En 2009, pour la première fois, des médias suisses dénoncent les abus de la société Echovox SA, spécialiste de la monétisation des contenus pour téléphone mobile. Dans la foulée, des blogs déversent de longues listes de messages émanant de personnes outrées de se voir grugées par cette entreprise basée à Carouge (GE). Les textos se suivent et se ressemblent. En substance: «Mon opérateur m’a facturé des SMS premium surtaxés alors que je n’ai jamais souscrit ce service ni même reçu les SMS en question.» Les montants varient entre quelques francs et quelques centaines de francs.
Certains, une minorité, les plus tenaces, récupèrent tout ou partie de leur argent indûment réclamé. Il faut dire que, à 5 francs le SMS, la douloureuse prend vite l’ascenseur! D’autant que le plus souvent, les victimes ne se rendent compte de la fraude qu’après plusieurs mois de facturation. Un vrai scandale. Lequel, figurez-vous, est toujours d’actualité dix ans plus tard. Un peu moins certes, comme le souligne le dernier rapport de l’Ombudscom, l’organe de conciliation des télécommunications (698 plaintes en 2018 contre 1335 en 2017 et 2183 en 2016). Mais combien d’abonnés paient sans le savoir ou en silence? Mystère. Ce qui est sûr, c’est que le «truc» marche toujours. Diable, pourquoi changer une arnaque qui gagne?
A l’insu de son plein gré
Nic Maeder, le charismatique chanteur du groupe Gotthard, en sait quelque chose. «Dans le courant du printemps, j’ai eu l’impression que mes factures de téléphone, sensiblement identiques d’un mois à l’autre, grimpaient bizarrement. J’ai donc contrôlé plus attentivement mes relevés et j’ai constaté qu’on me facturait depuis quatre mois des SMS surtaxés envoyés depuis le numéro 667, géré par Echovox SA. Des messages en allemand dont je ne comprends pas le sens et auxquels je n’ai pas trop pris garde sur le moment. Au total, j’ai payé 225 francs, alors que je n’ai de loin pas reçu tous les messages facturés», confie l’Yverdonnois, qui a aussitôt alerté son opérateur, Salt. Lequel lui a répondu qu’il ne pouvait malheureusement pas faire grand-chose pour lui dès lors qu’il avait sans doute donné son accord, même involontairement, pour ce service. Ce que le chanteur réfute, à l’instar, d’ailleurs, de toutes les personnes piégées.
«Couper la ligne? Impossible»
Du coup, nous nous sommes adressés aux trois opérateurs nationaux concernés, pour tenter de démêler l’écheveau. Tous se défendent d’être les complices d’Echovox et invoquent la responsabilité des abonnés. «Tout SMS premium facturé requiert initialement une action manuelle de la part du client», assure-t-on chez Salt et chez Swisscom. Une double manipulation même, indique Sunrise. «Une fois cocher pour accepter les termes et conditions et une fois cliquer sur le bouton «acheter». Pourtant, dans son rapport rendu en mai dernier, l’Ombudscom confirme qu’«une majorité des plaintes porte sur des services d’abonnements payants non désirés et facturés par les opérateurs».
De leur côté, ceux-ci jurent que si Echovox ou un fournisseur du même genre n’a pas respecté les dispositions légales, le client est – en général – remboursé. «Il suffirait que l’opérateur coupe la ligne de cette société et l’affaire serait réglée», estime Nic Maeder. «Impossible, rétorquent en chœur les trois opérateurs. Nous pénaliserions les clients qui souhaitent bénéficier de ces services.» Même avec une plainte en cours de traitement, c’est au contraire l’abonné qui s’expose à une coupure de ligne s’il ne s’acquitte pas de sa facture dans les délais impartis.
Impuissance générale
Histoire d’en apprendre un peu plus, on toque alors à la porte du président de la Commission fédérale de la consommation (CFC), le Fribourgeois Pascal Pichonnaz. Un brin confus, celui-ci nous répond que sa commission ne possède malheureusement aucun pouvoir de sanction, que son rôle se limite à faire des recommandations au Conseil fédéral et aux divers départements.
«Notre rayon d’action est très restreint. La CFC ne compte que quatre équivalents plein-temps contre une septantaine à la Commission de la concurrence (la Comco), par exemple, se désole le professeur de droit à l’Université de Fribourg. En fait, c’est l’Ofcom (l’Office fédéral de la communication) et le Seco (le Secrétariat d’Etat à l’économie) qui sont chargés de faire respecter la loi et, cas échéant, d’introduire des procédures administratives ou même pénales contre ceux qui la violent.»
La faute à personne
En route pour l’Ofcom, donc. Qui nous renvoie aux dispositions légales via un copié-collé des liens en question. Et d’emblée, notre attention est attirée par un chapitre intitulé: «L’Ofcom ne peut pas». 1. Intervenir en cas de désaccord sur le montant d’une facture. 2. Soutenir activement les citoyens dans leurs démarches pour contester une facture. 3. Révoquer directement des numéros courts. 4. Intervenir lorsque les dispositions concernées ne relèvent pas de sa compétence. 5. Evaluer le contenu des services fournis par les titulaires de numéros courts, la conformité juridique, la qualité ou le rapport qualité-prix. Et 6. Se prononcer sur les cas relevant de la compétence des autorités civiles ou pénales.
En clair, mais vous l’aurez compris, l’Ofcom, comme les opérateurs, s’en lave les mains, comme on dit. Et pourtant, la loi sur la concurrence déloyale est claire: «Celui qui envoie des factures pour une inscription dans des répertoires de toute nature ou la publication d’annonces sans en avoir reçu le mandat agit de façon déloyale et illicite» (art. 3, lettre q. 8).
100 francs le message!
Dernier recours possible: le Seco. Le seul apparemment compétent pour mettre hors d’état de nuire une société comme Echovox. Ce que le Secrétariat à l’économie a tenté de faire, affirme-t-il. Enfin… on cite: «La société Echovox nous est connue et a déjà fait l’objet de réclamations auprès du Seco. Nous lui avons envoyé un courrier d’avertissement fin 2017, auquel la société a répondu directement et par l’intermédiaire de son avocat. Les explications et engagements donnés nous ont paru suffisants, raison pour laquelle nous n’avons pas considéré opportun d’entreprendre des démarches supplémentaires à l’encontre de cette société.»
En résumé, le Seco a fait les gros yeux et Echovox, tétanisée, a promis de rester sage. Au vu des tarifs surréalistes que la loi l’autoriserait à facturer, on peut dire qu’elle a presque respecté cet engagement. Accrochez-vous, voilà ce que dit l’article 39 de l’ordonnance sur les services de télécommunication. Les prix plafond suivants s’appliquent: 100 francs par message (service pull), 5 francs la minute (service push), 400 francs, comme montant total des prix et taxes par inscription. Un gag? Pas du tout. «L’Ofcom étant responsable de cette législation, nous vous invitons à vous adresser à cet office à ce sujet», nous a répondu le Seco. Quant à la société Echovox, elle n’a pas donné suite à nos demandes.
Personne n’est à l’abri
La Fédération romande des consommateurs (FRC) s’est emparée depuis plusieurs années de ce problème. Sur son site, la FRC explique:
«Le consommateur suisse n’est ni protégé ni défendu»
Pour Sébastien Fanti, le préposé à la protection des données du canton du Valais, l’arnaque perdurera aussi longtemps que nos autorités se montreront laxistes.
- Des plaintes du type Echovox arrivent-elles souvent sur votre bureau?
- Sébastien Fanti: Très régulièrement. Ma propre épouse a été victime de cette imposture. On lui a ponctionné 58 francs par mois pendant plusieurs mois avant qu’elle ne s’en rende compte. Sous la menace d’une procédure, la société a remboursé l’argent indûment prélevé.
- Il est plus facile de se défendre quand on est avocat et spécialisé dans le domaine que citoyen lambda…
- C’est vrai. D’autant plus que ces sociétés misent sur le fait que les gens ne vont pas engager une procédure juridique coûteuse pour récupérer 50, 100 ou même 200 francs. Il faudrait qu’une personne fortunée se fasse piéger et aille jusqu’à la condamnation en se fichant de ce que cela lui coûte. Cela ferait jurisprudence.
- Ne peut-on pas mettre un terme à ces abus par des moyens légaux?
- Bien sûr. Mais pour cela, il faudrait que le parlement empoigne sérieusement le problème et impose des règles strictes. En exigeant par exemple des opérateurs, Swisscom, Sunrise, Salt, etc. qu’ils coupent la ligne à la société auteur d’un comportement abusif. Malheureusement, nous vivons dans un pays où le consommateur n’est ni protégé ni défendu. Dans n’importe quel autre pays industrialisé, ce problème a ou aurait été résolu depuis longtemps.