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La Suissesse d’Arsenal

Capitaine de l’équipe féminine de Suisse de football et joueuse d’Arsenal, Lia Wälti évoque sa vie à Londres, le sentiment de liberté qu’elle éprouve au quotidien et les surprenantes conversations qu’elle mène avec Granit Xhaka.

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Christoph Köstlin

Lia Wälti ouvre la petite boîte qu’elle a apportée et assemble les différents éléments à l’intérieur. Les fléchettes sont prêtes, la partie peut débuter. C’est une fin de journée dans un pub londonien. Sur la table, il y a du thé plutôt que de la bière. «J’ai compris ici que la culture des pubs en Angleterre ne repose pas uniquement sur la boisson», sourit-elle. Ces établissements sont aussi des lieux de rencontre et les footballeuses d’Arsenal se retrouvent souvent dans le pub de St Albans, au nord de la ville. Elles jouent aux fléchettes et font des parties de cartes en suivant des règles qu’elles ont elles-mêmes inventées, pour en pimenter le déroulement.

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Depuis un an et demi, Lia Wälti a intégré le club d’Arsenal, à Londres. La Women’s Super League est une compétition aussi intense que disputée. Christoph Köstlin

Depuis un an et demi, Lia Wälti vit en Angleterre. Elle a récemment prolongé son contrat avec Arsenal jusqu’en 2023. Si elle a accompli un grand pas en avant en intégrant une des meilleures équipes féminines du monde, la sportive de 26 ans est aussi devenue outre-Manche ce qu’elle fut au cours des précédentes étapes de sa carrière, aux Young Boys, à Potsdam ou en équipe nationale suisse: une meneuse. «C’est dans ma nature de prendre volontiers des responsabilités», relève-t-elle. Avec les Young Boys, elle a été capitaine à 19 ans, en Bundesliga à 21 ans avec Turbine Postdam et elle préside aux destinées de l’équipe nationale suisse depuis l’an dernier, après le départ de Lara Dickenmann. Milieu de terrain offensif, elle aime garder un œil sur ses coéquipières et possède un instinct solide. Ses prises de parole ne suivent pas un calendrier établi de longue date. Elle se limite à intervenir à chaque fois qu’elle le juge utile.

Dans la Women’s Super League anglaise, Lia Wälti a été sélectionnée pour figurer dans la Team of the League dès sa première saison, à son étonnement. Il est vrai que tout s’était parfaitement déroulé pour elle depuis son arrivée à Londres et que ce club historique, champion en 2019, volait de victoire en victoire. Puis elle est restée éloignée des terrains au cours de la seconde moitié de saison en raison d’une blessure au genou. Elle a ainsi perdu plusieurs mois avant que son ligament extérieur déchiré ne soit remplacé par une bande en plastique.

Aujourd’hui encore, Lia Wälti peine à s’agenouiller correctement. Sur le terrain, toutefois, elle ne rencontre plus d’obstacles. «Je n’ai pas de plan B. Mon jeu est fondé sur le duel. Si j’étais incapable de dominer une adversaire, mes performances seraient insuffisantes à ce niveau.» Tous louent sa vision globale et son intelligence de jeu. «Elle est tout simplement de classe mondiale», s’exclame l’ancienne coach de l’équipe de Suisse, Martina Voss-Tecklenburg.

Cette saison, Arsenal lutte pour quatre titres. L’équipe a trois points de retard sur le leader, Manchester City. En quart de finale de la Champions League, elle affrontera le Paris Saint-Germain. «Pour parvenir en finale, nous avons encore besoin d’une à deux années», estime Lia Wälti. Après quatre saisons en Bundesliga, elle est heureuse de s’être installée en Angleterre. Les différences sont nombreuses. Arsenal est une équipe nettement supérieure à Postdam et la pression pour obtenir des résultats plus élevée. Les rôles sont aussi plus clairement définis. Il revient à Lia Wälti de soutenir activement la défense. Elle contribue à la configuration du jeu, mais s’abstient de longues incursions vers l’avant. En outre, le football allemand est caractérisé par des choix stratégiques alors que la condition physique est essentielle en Angleterre. «Marcher, courir, tout donner pendant nonante minutes», dit Lia Wälti.

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  Bradley Collyer - PA Images

Les différences sont aussi perceptibles dans la mentalité. En Allemagne, Lia Wälti se sentait un peu à l’étroit. A Londres, les joueuses s’engagent à 200% sur le terrain, mais elles sont plus détendues hors du stade; il n’y a pas que le football dans la vie. «C’est un aspect que j’apprécie énormément», car les performances de la native de l’Emmental sont meilleures quand elle dispose de davantage de liberté dans son existence quotidienne. «Je sens parfaitement ce que je peux me permettre.»

Elle apprend les langues, elle a une vie sociale, elle tricote. Pour l’heure, elle a interrompu ses études en marketing sportif faute de temps, mais elle sait que le moment viendra où ses aptitudes intellectuelles seront de nouveau sollicitées. A St Albans, Lia Wälti habite près du centre d’entraînement d’Arsenal avec sa sœur Meret, plus jeune de deux ans, qui a aussi joué pour les Young Boys et poursuit actuellement un cursus en Angleterre. Lorsque le calendrier le permet, Lia va danser la salsa: les deux sœurs ont un sens inné du rythme, leur mère leur a enseigné la danse du ventre.

Elles ont grandi à Langnau, un village bernois si fou de hockey que leur père transformait le jardin en patinoire chaque hiver. Il a aussi repris la première équipe de football féminin de la localité. C’est en regardant les matchs depuis le bord du terrain qu’elles ont ressenti une fascination pour ce sport. Leur passion a incité leur père à s’intéresser davantage encore à cette discipline.

En Angleterre, les grands clubs investissent intensivement dans le football féminin. Lia Wälti et son équipe s’entraînent sur les mêmes installations que les hommes. «Seize terrains, tous plus beaux les uns que les autres», s’enthousiasme-t-elle. Arsenal propose aussi un éventail de prestations exceptionnel. Ici, tout est possible, des conseils du nutritionniste à l’analyse vidéo des phases de match.

C’est surtout le lundi, jour de repos avec massages, bains glacés et exercices de fitness, que deux mondes se télescopent. Ici, les stars de l’équipe masculine comme Nicolas Pépé ou Pierre-Emerick Aubameyang, dont la valeur sur le marché des transferts atteint 80 millions d’euros, là, l’équipe féminine, dont les salaires correspondent à un bon emploi de bureau en Suisse. Toutefois, Arsenal offre une innovation à l’échelle internationale: c’est la première fois que des femmes peuvent subvenir à leurs besoins uniquement avec le football.

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Granit Xhaka et Lia Wälti, capitaines des équipes nationales suisses, jouent tous deux dans le prestigieux club d’Arsenal, à Londres. BRITTA JASCHINSKI

Dans le centre d’entraînement, Lia Wälti croise de temps à autre Granit Xhaka, le capitaine de l’autre équipe nationale suisse, aussi sous contrat avec Arsenal. Lia Wälti trouve passionnant de s’entretenir avec lui ou l’un des autres joueurs qu’elle a connus dans la salle d’exercices pendant sa rééducation. Depuis longtemps, elle ne s’interroge plus sur la différence de salaire et l’attention permanente dont sont l’objet les joueurs d’une telle équipe ne lui manque pas non plus.

Elle s’intéresse à la manière dont se déroule l’existence d’un footballeur reconnu à l’échelle internationale. «Ils sont toujours sous pression, je me suis rendu compte que c’était un poids pour Granit au cours des six derniers mois, observe Lia Wälti. Je suis convaincue que cette vie n’est pas idéale pour tous et qu’ils traversent aussi des moments difficiles.» De temps à autre, elle reçoit un SMS de félicitations de Granit. Quelques joueurs d’Arsenal suivent les matchs féminins, à l’exemple d’Héctor Bellerín ou de David Luiz.

Lia Wälti s’étonne parfois de remarquer que la plupart des hommes n’ont aucune idée de la réalité du football féminin. Ainsi, si les femmes ont accès aux réunions de l’équipe nationale, elles doivent payer chaque café qu’elles prennent dans le lobby de l’hôtel. Pour les voyages en avion, les footballeuses se retrouvent plusieurs heures avant le départ pour l’aéroport, car elles doivent ranger le matériel dans les caisses et les charger. Impensable pour les hommes. «Je n’ai pas envie de luxe ou de rouler en Porsche, mais les contrastes sont frappants.»

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  Christoph Köstlin

L’équipe nationale féminine de Suisse est en pleine mutation: le retrait de joueuses confirmées, telle Lara Dickenmann, et le changement d’entraîneur, avec l’arrivée de Nils Nielsen, représentent des étapes décisives. L’équipe se trouve en phase de qualification pour l’Euro 2021, où les Suissesses ont affronté des équipes plus faibles lors des premiers matchs. Elles figurent à la deuxième place, à égalité avec l’équipe belge, qu’elles rencontreront le 14 avril. «C’est là que nous pourrons juger de la force de notre team», déclare Lia Wälti.

Elle considère que l’équipe présente un bon mélange, mais nécessite encore des adaptations: les jeunes joueuses doivent faire preuve de plus de constance afin de prendre les rênes lorsque les leaders ne se trouvent pas dans un bon jour. Quelques-unes jouent désormais à l’étranger. Lia Wälti a de longues conversations téléphoniques avec elles pour leur transmettre ses conseils. «J’ai remarqué que quand on donne de soi, les jeunes n’hésitent plus à poser des questions. Elles apprécient des paroles sincères et je ne leur intime jamais de faire une chose ou l’autre.»

Les qualifications pour les phases finales sont la meilleure tribune pour le football féminin: les médias suivent l’événement, les spectateurs sont nombreux. Il serait essentiel que la Suisse parvienne à se qualifier pour l’Euro. Lia Wälti était de la partie lors de la première participation de la Suisse au Mondial 2015 et à l’Euro 2017. «Ce fut fantastique d’avoir réussi une performance historique. C’est pour de tels matchs que bat le cœur d’une sportive.»

L’Euro 2021 se déroulera en Angleterre. Lia Wälti y est chez elle. Elle connaît les stades, les fans, les médias. Et la culture des pubs lui est aussi devenue familière, même si en 2021 la bière pourrait détrôner le thé sur les tables.

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  Christoph Köstlin

Par Eva Breitenstein publié le 28 février 2020 - 16:16, modifié 18 janvier 2021 - 21:08