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La sortie ratée de la juge américaine Ruth Bader Ginsburg

La chronique «Donald ou Joe» d'Alain Campiotti, journaliste, correspondant aux Etats-Unis de 2000 à 2006, est consacrée cette semaine au décès de la juge à la Cour suprême Ruth Bader Ginsburg. Et les enjeux que cela comprend à quelques semaines de la présidentielle.

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La juge Ruth Bader Ginsburg avec l'ancien président démocrate des Etats-Unis Barack Obama au Congrès en 2012. imago images / UPI Photo

On ne devrait pas dire cela d’une morte. Mais la juge Ruth Bader Ginsburg n’a pas réussi sa sortie. Le cancer a finalement eu raison de la «gauchiste» de la Cour suprême des Etats-Unis qui, à 87 ans, s’accrochait à son siège. Deux heures ne s’étaient pas écoulées depuis l’annonce de son décès que les Républicains, et leur président menacé, se ruaient dans cette brèche morbide avec le plus rugueux cynisme: ils tenaient la possibilité, dans l’urgence, de rendre l’instance ultime de la justice américaine encore plus conservatrice. Les juges de droite y sont déjà majoritaires.

La bataille pour la Maison-Blanche en est transformée: elle va être sanglante. Car les neuf juges de la plus haute cour, aux Etats-Unis, ont un pouvoir énorme. Leurs arrêts, parfois, transforment la société américaine plus profondément que les lois votées par le Congrès. Ils ont ainsi aboli la ségrégation raciale, suspendu un temps la peine de mort et limité son application, autorisé l’avortement; d’un autre côté, ils ont libéré le financement politique qui pourrit par l’argent le processus électoral.

Les juges sont choisis par le président et confirmés par le Sénat. A vie. Choix strictement politiques, mais ce ne fut pas toujours le cas: en 1956, Dwight Eisenhower, républicain, avait désigné un démocrate qui convenait à tout le monde.

La carrière des juges prend fin avec leur mort, sauf bien sûr s’ils démissionnent, sentant que les forces, ou leur cerveau, les lâchent. Quand Ruth Ginsburg a eu 80 ans, des amis lui ont conseillé de partir: Barack Obama saurait la remplacer par un ou une jeune juge de son bord. Elle n’a pas voulu. Fière de son combat pour les femmes, pour les minorités, elle était convaincue d’avoir encore une grande tâche devant elle. Puis le cancer s’en est mêlé, de plus en plus gravement. Ces derniers temps, les démocrates allumaient des cierges pour que Ruth vive jusqu’à l’élection d’un nouveau président, Joe Biden, espéraient-ils. Mais elle n’a pas tenu le coup.

Il y a quatre ans, la même situation s’était présentée: décès d’un juge, conservateur, neuf mois avant l’élection de novembre 2016. Obama avait désigné pour lui succéder un modéré. Le Sénat, contrôlé comme maintenant par les républicains, avait refusé même de le recevoir: il fallait attendre que le nouveau président fût élu. Aujourd’hui, avec un bel aplomb, ils disent exactement le contraire: il faut dans l’urgence confirmer un juge choisi par Donald Trump.

Le président a déjà sélectionné deux femmes, l’une hostile à l’avortement, l’autre Latino de Floride, ce qui pourrait arranger ses affaires dans un Etat qu’il risque de perdre. Le parti du président, malgré l’opposition des démocrates, va tout mettre en œuvre pour obtenir une confirmation au Sénat avant la présidentielle. S’il n’y parvient pas, il pourra encore le tenter après le 3 novembre, date de l’élection. Même si Trump est battu, même si les républicains perdent le contrôle du Sénat, car le nouveau Congrès ne commencera à siéger qu’en janvier 2021.

Cela équivaudrait à un coup de force. L’automne et l’hiver seront chauds.


«Breaking news»: L’espion a peur

Un coup de force en novembre? Un homme en a peur, et pas n’importe qui: Dan Coats, jusqu’à l’an passé directeur du renseignement national, et donc coordinateur des 17 agences d’espionnage américain. Il vient de publier dans le New York Times une tribune retentissante. A ses yeux, la survie du modèle démocratique («une des plus profondes innovations politiques de l’histoire humaine», avance-t-il) sera en jeu dans la prochaine élection. Pourquoi? Parce que des forces veulent la dénaturer et faire douter de sa légitimité.

Le maître espion dénonce bien sûr les possibles interférences extérieures, russes ou autres. Mais intérieures aussi: Coats s’en prend à tous ceux qui peignent un système électoral biaisé et frauduleux; qui voient des conspirations partout, dénoncent la presse comme pervertie et mensongère.

Mais qui dit ça, à la Maison-Blanche? Qui affirme que s’il est battu le vote aura été truqué? On dirait que l’ancien directeur n’a plus confiance dans son ancien maître… Il demande la constitution d’une commission indépendante pour attester de la régularité du vote.


Par Par Alain Campiotti Journaliste, correspondant aux Etats-Unis de 2000 à 2006 publié le 23 septembre 2020 - 08:52, modifié 18 janvier 2021 - 21:14