gens en les empêchant d’apporter ceci ou cela. Mais nous avons découvert de nombreuses fois de la drogue ou des appareils électroniques cachés dans les denrées alimentaires. Quant aux fruits frais, les détenus s’en servent souvent pour fabriquer de la gnôle dans leur cellule… Et ici, la tension due à une consommation excessive d’alcool n’est pas gérable. D’ailleurs, les prisonniers ont tout ce qu’il leur faut. Pour le surplus, nous préférons grandement que les familles aident leur proche à se fournir directement à la prison, dans le magasin mis à leur disposition. Cela nous évite de fouiller le tout, tout en aidant les détenus à gérer un budget.»

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  © sedrik nemeth

 

Un fragile équilibre

Le chef de maison voit tout et n’est pas dupe. Dans les couloirs, tout le monde l’arrête, détenus et collègues: les premiers pour plaider une cause, résoudre un problème, les seconds pour faire le point, requérir une décision, renseigner sur l’état d’esprit régnant sur tel ou tel secteur. L’équilibre de la maison, fragile, est au prix d’un intense travail d’ajustements et de réglages fins. Pour Cédric, ces conversations continues sont essentielles: «La base de notre métier, c’est l’observation et la communication. Nous devons être capables de détecter le moindre changement d’attitude. Cela nous permet d’agir vite en cas de projet d’évasion ou d’anticiper par exemple la montée en puissance d’une personne, son potentiel d’agressivité envers les autres ou contre elle-même. Les tentatives de suicide, les appels au secours comme nous les appelons, ne sont pas rares, et nous devons absolument tout faire pour les éviter. Pour garantir que tout fonctionne au mieux, nous entretenons un très bon partenariat avec la police et le personnel médical présent ici, tout comme avec les associations extérieures, comme la fondation REPR, qui s’occupe des familles des personnes détenues.»**

Car les drames, la violence ne sont ici jamais très loin. Une bagarre durant l’heure de sport, des refus de rentrer de promenade, des crises soudaines chez l’un ou l’autre gravement atteint dans sa santé psychique, un feu de cellule, des mauvaises nouvelles de l’extérieur… Pour les agents de détention, le quotidien est souvent rude: «Nous sommes en sous-effectif chronique. Heureusement, l’équipe est motivée et très solidaire. C’est important, aussi en cas de coup dur. Mais nous avons tous nos limites et je ne suis pas sûr que notre réalité soit comprise par tous à son juste niveau.»

Car oui, tout est différent ici, même les jolis arbres du parking, admirés et protégés, devenus les cauchemars des gardiens tant ils bouchent la vue et les empêchent d’avoir une bonne vision des extérieurs!

*Nom connu de la rédaction.

** Fondation REPR (Relais enfants parents romands),

www.repr.ch, 0800 233 233.

 

publié le 14 mai 2018 - 10:49, modifié 15 mai 2018 - 15:23