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Amours toxiques

Stars sous emprise dans leur propre couple

La chanteuse FKA Twigs qui porte plainte contre l’acteur Shia LaBeouf, l’actrice Evan Rachel Wood qui nomme Marilyn Manson: la parole se libère sur les relations amoureuses toxiques. Un schéma bien rodé, expliquent des spécialistes en Suisse romande.

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People sous emprise

Evan Rachel Wood et Marilyn Manson lors d'un gala en septembre 2007 à Toronto, quelques mois après avoir officialisé leur relation.

E. Charbonneau

Persécuteur. Soumission. Manipulation. Abus. Lavage de cerveau. Vies brisées. Les termes sont terribles. Sur son compte Instagram, le 1er février, l’actrice américaine Evan Rachel Wood accuse. Et désigne. Celui qui l’a séduite à l’adolescence pour en faire sa proie, c’est Marilyn Manson. Simultanément, d’autres femmes sortent du bois et disent avoir également subi des abus du musicien. Quelques heures plus tard, il est lâché par son agence et par sa maison de disques. Il finit par réagir, aussi sur Instagram, affirmant que ces accusations sont «d’horribles distorsions de la réalité».

C’est en 2016, date à laquelle Evan Rachel Wood commence à incarner avec brio Dolores Abernathy, androïde victime de traumatismes répétés dans la série dystopique Westworld (HBO), que l’actrice, aujourd’hui âgée de 33 ans, laisse entendre qu’elle a été abusée par un ancien compagnon. Au fil des interviews et des interventions sur les réseaux sociaux, elle se fait plus précise, parle de viols. En 2018, elle témoigne devant la Commission des affaires judiciaires de la Chambre des représentants. Sans nommer son bourreau présumé.

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Depuis plusieurs années, sans nommer son ancien compagnon, Evan Rachel Wood évoquait fréquemment les abus, allant jusqu’au viol, subis dans une relation passée. En 2018, elle témoigne devant la Commission des affaires judiciaires de la Chambre des représentants au Capitole.

Bill Clark

A Hollywood, un petit milieu, les rumeurs enflent. Le nom du chanteur, en couple avec l’actrice alors qu’elle sortait de l’adolescence, circule en coulisses. Ce sont, dira-t-elle, ses tentatives de chantage répétées qui l’ont poussée à sortir du silence.

Autre couple, autre bombe. En décembre dernier, la chanteuse et compositrice britannique FKA Twigs, 33 ans, annonce dans le New York Times avoir déposé plainte à Los Angeles contre son ex-compagnon, Shia LaBeouf, acteur de 34 ans qui traîne une réputation de talent torturé, pour «abus constants, agressions sexuelles et détresse émotionnelle». «J’aimerais sensibiliser sur les tactiques utilisées par les abuseurs pour vous contrôler et vous enlever votre libre arbitre», dit-elle. L’article évoque les menaces constantes, une tentative d’étranglement, le contrôle de son téléphone ou l’interdiction de regarder d’autres hommes dans les yeux.

«Jamais, poursuit FKA Twigs, je n’aurais pensé que cela pourrait m’arriver à moi.» Comme Evan Rachel Wood, elle est une femme brillante, à la carrière en plein essor. Comment expliquer qu’elle se soit laissé entraîner dans une relation aussi toxique? Si elles ne prennent pas position sur ces situations particulières dont elles ne connaissent pas les protagonistes, les spécialistes que nous avons interrogées, Valérie Le Goff, psychiatre au CHUV, et Nathalie Riesen, experte en relation d’aide aux victimes de relations toxiques à Genève, connaissent bien les schémas évoqués. «Il n’y a pas de profil type des victimes. J’ai vu des jeunes femmes de 18 ans comme des quinquagénaires, des femmes avec un haut statut social, cheffes d’entreprise, médecins…» prévient Valérie Le Goff.

Le schéma, donc, est classique. «Le prédateur va repérer sa proie et tenter sa chance, c’est la phase de séduction, avant de la dominer en utilisant tout ce qu’il a sur elle», explique Nathalie Riesen. «C’est avant tout une relation de pouvoir. Le but, c’est de contrôler, renchérit Valérie Le Goff. Après la première phase de séduction, le prédateur va alterner les phases de séduction et de peur par le contrôle. Comme dans la phase initiale de séduction où les amoureux sont seuls au monde, l’isolement va se poursuivre, mais cette fois par le biais de la captation des biens, du salaire, de l’entourage. Les prédateurs vont chercher, sentir et trouver la faille dans leur victime et s’y engouffrer.» Et non, les proies ne sont forcément des femmes très fragiles psychologiquement. «Des failles, on en a tous. Elles peuvent être très anciennes, liées à une mauvaise estime de soi, ou à une fragilité récente, transitoire, une séparation, un licenciement, une maladie…»

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Entre 2018 et 2019, l’acteur américain Shia LaBeouf est en couple avec la chanteuse britannique FKA Twigs, ici en balade à Paris. En décembre dernier, elle a déposé plainte contre lui pour coups et blessures, agression sexuelle et détresse émotionnelle.

Melodie Jeng

L’emprise va se faire à la fois sur le plan psychique, avec le dénigrement («tu es nulle»), les menaces émotionnelles («tu vas finir toute seule», «tu n’auras rien»), parfois avec des menaces physiques, des coups qui peuvent conduire à la mort. «Il s’agit d’une technique répétée qui va conduire à la peur et à l’effondrement de l’estime de soi», précise Valérie Le Goff. Et qui, souligne Nathalie Riesn, peut «durer des mois, voire des années».

Evan Rachel Wood comme FKA Twigs ont évoqué les viols subis alors qu’elles étaient en couple. Un phénomène également connu des spécialistes. «La violence physique, dont le viol, sert à resoumettre la victime. Sidérée, elle laisse commettre l’acte par souci de l’après», indique Nathalie Riesen. Valérie Le Goff explique: «Pour survivre et supporter, il peut survenir ce qu’on appelle la dissociation, un phénomène récurrent dans l’ensemble des abus sexuels, c’est-à-dire la coupure entre l’esprit et le corps. La victime ne va pas bouger, ne va rien dire, va parfois même «oublier» ce qu’il s’est passé.»

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L’actrice Rose McGowan, figure de proue du mouvement #MeToo (ici en 2020), s’est dite «fière» de celles qui l’accusent.

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Faire reconnaître ces cruautés physiques et psychiques devant un tribunal est «très, très difficile», souligne Valérie Le Goff. «Il y a souvent un vide juridique qui va figer les victimes dans une incompréhension totale, regrette Nathalie Riesen. D’autant que ce terme, ce statut même de victime, met la personne en rage. Elle devra intégrer ce mot, oser réaliser et dire qu’elle a été victime, pour le dépasser. Si vous parlez, vous n’êtes plus victime, mais actrice.» La difficulté de la loi à prendre en compte la notion de non-consentement est illustrée ces temps-ci en Suisse par le débat, en Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats, sur la définition du viol. En clair, «le délit n’est reconnu que s’il y a contrainte», a dénoncé la sénatrice Lisa Mazzone (Verts/GE).

L’immense majorité des patients qui viennent consulter pour sortir d’une relation toxique sont des patientes. «Parce qu’il y a un biais social, que les hommes ont peut-être honte de parler, et aussi parce que l’une des plus grandes possibilités d’exercer l’emprise reste l’argent. Le fait que les femmes ont désormais accès au monde du travail ne signifie pas que les relations d’emprise diminuent. En fait, l’emprise devient alors plus intéressante, plus subtile, un challenge de réussir à contrôler des femmes trophées», souligne Valérie Le Goff.

PIECES OF A WOMAN

Shia LaBeouf a depuis été retiré par Netflix de la campagne promotionnelle pour les Oscars du film «Pieces of a Woman», dans lequel il joue aux côtés de Vanessa Kirby.

Mais, voulons-nous savoir, ces prédateurs sont-ils conscients de ce qu’ils font? Ils ont en tout cas «la conviction qu’ils ont raison d’agir comme ils le font. Et, dans les cas les plus graves, cela va en plus leur procurer du plaisir. On retrouve chez eux une absence d’empathie, une incapacité à reconnaître l’autre comme un individu à part entière et une forte confiance en soi apparente.» A la suite des accusations de son ex-compagne, Shia LaBeouf a reconnu du bout des lèvres avoir un problème d’alcool et avoir été «abusif envers [lui-même] et [ses] proches pendant des années».

Evan Rachel Wood et FKA Twigs sont saluées pour leur courage et pour avoir fait bouger les lignes du mouvement #MeToo, lancé pour dénoncer les abus sexistes et sexuels dans le milieu du cinéma et, au-delà, dans tous les milieux professionnels.

Autre perspective: nos spécialistes insistent sur le fait que ces relations d’emprise ne touchent pas que le couple, mais bien la société tout entière. Pour Valérie Le Goff, «il y a encore un énorme effort à faire autour de l’emprise et du milieu professionnel, notamment dans les relations hiérarchiques, au sommet de grandes multinationales comme dans une usine. A l’heure actuelle, la situation sociale interdit encore à la parole de se libérer dans l’entreprise.» Nathalie Riesen va plus loin. Pour elle, «notre société produit et nourrit ces comportements toxiques. Nous n’avons de loin pas fini de la transformer.»

Par Albertine Bourget publié le 12 février 2021 - 15:25