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Politique 

«Nous sommes entrés dans l’ère du populisme»

Alexandre Adler, politologue et auteur à succès, vient de publier un gros livre de près de 700 pages, «Le temps des apocalypses», dans lequel il analyse les rapports de force, les déséquilibres et les tensions qui déchirent aujourd’hui la planète. Interview à Paris.

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Donald Trump rabroue vertement un journaliste de CNN, Jim Acosta, qui refuse de rendre le micro après un échange acrimonieux avec le président, le 27 novembre dernier, après les élections de «midterm». Reuters
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Alexandre Adler. Journaliste et écrivain aux origines juives mélangées (allemandes, russes et hongroises), il est, à 69 ans, l’un des grands experts français des relations internationales. SIPA

Alexandre Adler. Journaliste et écrivain aux origines juives mélangées (allemandes, russes et hongroises), il est, à 69 ans, l’un des grands experts français des relations internationales.

Est-on entré en 2018 dans une nouvelle époque, avec l’arrivée au pouvoir des populistes en Italie et au Brésil?
Oui, c’est une nouvelle ère. On traverse en fait un moment de transition d’une violence considérable à l’échelle mondiale, qui est dû à une crise de toutes les formes d’organisations, politiques, économiques, sociales. Mais il ne faut pas caractériser cette période comme celle de la victoire des populistes. En réalité, les populistes ne sont pas au pouvoir, même s’ils occupent des postes de pouvoir. On vit plutôt une époque d’absence et de paralysie de tous les pouvoirs. L’exemple le plus symbolique, c’est bien sûr les Etats-Unis. Il n’y a plus de pouvoir aux Etats-Unis. On ne peut pas dire que Trump est au pouvoir.

Il n’impose pas au contraire un pouvoir fort?
Non, absolument pas. J’ai une aversion très forte pour Trump. C’est un homme qui n’a aucune conviction véritable, c’est un acteur, un histrion qui a simplement eu, comme ces entrepreneurs qui comprennent bien leurs ouvriers, une intuition très grande de ce que pensent les Américains moyens. Il a réussi à s’appuyer sur leur mécontentement pour, comme dans une prise de judo, utiliser une énergie qui au départ était plutôt de gauche, afin de conquérir le pouvoir. Je reconnais son intelligence, mais c’est une intelligence perverse. Il utilise les ressentiments d’une population vulnérable, ces ouvriers qui sont jetés par les bobos dans la précarité et la difficulté, pour subvertir tout le système américain.

Il n’essaie pas de remettre l’Amérique au premier plan?
Je pense que, dans la liste des priorités, il fallait d’abord empêcher Hillary Clinton d’être présidente des Etats-Unis, parce qu’elle était médiocre. Beaucoup de gens ont fait le même calcul que moi et notamment tous ces responsables de l’appareil politico-stratégique américain qui sont aujourd’hui engagés dans la lutte pour faire tomber Trump. Au fond, ils ont cru qu’ils avaient affaire à une répétition du phénomène Reagan. C’était un homme courtois, respectueux des institutions, un peu complexé par son niveau intellectuel un peu insuffisant, mais capable d’écouter les bons conseils et de laisser ses proches diriger l’exécutif. L’establishment américain, notamment militaire et stratégique, a pensé que Trump allait faire comme Reagan.

Les Etats-Unis vont bien, l’économie tourne à plein régime...
Non, la croissance est entièrement financée par la planche à billets. Il y a juste un effet euphorique qui ne va pas durer bien longtemps. Pour le reste, il n’a aucun projet politique et il ne fait rien.

Trump, c’est le précurseur des populistes?
Ils sont tous arrivés en même temps, mais tout n’est pas dans tout. Pour commencer par le Brésil, le président Bolsonaro n’est pas nécessairement l’homme que j’aurais choisi, mais on n’a rien à lui reprocher de sérieux. Il a été victime d’un attentat juste avant l’élection et il a failli mourir. Il a fait un peu de démagogie mais, comme je le fais remarquer à mes amis brésiliens, si nous avions cru à tout ce qu’a dit Lula pour arriver au pouvoir… Bolsonaro a déjà oublié la moitié de ses promesses, comme Lula avant lui.


En Italie, l’alliance entre Salvini et Di Maio, c’est le populisme parfait?
Je dis que c’est un gouvernement de camaïeu, c’est-à-dire ton sur ton: il y a un premier parti qui est de couleur merde et un deuxième parti qui est également de couleur merde. Ce sont des gens atroces, mais ça devait arriver. Parce que le système italien, qui était essentiellement démocrate-chrétien et de centre gauche, a fait faillite et que cette faillite retentissante a laissé la place à une espèce de mussolinisme balbutiant. Matteo Salvini est devenu ministre de l’Intérieur, il s’est imposé comme l’homme fort du gouvernement, exactement comme Mussolini s’était imposé à des gens plus brillants. Mais je ne suis pas inquiet, ça ne durera pas longtemps, pour des raisons économiques.

Vous parlez de Mussolini: y a-t-il un retour aux années 1930?
Mussolini, c’était fondamentalement, comme Hitler, un sous-officier. Après la guerre de 14-18, la crise politique a été profonde en Angleterre et en France, mais les institutions ont tenu. Mais en Italie et en Allemagne, les gens avaient le sentiment d’avoir été floués, entraînés dans des efforts immenses et absurdes, et il y a eu une réaction du corps des sous-officiers. Ils disaient que les officiers avaient été nuls et que c’était eux, sergents, adjudants, bref, toute la piétaille, qui avaient tenu le front. Les sous-officiers voyaient leur pays aller à vau-l’eau et ils ont voulu refaire l’union nationale, comme sur le front. Cela a donné le fascisme. Bien entendu, les uns étaient plutôt de droite et les autres plutôt de gauche, mais l’expérience du front transcendait tout et les unissait.

Comment voyez-vous la colère des «gilets jaunes» en France?
La révolte est populiste, bien sûr, mais je vous mets au défi de montrer une vraie majorité populiste. Certains «gilets jaunes» sont brutaux et mal élevés, d’autres sont des braves gens, mais ils ont un point commun: ils n’ont pas d’idées politiques. Quand on leur demande ce qu’ils veulent, ils n’ont rien à dire. Le mouvement des «gilets jaunes» est incapable de produire un débouché politique.

Ils ont été poussés à bout par Macron?
Lors de l’élection présidentielle, l’année dernière, on avait tellement envie d’éviter Marine Le Pen et Mélenchon, bref, l’anarchie, la chienlit, que l’on a été formidablement reconnaissant à Macron. Moi le premier! Mais je l’ai trouvé tout de suite très antipathique, très arrogant et, surtout, c’est un homme formé par le métier d’acteur. Il joue des rôles. L’affaire a duré un an et demi et on s’est rendu compte qu’il n’était pas compétent. Il se mettait en avant et derrière cela il n’y avait rien, sinon une politique économique absurde déguisée en moralisme écologique.

L’Europe se sent aussi menacée par les immigrés musulmans qui refusent l’intégration.
Ce problème existe, il ne faut pas le nier. Toute une partie du Moyen-Orient s’est effondrée et ses habitants veulent venir chez nous. La plupart des musulmans établis en Europe sont totalement contre l’islamisme, mais ils sont tout de même suspects et rejetés. Ils ont le même problème qu’avaient les juifs dans l’Allemagne de Weimar, c’est-à-dire qu’on veut qu’ils soient invisibles. Et puis il y a des gens qui détestent l’islam depuis toujours et qui sont perversement contents de voir une petite partie de la communauté musulmane se rouler dans la boue en approuvant le djihadisme et ils espèrent utiliser cela. C’est un peu le cas de Marine Le Pen.

Oui, mais on la voit venir de loin.
Je ne sais pas si tout le monde la voit venir. Les antisémites, par exemple, étaient dans un état comparable quand ils sont tombés sur Weinstein. Ils avaient enfin un juif adipeux, harceleur, violeur. Moi, je n’étais pas fier de Weinstein, mais je me suis dit: bon, voilà, c’est de nouveau pour nous! Et puis, parce que Dieu est grand, derrière Weinstein, qui était caché? Tariq Ramadan! Lui, il pissait sur ses victimes… Cela dit, il serait tout aussi injuste de traiter les musulmans d’émules de Tariq Ramadan que de penser que je suis un partisan de Weinstein. Mais c’est pourtant ce qui se passe ici et là. Il est évident, par exemple, qu’il y a de cela dans l’émotion qui a saisi l’Allemagne avec l’arrivée des migrants, dont certains étaient évidemment des frustrés qui ont mis la main aux fesses à quelques jeunes femmes.

Il y a eu une vague d’agressions sexuelles.
Pour moi, une agression sexuelle, c’est un viol; or il n’y en a pas eu. Mais ce qui s’est passé était évidemment très déplaisant et ça a redimensionné tout l’angélisme envers les immigrés. Nous sommes ici devant des phénomènes très déplaisants auxquels il faut faire face, y compris par la répression. Mais nous sommes aussi devant le comble de la détresse humaine.

En ouvrant les frontières à un million de migrants en 2015, Angela Merkel a provoqué l’émergence de l’Alternative für Deutschland.
Oui, bien sûr. Elle a fait l’erreur d’accueillir ces migrants drapeau déployé, sans comprendre que le fait d’accepter tous ces gens allait être une gêne pour les Allemands. Elle s’est comportée comme la fille de son père, qui était pasteur. Angela Merkel avait lu, enfant, dans l’Ancien Testament cette phrase impérative: «Tu recueilleras l’étranger parce que tu as été esclave en Egypte, ainsi est ma volonté.» C’est resté dans sa tête. Elle a donc dit aux Allemands: «Nous avons péché, maintenant nous allons réparer nos péchés en accueillant l’étranger, ça ne se discute pas.» Elle a dit au fond aux Allemands qu’ils devaient expier les péchés nazis de leurs pères. C’était un discours absolument insensé. Le tenir, c’était rendre les gens fous.

Elle n’est pas suivie par les Allemands.
En effet. Mais qu’est-ce que j’aurais fait, moi, à sa place? Je suis quand même un peu Allemand, puisque mes parents étaient Allemands… Eh bien, j’aurais fait cela à la française! J’aurais menti, bien sûr, j’aurais arrangé le coup, j’aurais dit: «Tous les gens qui ne répondent pas aux critères seront expulsés, je vous le garantis.» Et puis on oublie, on perd des dossiers, on fait aussi beaucoup de reportages sur les immigrés chrétiens, avec des grosses croix… Petit à petit, on aurait calmé les choses. Ce que je vois aussi, c’est qu’à part quelques connards qui ont provoqué des attentats ou des incidents tragiques, la plupart des immigrés sont des gens pacifiques et qui veulent travailler, c’est même leur désir le plus grand et certains réussissent. Après trois ou quatre ans, on dit: «Ils ont travaillé, leurs enfants parlent l’allemand…»

Et Matteo Salvini, il sent les attentes des Italiens et fait tout juste?
Salvini ne fait rien de juste sur le fond, parce que c’est un salaud, mais je ne veux pas lui reprocher d’avoir en face de lui une bande de faux-culs absolument monstrueux qui, après la chute de Kadhafi, ont laissé inonder les côtes italiennes par des centaines de milliers de migrants. Mais quand ces migrants veulent passer en France, la France ferme sa frontière. Par contre, elle est toujours prête à faire la leçon aux Italiens. La vérité, c’est que même avec Salvini, les Italiens continuent à en accueillir quelques milliers, exactement comme sous Mussolini ils accueillaient encore des juifs.

Y a-t-il un parfum d’antisémitisme chez certains populistes, comme le premier ministre hongrois, Viktor Orban?
Bien sûr, mais pas tant que cela. La Hongrie a toujours été dirigée par sa minorité juive. Cela ne date pas du communisme mais de l’empereur François-Joseph. A un moment donné, les autonomistes hongrois étaient tellement puissants que la cour, à Vienne, a mobilisé la communauté juive pour les vaincre. Ils ont gagné et ont continué à diriger le pays. Il y a de l’amertume, mais ce n’est pas très sérieux. Viktor Orban est d’ailleurs marié avec une juive.

Le populisme va-t-il s’étendre en 2019?
Tout dépend de ce qui va se passer aux Etats-Unis. Trump est un goret, on sait que, quand on saigne un goret, il fait beaucoup de bruit. Il pourrait mourir avec décence comme un gentleman, comme Nixon, mais lui, ce n’est pas Nixon, il va pousser des hurlements dans tous les sens. Il s’est déjà complètement vendu à la Corée du Nord alors qu’il sait que Kim Jong-un est un fou dangereux. Quand on verra qu’il a multiplié les promesses creuses, la rencontre avec Kim Jong-un, les accords avec Poutine, tout cela pour faire de la cavalerie et endetter le pays, j’espère que ce sera le début de son impeachment. Normalement, dans un pays qui fonctionne, il aurait déjà été viré.

Vous ne pensez pas plutôt qu’il va être réélu dans deux ans?
Peut-être. Mais ce seront des années perdues qui vont créer encore plus d’amertume et de destruction. 


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«Le temps des apocalypses»
Dans son nouveau livre, paru chez Grasset, Alexandre Adler passe en revue les tendances lourdes qui bouleversent le monde; au cœur de tout, la rivalité Etats-Unis-Chine.



Par Habel Robert publié le 19 décembre 2018 - 08:52, modifié 18 janvier 2021 - 21:02