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Rencontre

Les soeurs Berthollet au firmament

Aussi ravissantes que précoces, violoniste et violoncelliste, les duettistes d’origine jurassienne sont double disque d’or et numéro un des ventes depuis plusieurs mois. Rencontre chez elles, avec Monique, une maman très énergique.

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Samedi 25 mars à Genève, au Victoria Hall, Julie et Camille ont brillé dans le triple concerto de Beethoven avec Mélodie Zhao au piano et Antoine Marguier à la direction de l’Orchestre des Nations unies.  Nicolas Righetti/Lundi 13

Elles se sont imposées au public avec la même évidence que la musique s’est imposée à elles. Hautes comme trois pommes, Julie et Camille Berthollet maniaient déjà l’archet – violon et violoncelle – dans un environnement plus littéraire que mélomane. De passage chez elles, du côté d’Annecy (F), entre deux avions, deux galas, l’obtention d’un bachelor, Bruxelles pour l’une et Genève pour l’autre, les jeunes concertistes se sont retrouvées autour de la table de la cuisine à l’heure du goûter. Monique Berthollet-Montavon, la maman, pure Jurassienne, se souvient: «A 2 ans, Julie écoutait attentivement lorsque nous allumions la radio. Je l’ai mise à l’initiation musicale l’année suivante. Chaque semaine, elle rentrait en disant: «Tu n’as rien compris, je ne veux pas ça, je veux jouer du violon!» Très en avance sur son âge, habitée par la musique et l’envie de l’exprimer, elle a ouvert le bal musical familial. Camille, sa cadette – 1 an et demi les sépare – a suivi, non sans avoir à surmonter l’incrédulité. «Tu es bien sûre que tu ne veux pas te mettre au violon pour faire comme ta sœur?» Maman en aurait mis sa main à couper: la deuxième arrêterait au bout de cinq jours. Mais la réponse de l’enfant dissipa ses doutes: «Je veux jouer du violon et après du violoncelle», lança-t-elle du haut de ses 3 ans.

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Dans la cuisine familiale, Monique, la maman, partage avec ses filles un copieux goûter. «On se retrouve toutes les trois, tous les quinze jours. Ici, à Paris ou ailleurs.»  Nicolas Righetti/Lundi 13

Volontaires

Camille et Julie, concertistes demandées, sont double disque d’or et numéro un des ventes depuis quinze mois. Ces deux sœurs phénomènes pleines de joie de vivre sont en train de balayer tous les clichés du classique.

Aujourd’hui, elles ont 18 et 20 ans, sont complices et complémentaires. Julie, cheveu court et blond, plus réfléchie, soupèse chaque décision. Camille, rousse incendiaire, impulsive, laisse s’exprimer un tempérament où domine l’optimisme. Elles sont fraîches comme un printemps, fusionnelles, fonctionnent comme des jumelles et abordent la musique avec maturité mais sans le moindre ennui.

«Julie et Camille n’ont jamais joué faux. Je n’ai pas eu à subir leur apprentissage», confie Monique, mère pragmatique, intuitive et énergique. Ses filles ont fait leur éducation musicale dans la région où fut muté Henri, père et professeur au lycée technique. Pour elles, il a fallu trouver la perle rare capable de prendre en main ces petites élèves douées et volontaires. Maman, ancienne prof de sport, responsable de la destinée du club d’athlétisme de Delémont (JU), s’est heurtée à un cadre administratif rigide. A l’époque, le conservatoire l’invite à revenir lorsque sa fille aînée aura atteint 7 ans. «Julie me serinait depuis deux ans. Il fallait faire vite.» L’aînée renchérit: «J’étais tombée amoureuse du son et de l’objet.» On finit par dénicher la prof idéale. Après une demi-journée à peine d’un stage exploratoire de 48 heures, elle s’enthousiasma: «Je la garde!»

Camille et Julie sont-elles des prodiges? «Ce sont des enfants à haut potentiel», tempère leur mère. Dans la famille, l’expression «fastoche» est devenue un leitmotiv, tant les deux fillettes sautaient les étapes, demandant à exécuter des exercices toujours plus difficiles.

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Julie et Camille sont tout aussi à l’aise avec Schubert, Paganini, Bach ou Dvorak qu’avec Michael Jackson, la musique tzigane ou l’air de «La liste de Schindler» du compositeur John Williams. Nicolas Righetti/Lundi 13

Médiatisées en un temps record, Julie et Camille n’ont donc rien de ces chérubins martyrs animés par l’ambition parentale. En marge de leur carrière, elles s’intéressent à la littérature, aiment autant reprendre des grands airs écrits pour le cinéma – elles voient un film par semaine – que les pièces musicales du grand répertoire. «Je dessine, j’écris, je vais au musée. Je souhaite goûter à la comédie. Faire autre chose, c’est aussi une façon de trouver l’inspiration musicale, des idées et de se connecter à des émotions que l’on souhaite transmettre en jouant», confie la plus grande. Des sentiments qu’elles font si bien passer qu’à Genève, samedi dernier, le régisseur du Victoria Hall était en larmes après la répétition générale alors qu’elles signaient des autographes aux membres de l’Orchestre des Nations unies.

Du classique à Jackson

Le premier grand coup de projecteur sur les Berthollet remonte à 2014 avec Camille. A 15 ans, elle remporte Prodiges sur France 2, un concours pour les 7 à 16 ans. Princesse à la chevelure flamboyante, habillée de rouge, elle a subjugué le jury, envoûté 4,5 millions de téléspectateurs avant de sortir un album très éclectique chez Warner Music, sans succomber au vertige. Elle joue du violon et du violoncelle, sa sœur du violon, de l’alto et du piano. A elles deux, elles ouvrent grandes les portes du classique aux non-initiés et s’adonnent volontiers au mélange des genres.

A la mi-octobre, l’an dernier, Julie et Camille ont offert au public un album en duo. «Un rêve à deux», disent-elles. Il s’est écoulé à 100 000 exemplaires en quelques semaines dans une industrie en crise.

Leur évolution progressive passe par une remise en question permanente, l’ouverture de la palette des possibles. «Nous devons prendre des risques, sortir des sentiers battus. Comme aborder le registre tzigane ou reprendre des airs de la chanson française.» Sur le piano du salon familial trône une partition de Michael Jackson. Camille: «Nous avons déjà interprété Thriller sur scène.» Aux Coups de cœur d’Alain Morisod, elles croisent le fils Dutronc, improvisent avec lui après l’émission. Et c’est ainsi que Thomas a accepté de jouer sur leur album.

Julie va plus loin. «J’ai commencé les cours de composition à 9 ans, puis l’harmonie et l’improvisation au piano. J’ai participé aux arrangements sur les deux disques: Summertime de Gershwin, Czardas de Vittorio Monti ou La vie en rose», des pièces qui ne sont pas écrites pour leurs instruments.

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Si elles excellent en musique, Julie, 20 ans, et Camille, 18 ans, ont également pratiqué la danse classique pour la cadette et les échecs pour l’aînée. Cette dernière s’est hissée jusqu’aux Championnats de France. Nicolas Righetti/Lundi 13

Filles au firmament, les deux sœurs n’ont jamais perdu le nord. Lors de la signature de contrats, la commande de billets d’avion, la réservation de chambres d’hôtel spécifiées sans moquette à cause des allergies, maman veille au grain. «L’administratif, c’est pour moi.» Il y a parfois des hauts et des bas. Camille et Julie vivent loin du cocon familial. «On se parle quotidiennement. Je relativise avec elles. On se retrouve les trois tous les dix à quinze jours, à la maison, à Paris ou ailleurs.»Rien n’est jamais imposé. «A la fin de chaque année scolaire, je leur demandais ce qu’elles souhaitaient la suivante. Musique, danse classique ou moderne, judo ou jeu d’échecs, elles s’engageaient une année puis on remettait tout à plat.» Sa devise: «Vous êtes les moteurs de votre vie. Vous pouvez changer à tout moment.» Leur mère est aussi sophrologue et elle les aide à bien se nourrir, à se recentrer, à se détendre après des heures de travail souvent jusqu’à 1 heure du matin. Elles donnent 50 concerts par an.

Camille et Julie vivent avec leur temps. Elles aiment la mode – bottines colorées, jupes courtes et blousons –, le shopping, dépensent volontiers leurs cachets dans les boutiques. Elles bénéficient désormais du prêt de tenues griffées Sandro lors des galas. La ligne? Elles s’en fichent un peu, la nature est de leur côté. La première dévore des chouquettes tandis que sa sœur remonte de la cave un vacherin Mont-d’Or qu’elle attaque à la cuillère en gloussant.

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Julie (à g.) a 7 ans et Camille 5 ans et demi. «C’était l’été. Elles donnaient un spectacle de théâtre en anglais et jouaient aussi de leur instrument», se souvient leur mère. DR

Mais à ce stade, malgré la médiatisation, une invitation du prince Albert de Monaco et de Caroline de Hanovre, une séquence dans l’émission Quotidien de Yann Barthès, un tournage pour M6, une chaîne japonaise ou hollandaise, un rendez-vous au micro d’Europe 1 ou à Paris Match, la musique ne les nourrit pas encore. Elles souhaitent bénéficier, grâce à un sponsor, une fondation ou un mécène, d’une somme leur permettant de jouer sur un instrument de prix, plus personnel, plus puissant. Les Stradivarius et Guarneri valent des millions.

Fou rire

Si Camille et Julie n’avouent aucun vice, elles ont tout de même un petit point faible. Les sœurs sont capables d’accès de fou rire en jouant. On rigole peu sur la scène classique. Mais, avec elles, on rit comme on vit, aux éclats.

Discographie: Camille a fait un premier CD en 2015. Les deux sœurs ont sorti un album de duos, fin 2016 (Warner).

Par Dana Didier publié le 28 mars 2017 - 00:00, modifié 15 mai 2018 - 17:14