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Politique

Suzette Sandoz: «Membre d'un parti à 18 ans? Je suis épouvantée»

Ayant étudié le droit par amour de la langue, Suzette Sandoz, qui fut députée libérale au Grand Conseil vaudois puis au Conseil national, fait aujourd’hui partie des «Beaux parleurs» qui, sur La Première, animent les dimanches matin à l’heure du culte. Rencontre pleine d’esprit.

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Darrin Vanselow

- Quel est votre plus ancien souvenir?
- Suzette Sandoz: C’était pendant la guerre… Comme je suis née en 1942, je n’ai pas fait toute la guerre, si j’ose dire! Je pense que c’était en 1945. Nous étions à Morges avec mes parents. Les sirènes se sont mises à hurler, j’ai eu horriblement peur et j’ai perdu un des petits gants de peau que ma mère m’avait cousus. Je suis du début de l’année, je pense que j’avais 3 ans.

- Un souvenir plutôt traumatique donc…
- Je suis en train de mentir. J’ai un souvenir un tout petit peu antérieur: je me vois dans le bureau de mon grand-père, assise sur ses genoux, en train de regarder un livre sur les poules. Il était chimiste, mais il avait une volière, un parc à poules et beaucoup d’animaux.

- Quel genre d’enfance avez-vous vécue?
- Une enfance très heureuse, j’ai eu des parents merveilleux, mais on boulonnait!

- C’est-à-dire?
- On travaillait beaucoup, parce qu’on habitait une vaste maison avec un grand jardin, au pied de la colline du Languedoc, à Lausanne.

- Votre père était militaire, on imagine que votre éducation fut assez sévère...
- Mon père était officier de carrière et mon frère l’est devenu aussi... Nous avons reçu une éducation stricte en ce sens que l’on n’était pas censé se conduire mal. Mais mon père était d’une patience extraordinaire. Maman aussi était merveilleuse, une maîtresse de maison magnifique. J’ai grandi avec l’idée qu’on reçoit, qu’on entoure, qu’on est disponible.

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Toujours à portée de main, le couteau offert par son frère, officier de carrière. Darrin Vanselow

- Vous êtes d’une famille protestante, mais vous faites toutes vos classes dans une école catholique...
- Oui, et ça n’a jamais posé le moindre problème. A l’Institut Mont-Olivet, tous les cours étaient donnés par des sœurs. Elles m’ont rendue à la fois plus protestante et plus pratiquante. Elles manifestaient une telle joie à pratiquer.

- Qu’est-ce qu’elles vous ont appris de particulier?
- Elles donnaient l’exemple, les sœurs se conduisaient bien, si j’ose dire. Bon, nous en appréciions certaines plus que d’autres. Il ne faut pas croire qu’il n’y avait que des saintes. Parmi les élèves non plus, d’ailleurs! J’ai appris que la religion faisait partie de la vie, et c’est toujours pour moi une chose très importante. J’ai appris que la religion rendait joyeux, que l’on n’est pas emprisonné dans quoi que ce soit et que l’on peut très bien cohabiter avec des gens de religions différentes.

- Moins d’une vingtaine de jeunes protestants ont confirmé leur baptême l’année dernière à Lausanne, qu’est-ce que cela vous inspire?
- Ça m’inquiète, parce que je vois disparaître une capacité à faire face à la vie. La religion joue un rôle dans la liberté que l’on a de choisir une certaine attitude par rapport aux événements auxquels on ne peut pas échapper.

- Et vous avez aimé l’école?
- Oui et non... Quand on est discipliné de nature, l’école, c’est plutôt embêtant. Je n’avais pas besoin d’apprendre à être disciplinée et je n’avais pas de raison de ne pas l’être: ça simplifie tellement l’existence!

- Mais étiez-vous une bonne élève?
- Oui, mon père m’avait d’ailleurs promis de me payer si j’avais une seule fois une note en dessous de la moyenne! Comme je n’étais pas tellement greedy (ndlr: «cupide»), j’aimais mieux avoir de bonnes notes, c’était moins pénible. Cela dit, je n’ai pas de mémoire. J’ai la mémoire du raisonnement, mais pas la mémoire pure. Personne ne peut imaginer ce que j’ai souffert pour mémoriser ce qu’on devait apprendre... Pourquoi, à 18 ans, vous lancez-vous dans des études de droit, qui ne sont pas réputées très faciles? J’avais déjà décidé à 12 ans que je ferais du droit.

- Avant même de savoir vraiment ce que c’était?
- J’avais un grand-oncle qui était avocat. C’était un célibataire que j’aimais énormément. Tous les vendredis avant mon cours de rythmique, j’allais goûter à son bureau. Il m’achetait toujours un petit pain et sa secrétaire me permettait de taper sur la machine à écrire. Je trouvais tout ça merveilleux, alors j’ai décidé que je serais avocate, Punkt Schluss! La deuxième raison, c’est qu’en étudiant le XVIIe siècle en littérature, j’avais découvert que la plupart des grands auteurs avaient fait du droit. Je voulais bien écrire le français, donc s’il fallait étudier le droit, j’étudierais le droit. Mon choix n’était pas plus altruiste que ça. Ce n’était pas pour défendre la veuve et l’orphelin, mais par passion pour la langue.

- Quelles sont les valeurs les plus importantes à vos yeux?
- La première, c’est certainement la loyauté. C’est quelque chose de fondamental, de vital. Ensuite, le respect de l’autre, quelle que soit sa situation. Je reconnais que ce n’est pas forcément toujours facile. Mais j’essaie. Mes parents m’ont aussi donné le goût du travail et puis le goût de l’indépendance. Mon père comme ma mère avaient quelques phrases types: «Ne pas monter bien haut peut-être, mais tout seul!», «Moi, c’est moralement que j’ai mes élégances». Et mon père ajoutait: «Fiche-toi de ça et vois grand!» J’ai souvent entendu ces trois phrases, elles sont comme des mains courantes auxquelles se raccrocher, sans quoi on risque de flotter, comme une méduse.

- Vous êtes-vous parfois rebellée contre eux?
- Non. D’abord, lorsque j’étais plus jeune, j’étais convaincue qu’ils n’étaient pas mes parents, mais que j’étais certainement la fille d’un prince ou d’un roi qui avait été contraint de m’abandonner. J’avais aussi grandi dans les contes de fées... Bon, je me disais malgré tout que je n’étais pas trop mal tombée et qu’ils étaient des gardiens plutôt agréables, mais j’étais sûre que j’allais découvrir que j’étais de naissance divine, sinon royale!

- D’où vient votre intérêt pour la politique?
- Nous en parlions assez souvent à la maison. C’était l’époque de la Guerre froide et on n’était pas très communiste dans ma famille. J’ai grandi dans un milieu libéral avec quelques radicaux quand même, parce que nous avions de la famille à la campagne.

- Donc, à 18 ans, vous avez déjà vos idées politiques et savez à quel parti appartenir?
- Oui, j’avais mes idées, mais je trouvais les partis politiques complètement ringards. Comment voulez-vous avant 35 ans ou 40 ans avoir envie d’entrer dans un parti politique? Je suis épouvantée par les jeunes qui sont déjà membres d’un parti à 18 ans.

- Et aujourd’hui?
- Je ne suis plus membre d’aucun parti, puisque je n’ai pas accepté la fusion des radicaux et des libéraux (ndlr: en 2009). Donc je reste libérale, point final.

- Et comment avez-vous vécu la disparition de votre parti?
- Ça m’a fait très mal, et j’ai encore très mal, d’autant plus mal qu’aujourd’hui encore on accole toujours «néolibéralisme» au terme «libéral». On ne voit le terme «libéral» que sous l’angle de l’économie. Et ce n’est pas du tout, du tout le Parti libéral vaudois que j’ai connu, ni ce que m’ont transmis mes parents...

- En 1980, votre mari décède et vous devenez veuve à 38 ans...
- Oui, et lui n’avait pas 50 ans, on avait dix ans de différence, et notre fille avait 14 ans. Ainsi, d’un jour à l’autre, j’ai dû gagner ma vie. J’avais obtenu mon doctorat comme femme mariée, mais je n’avais pas du tout été élevée dans l’idée d’accomplir une carrière professionnelle, mais d’être une maîtresse de maison, de faire ce qu’avait fait ma mère... Au chevet de mon mari, alors qu’il était certain qu’il ne survivrait pas très longtemps, un de ses amis m’avait proposé un poste de premier assistant à l’Université de Lausanne. Aujourd’hui encore je le remercie, ce fut pour moi une manière de retomber sur mes pattes, de ne pas tourner autour de mon malheur.

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A l’Octogone de Pully, en compagnie de son frère à l’issue du spectacle «Eternel féminin – Le procès», dans lequel Suzette Sandoz jouait le procureur. DR

- Si vous aviez 15 ans aujourd’hui, iriez-vous manifester avec les jeunes?
- Non! Parce que je n’aime pas être embrigadée dans une foule. La foule n’a pas de raisonnement, elle n’a que des tripes et je suis très peu tripale. La foule n’est pas maîtresse d’elle-même. Et ça ne correspond absolument pas à mon indépendance d’esprit. D’une manière ou d’une autre, les jeunes sont conditionnés par les sentiments et les images. Celles de la jeune Suédoise (ndlr: Greta Thunberg) par exemple. D’un autre côté, ils sont enthousiastes et si on n’est pas enthousiaste à 25 ans, on est vieux!

- Entre 1986 et 1998, vous avez été successivement élue au Grand Conseil du canton de Vaud puis au Conseil national... Quels souvenirs en gardez-vous?
- Je me rappelle qu’après l’une de mes interventions, j’avais été traitée de manière très ironique par un conseiller d’Etat. Une députée socialiste était ensuite venue me dire: «Jamais un homme n’aurait été traité comme ça…» Ça m’avait beaucoup touchée.

- Ce genre de manières n’a pourtant pas fait de vous une militante féministe?
- Je n’ai jamais pu concevoir le féminisme comme un mouvement politique. La société évolue en faisant davantage de place aux femmes, et c’est très bien, mais je n’aime pas les attitudes agressives envers les hommes. Nous n’avons quand même pas les mêmes capacités physiques, est-ce que les jeunes filles sont faites pour être maçons? Au parlement, j’avais toujours du fil et une aiguille dans mon sac et j’aidais volontiers un collègue à recoudre un bouton! Un autre jour, c’est lui qui m’aidait à porter une serviette trop lourde!

- Pour faire de la politique, il ne faut pas craindre de prendre des coups...
- Non, mais j’ai adoré la politique. Même si on a tous notre petit ego, il faut toujours garder un peu d’humour. J’ai reçu des lettres anonymes dans lesquelles on me menaçait de mort! Mais je me disais: «C’est une lettre anonyme injurieuse, donc c’est la lettre de quelqu’un qui est soit malade, soit pas courageux... Mais ça lui a fait du bien de l’écrire. Donc j’ai contribué à l’amélioration de la santé publique!»

- Vous vous élevez souvent contre la grossièreté, notamment celle qui sévit sur les réseaux sociaux...
- Je n’ai jamais entendu mon père dire un mot plus grossier que le mot de Cambronne. Et il m’a fallu des années pour découvrir qu’il existait d’autres mots. Aujourd’hui, il semble qu’on n’a plus d’autre moyen de s’en prendre à quelqu’un que de le traiter de «C-O-N»... On pourrait lui dire: «Excusez-moi, mais vous êtes bête ou sot...» Pourquoi toujours utiliser le vocabulaire sexuel? C’est une chose qui me trouble: au nom d’une libération, tout tourne autour des questions sexuelles, tout le temps. Mais on n’est pas que ça, à ma connaissance! Ce qui ne veut pas dire que l’on doit être prude ou mener une vie de sainte nitouche, mais il y a aussi une autre dimension de l’être humain. Je trouve qu’il y a un lien entre la vulgarité du langage et l’impossibilité de parler de quoi que ce soit sans y mettre du sexe... Je suis peut-être vieux jeu, mais j’en ai conscience!


Suzette Sandoz en dates

- 1942: naissance à Lausanne.

- 1980: décès de son mari.

- 1986-1991: députée libérale au Grand Conseil vaudois

- 1991-1998: députée au Conseil national.

- 2000-2002: doyenne de la Faculté de droit de l'Université de Lausanne.


Par Jean-blaise Besencon publié le 4 avril 2019 - 08:50, modifié 18 janvier 2021 - 21:03