On abuse souvent du mot cauchemar. Mais il est en l’occurrence pertinent. Cela fait six ans que Jenny, 30 ans, propriétaire d’une boutique d’articles pour animaux de compagnie à Payerne (VD), est harcelée par un sexagénaire schizophrène. Une nuisance impossible à gérer sereinement dans la mesure où cet homme s’est notamment planté un couteau dans le ventre et a tué au moins un de ses chiens avant de le manger. Son ex-épouse, détruite par cet individu toxique, a aussi témoigné de son calvaire.
Constatant que la justice et la psychiatrie ne leur venaient pas en aide, Jenny et Billy, son compagnon, ont décidé de raconter leur calvaire à 20 minutes pour faire bouger les choses, le 2 octobre dernier. Avec un certain succès apparemment (même si le procureur d’Yverdon a fait savoir au couple que ce n’était qu’une coïncidence), puisque le harceleur était interné deux jours plus tard de manière plus strictement fermée que par le passé. Mais ce répit n’est que temporaire vu qu’il est prévu de le relâcher début janvier.
Les angoisses de Jenny, de son compagnon et de ses proches ont commencé peu après l’ouverture du magasin, en été 2011, et sans signe suspect dans un premier temps. Le harceleur et son amie de l’époque entrent un jour dans la boutique avec leur chien. Ils reviendront à plusieurs reprises. Mais, en 2012, l’homme se présente désormais seul, intensifie ses visites, demande à la jeune femme de l’aider à porter ses achats dans sa voiture et adopte un comportement toujours plus oppressant: «Il venait en fait tous les jours, explique Jenny. Il attendait, le nez appuyé contre la porte vitrée, que j’ouvre mon magasin à 9 heures, y restait des heures à m’observer à travers les rayons, approchait parfois son visage tout près du mien en chantonnant de manière angoissante. Et il revenait coller son nez sur la porte à 13 h 30 pour attendre la réouverture de l’après-midi.» Déstabilisée, la commerçante demande à des proches de venir observer ce bal pour qu’ils donnent leur avis. Ceux-ci estiment qu’il faut appeler la police. Ce sera la première de plusieurs dizaines d’interventions policières. Le malade crie aux policiers qu’il est l’ami de la commerçante et qu’elle est enceinte de lui, et qu’il va faire la peau de son autre ami (le vrai), entre autres menaces et inventions délirantes.
Suivront des dizaines d’interventions policières qui conduisent le malade à l’hôpital de Marsens, dont il s’échappe parfois dès le lendemain. Un jour, il entre dans le magasin en lançant une bouteille d’alcool fort qu’il vient d’écluser. Entre certaines de ses «visites», il envoie lettres d’excuses, déclarations d’amour et bouquets de fleurs à sa victime, comme pour mieux varier ses modes de harcèlement. Car Jenny et Billy en sont persuadés: derrière sa folie, l’homme est malin, connaît ses droits, change de look pour rôder près de chez eux incognito et sait déjouer les traques policières.
Le couple a emménagé en avril dernier dans une jolie petite maison qu’il s’est fait construire. Mais leur tourmenteur a très vite localisé le nouveau domicile. Le 17 août dernier, Jenny découvre l’homme appuyé sur la barrière de son jardin, souriant de manière sadique en constatant l’effroi qu’il provoque chez la jeune femme tétanisée, qui ne parvient pas à pousser le moindre cri avant de s’effondrer dans une crise de nerfs. «J’ai vérifié à quel point il prend du plaisir à mesurer l’emprise qu’il a sur moi.» Les gendarmes arrivent sur place et l’homme s’enfuit dans le champ de maïs voisin. Ils ne le retrouveront pas, malgré les patrouilles canines appelées en renfort. «La seule chose que je reproche à la police, qui est par ailleurs d’une grande compréhension, explique Billy, c’est de répéter que cet homme n’est pas dangereux. Mais ce jour-là, un gendarme a refusé de m’accompagner dans le champ de maïs quand je m’y suis engagé. Et ils ont sermonné une collègue de la brigade canine qui voulait y entrer seule avec son berger allemand. Ils avaient peur de ce type.»
«Cette histoire absurde bousille en partie notre vie, se désole Billy. Cela met en péril le joli couple sans histoire et honnête que nous formons depuis plus de dix ans avec Jenny. Cela me renvoie aussi une image négative de moi, dans la mesure où je me sens impuissant à régler le problème.» Certains commentaires des internautes sur l’article de 20 minutes étaient en effet cruels. S’adressant à la jeune femme, certains l’encourageaient à changer de copain, puisque celui-ci ne savait pas la défendre. «Cela fait mal de se faire traiter de mauviette. Ce fou ne me fait pourtant pas peur. Je suis moi-même vigoureux et impulsif. Mais à chacune des interventions auxquelles j’étais présent, les gendarmes m’ont rappelé avec insistance de ne jamais lui toucher le moindre cheveu. Car, sinon, ma vie serait foutue. Je devrais payer jusqu’à ma mort des dommages et intérêts. Mon métier de comptable m’aide à imaginer ces conséquences et donc à me maîtriser. La justice ne me témoignerait pas la même compréhension. C’est révoltant.» Et Jenny d’ajouter qu’elle craint que son propre père, tout aussi furieux que son compagnon vis-à-vis du désaxé, ne craque lui aussi un jour.
La médiatisation de son cauchemar vaut au couple des offres de service particulières: «On m’a proposé d’éliminer ce personnage contre de l’argent. Mais je suis trop bon Suisse pour vivre avec un tel scénario. Cela dit, nous commençons à songer à avoir des enfants. Mais cette affaire nous fait hésiter. Comme ce type s’est un jour planté un couteau dans le ventre près du magasin de Jenny en disant qu’il était «enceinte» d’elle, que fera-t-il le jour où il apprendra qu’elle attend un enfant? Là, je sais que, s’il la touchait, je ne pourrais plus me maîtriser.»
A l’angoisse d’une situation impossible à contrôler s’ajoute un sentiment d’abandon par les institutions. Tandis que le harceleur dispose d’un avocat d’office, le couple devrait débourser des sommes considérables pour se défendre, notamment plus de 1000 francs pour des mesures d’éloignement. Tout dernièrement, Billy a décidé de mettre les différents acteurs institutionnels devant leurs responsabilités: qui assumerait quoi en cas de passage à l’acte du schizophrène? Ceux qui ont répondu se gardent bien d’assumer quoi que ce soit. Quant au procureur d’Yverdon, il a surtout rappelé au couple qu’il risquait des sanctions en parlant aux médias d’une affaire en cours. Il ne fait décidément pas toujours bon être d’honnêtes citoyens.