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SlideWheel, le toboggan qui a propulsé toute une famille romande

Comment la réflexion d’un enfant de 9 ans en regardant l’écran de veille de l’ordinateur de son père a changé le destin des Fischer.

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toboggan Fischer

Il existe aujourd’hui cinq SlideWheel, combinaison entre une grande roue et un toboggan, dans le monde.

Florian Saegesser
Stéphane Benoit-Godet, rédacteur en chef
Stéphane Benoit-Godet

«On dirait un toboggan.» Nous sommes le 24 décembre 2011 et Guillaume, 9 ans, regarde l’écran d’ordinateur de son père, Jean-François Fischer. Ce dernier a créé une image pour son fond d’écran, un tube multicolore avec une dominante jaune qui se referme sur lui-même. «Ah oui, c’est vrai, ça pourrait être un toboggan», se dit-il. Guillaume a alors une jambe dans le plâtre et il a pris l’habitude de descendre l’escalier sur les fesses. Quand on a 9 ans, on voit des espaces de jeu partout. Désormais jeune homme, il se souvient d’ailleurs que, à cette époque, tout ce qui pouvait l’amener à escalader, à grimper et à glisser le passionnait. Comme tous les enfants. Mais son père n’est pas un papa lambda. Surtout, personne dans la famille ne perçoit encore que c’est le début d’un véritable conte de Noël qui emportera la famille dans une incroyable aventure, la faisant voyager sur tous les continents pour promouvoir l’une des attractions les plus appréciées des parcs aquatiques du monde entier.

Mais nous n’en sommes qu’au début de l’histoire. Il était donc une fois cette idée d’un toboggan qui continue de trotter dans la tête de l’ingénieur en microtechnique de l’EPFL. Jean-François a le profil de l’inventeur hyper-doué. Avec son rythme de discussion saccadé, on sent qu’il a mille idées à la seconde. Il s’arrête parfois en plein milieu d’une phrase, perdu dans une digression. Revenons-en à ce fameux Noël. «Je crois beaucoup à la sérendipité, poursuit le père de famille. Tout à coup, ces mots de Guillaume ont résonné en moi et se sont connectés avec des idées et des expériences que j’avais déjà approchées.»

Pendant les vacances de fin d’année, Jean-François commence ses recherches. Il a de l’expérience dans le monde des inventions. Il a notamment conçu, dans le cadre d’une start-up qu’il avait créée, une centrifugeuse pour le sang totalement révolutionnaire, qui sépare les globules rouges du plasma et se révèle très utile dans les blocs opératoires. Cette jeune pousse de cinq personnes sera revendue en 2011 au géant Medtronic. «J’ai beaucoup travaillé dans le médical, mais là, s’embarquer dans le monde du divertissement, c’était une tout autre affaire. Premier problème, je ne savais pas comment marche un toboggan, mis à part que ça glisse.» La conjonction de hasards heureux, définition de la sérendipité, impose tout de suite une idée dans la démarche «tobogganesque» du concepteur. «C’est au centre qu’il faut concevoir l’entrée», comme pour la centrifugeuse…

Jean-François Fischer et ses enfants, Guillaume, Noémie et Louis, dans l’escalier de la villa familiale à Etoy (VD).

Valentin Flauraud

«Les idées, ça n’est pas cher, l’exécution, c’est plus difficile», dit un adage dans la Silicon Valley. Une loi qui vaut aussi à Etoy, où réside la famille Fischer. Jean-François travaille sur divers projets mais garde une place particulière pour celui qui enchante toute la famille. Car chacun s’investit à sa mesure, l’épouse, Jeanne, les deux garçons et la fille, Noémie. Le deuxième fils, Louis, fabriquera un prototype en 2012. Les Fischer se rendent à Versailles, dans un salon pour les professionnels des parcs d’attractions. Le toboggan dans sa version maquette réalisée par un ado – certes doué mais totalement débutant – fait grande impression.

Jean-François part avec tout ce matériel rencontrer un partenaire industriel en Allemagne. «Quand je suis monté dans le train, je me suis dit que ce n’était pas juste moi qui embarquais, c’était une idée qui voyageait.» Pourquoi traverser la frontière? «Je n’ai trouvé personne en Suisse. En surfant sur le web, je suis devenu fan du site de Wiegand Maelzer.» Une entreprise allemande qui fabrique aussi des remontées mécaniques. Un bon signe. «Surtout, ils se sont donné comme mission de créer des émotions avec leurs machines, ça m’a parlé.» La rencontre avec le CEO s’avère décisive: «Rainer Maelzer est un visionnaire, il a senti le potentiel. Lors de notre première rencontre, on s’est retrouvés sur un trottoir à déguster une glace et il m’a fait «tchin» avec son cornet en me disant que c’était un super projet. C’était parti!»

En juillet 2017, l’industriel se lance dans la construction du premier toboggan. L’engin fait 23 mètres de haut et pèse 160 tonnes. «Quand on l’a vu la première fois, il dépassait les arbres. J’en ai eu des frissons.» Un coup de fil arrive de Chine. Jeanne se refuse à y croire trop fort. Jean-François demande qu’on lui envoie le tampon de la société qui veut passer commande. C’est seulement quand le «Stempel» arrive sur le téléphone de son mari que le couple s’autorise à sabrer le champagne. La vidéo de présentation de ce premier prototype grandeur nature, monté en Allemagne, a engrangé à ce jour 18 millions de vues sur une page Facebook spécialisée dans l’ingénierie et les meilleurs produits.

Il existe désormais cinq toboggans installés sur la planète; le plus récent, et le premier aux Etats-Unis, se situe à Wisconsin Dells. «En tant que petit Suisse, quand tu as une idée, que tu la développes et que tout prend une telle ampleur, tu te dis: l’aventure est allée bien au-delà de toute ambition!» Le dispositif a été baptisé, selon les impératifs des exploitants; il se nomme selon les pays Medusa, SlideWheel ou AquaSpinner. Le toboggan a reçu une multitude de prix et il a fait de Guillaume une véritable star en Chine le temps d’un week-end d’inauguration à Guangzhou en présence de Wu Dajing, un patineur de vitesse très connu dans son pays. «Le rêve du petit garçon suisse devenu réalité», ont titré les médias locaux. La SlideWheel (le nom que lui donnent plus volontiers Jean-François et ses partenaires) a même été copiée par des Espagnols. Mais les Suisses ont obtenu gain de cause. L’inventeur a effectivement déposé des brevets dans de nombreux pays pour se protéger. Il connaît bien ce dispositif, lui qui a plusieurs patentes à son actif pour la création de divers dispositifs médicaux, notamment des pacemakers.

Surtout, le toboggan a emporté avec lui des destins. A commencer par celui de Jean-François, qui ne travaille plus qu’à 60% dans un prestigieux bureau d’architectes, et de sa famille. Ce qui n’empêche pas l’inventeur d’être toujours très actif. «On a déposé un brevet avec une associée dans le domaine des appareils médicaux en chirurgie. Mais tout prend beaucoup de temps dans le médical, c’est très réglementé. Par ailleurs, je suis super intéressé par le biomimétisme, tout ce qui a trait aux formes et aux agencements de la nature. Dans chaque chose qu’elle nous donne, il y a une certaine perfection, de l’économie de moyens. Penser que sur une tige, chaque feuille doit être au soleil et ne pas faire de l’ombre aux autres, c’est à la fois mathématique, plein de bon sens et diablement efficace.»

Le destin du CEO allemand a lui aussi connu un tournant. Après le succès du toboggan, il a revendu son entreprise à son partenaire et rejoint le canadien WhiteWater, numéro un du secteur. «C’est incroyable ce qu’une réflexion anodine prononcée à Noël par un gamin de 9 ans a enclenché.» Mais l’une des histoires qui émeuvent le plus Jean-François, c’est celle de son remplacement, par son fils Louis, à son intervention annuelle dans son alma mater. «Je ne pouvais faire la présentation que je donne aux élèves de microtechnique au sujet des brevets. L’école a accepté que mon fils, qui avait participé à toutes les étapes, donne le cours. Lui qui termine biologie et chimie en Valais s’est retrouvé à exposer son savoir à des étudiants plus calés et âgés que lui. Une sacrée expérience. Surtout quand il a dû demander une dispense de cours à sa HES pour aller… donner un cours à l’EPFL!» 

Par Stéphane Benoit-Godet publié le 13 octobre 2022 - 07:39