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Taux hypothécaires: «Les banques entretiennent délibérément la méfiance vis-à-vis du taux Saron»

Même s’il pense que les taux hypothécaires peuvent encore progresser de 0,5 à 1%, Roland Bron, le directeur romand de la société de conseil financier VZ, estime qu’acheter son logement demeure toujours intéressant. Surtout si l’on opte pour un crédit à taux Saron, modèle que les banques rechignent pourtant à recommander. Explications et prévisions.

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Roland Bron

Roland Bron, le directeur romand de la société de conseil financier VZ, estime qu’acheter son logement est toujours intéressant.

Vermoegenszentrum.ch
Christian Rappaz, journaliste
Christian Rappaz

- Le vent a-t-il vraiment tourné sur le front du crédit hypothécaire?
- Roland Bron: Cela dépend pour qui. Pour les investisseurs institutionnels, type caisses de pension, clairement oui. La Banque nationale suisse (BNS) ayant relevé son taux directeur, ces établissements n’ont plus la pression d’investir dans l’immobilier pour échapper aux intérêts négatifs. Même s’ils paient encore 0,25% d’intérêts négatifs parfois, ils peuvent désormais placer leurs avoirs en obligations à environ 1%. Pour les particuliers, en revanche, le vent est toujours favorable. Certes, si la BNS poursuit son relèvement du taux directeur jusqu’à +0,25%, voire +0,50%, ce que nous anticipons, les taux hypothécaires peuvent encore progresser de 0,5 à 1%. Pour autant, ils demeureront historiquement bas. Pour mémoire, à la fin des années 1980, ils se situaient à 8 ou 9%, avant de reculer à 3% au milieu des années 2000.

- Quel taux un particulier peut-il raisonnablement obtenir aujourd’hui pour acheter sa résidence principale?
- Selon que le crédit se fasse à taux fixe, à taux Saron ou à une combinaison des deux, il y a d’importantes variations. Aujourd’hui, un taux fixe à dix ans se négocie entre 2,5 et 2,8%, entre 2 et 2,2% à cinq ans, alors que le taux Saron se situe à 0,8% (le Saron est le taux d’intérêt de référence du marché monétaire au jour le jour, ndlr).

- Avant d’aller dans les détails, est-ce encore le bon moment d’acquérir un bien?
- Oui, sur le long terme, cela reste avantageux. Prenons par exemple un appartement de 4,5 pièces, que vous achetez 750 000 francs – 150 000 francs de fonds propres, soit un crédit de 600 000 francs – ou que vous louez 2500 francs par mois. Soit 30 000 francs par an. Pour l’achat, on peut réalistement imaginer un crédit mixte entre taux Saron et taux fixe à dix ans débouchant sur un taux de 2%. Soit 12 000 francs d’intérêts par année. Auxquels on ajoute 1% de la valeur du bien pour l’entretien et les rénovations, 7500 francs. En tout, 19 500 francs. Même en additionnant 1% d’amortissement (6000 francs), qui ne représente pas une charge mais une constitution de fortune pour le propriétaire, on est encore largement gagnant.

- Comment trouver l’hypothèque la moins chère?
- Pas en demandant cinq ou dix offres, selon moi. Les taux bougent si vite que lorsque vous aurez reçu toutes les réponses, ils auront déjà évolué. Non, mieux vaut opter pour le modèle de crédit le plus avantageux. Avec le taux Saron, à 0,8% ou en combinant ce dernier avec un taux fixe si vous n’êtes pas à l’aise avec le Saron seul.

- Vous allez plutôt à contre-courant du marché en recommandant le Saron. Les gens se sentent généralement plus rassurés avec un taux fixe ou, à la limite, avec une combinaison des deux…
- Vous avez raison. Mais je crois que la méfiance vis-à-vis du taux Saron est délibérément entretenue et, surtout, n’est pas du tout justifiée. Un simple calcul le démontre. Admettons que la BNS relève encore son taux directeur de 0,75%, ce qui est beaucoup a priori. Celui-ci passerait donc de –0,25% actuellement à +0,50%. Dans ce cas, le taux Saron augmenterait de 0,8 à 1,3%. Ou à 1,55% si la BNS relevait son taux directeur de 1%. Autre avantage de ce taux, il est très flexible. Il peut en tout temps être transformé en taux fixe avec, qui plus est, une faible pénalité en cas de résiliation anticipée de l’hypothèque. Le seul inconvénient, si je puis dire, c’est que le titulaire du crédit doit suivre l’évolution du taux au jour le jour afin de pouvoir réagir si nécessaire. Mais normalement, ce travail incombe à son prestataire.

- S’il est si avantageux, pourquoi les banques et les assurances ne le recommandent-elles pas?
- Le Saron n’entre pas en ligne de compte pour les assurances. De plus, ces dernières exigent parfois de contracter une assurance vie pour accéder au crédit. Quant aux banques, c’est une simple question d’intérêt. Reprenons l’exemple du crédit de 600 000 francs à 2%; 12 000 francs par année d’intérêts contre 4800 francs si le taux Saron à 0,8% était appliqué. Or comment les banques financent-elles les crédits hypothécaires qu’elles accordent? En puisant dans l’épargne de tous leurs clients, laquelle est rémunérée à 0%. Entre le taux fixe et le Saron, le bénéfice pour la banque est donc de 7200 francs. Multipliez celui-ci par des centaines de milliers de clients et vous comprenez pourquoi les banques ont tout avantage à proposer des taux fixes.

- Au-delà de cette question de taux, les banques sont-elles devenues plus restrictives par rapport à l’immobilier?
- Elles ont toujours adopté une politique prudente depuis la crise immobilière des années 1990 et c’est tant mieux. Elles ont retenu la leçon de ce désastre, la crise des subprimes, survenue à la suite du financement très excessif du marché à l’époque. Plutôt que restrictives, je dirais qu’elles se protègent.

- Sur quels critères accordent-elles un crédit hypothécaire finalement?
- Elles calculent le coût du crédit sur la base d’un taux d’intérêt fictif à long terme de 5%, soit 30 000 francs par année pour notre crédit de 600 000 francs. Elles ajoutent à cela les 7500 francs de frais d’entretien et les 7500 francs d’amortissement. Ce qui fait 45 000 francs au total. Pour obtenir le crédit, ce montant ne doit pas dépasser un tiers de votre revenu. Ce dernier doit donc s’élever à 135 000 francs par année, qu’il s’agisse d’une personne seule ou du revenu cumulé d’un couple.

- Au final, les critères sont tout de même assez sélectifs…
- Les prestataires veulent s’assurer que leurs débiteurs restent solvables même en cas d’augmentation drastique des taux. Il y a quelques années, Raiffeisen souhaitait que ce taux fictif de 5% soit abaissé, mais la Finma, l’Autorité de surveillance des marchés financiers, n’est pas entrée en matière.

- A votre avis, est-on à la veille d’une crise immobilière? On dit qu’on y a droit tous les vingt-cinq ans…
- Je ne crois pas. Grâce à cette approche prudente des banques, le marché est plutôt bien régulé. Certes, avec l’augmentation des taux, la demande se tasse mais, par corrélation, fait pression sur les prix. Je reste confiant pour les années à venir.

- Acheter un objet de rendement est-il encore avantageux?
- C’est moins intéressant qu’il y a trois ou cinq ans. Pas seulement à cause de l’augmentation des taux mais parce que, aujourd’hui, on peut difficilement imaginer faire une plus-value sur l’objet. Le bénéfice repose essentiellement sur la location.

- Avec les incertitudes qui planent, ne serait-il pas plutôt le bon moment pour vendre?
- Si vous y êtes contraint, à la suite d’un divorce ou pour une autre raison personnelle, oui. Dans ce cas, il faut même le faire sans trop attendre. Par contre, vendre pour vendre ou par peur d’une hypothétique chute des prix ou encore pour réinvestir dans l’immobilier ne me semble pas très opportun dans la situation actuelle.

- Quel conseil donneriez-vous aux futurs acquéreurs d’une résidence principale?
- Ne pas se précipiter pour acheter, prendre le temps nécessaire pour trouver l’objet adéquat, celui que vous ne regretterez pas d’avoir acquis dans cinq ans. On estime qu’il faut en moyenne un an pour dénicher l’objet de ses rêves. C’est un investissement important, qu’il faut envisager sur le long terme. A court terme, les prix peuvent certes se tasser un peu, mais, dans les conditions actuelles et sur un horizon de quinze ou vingt ans, cela reste sans conteste un bon investissement… 


Mes 5 repères

1. Hausse des taux
Au début de l’année, le taux à dix ans se situait légèrement au-dessus de 1%. Aujourd’hui, il se trouve dans une fourchette de 2,5 à 2,8%. Le 5 juillet, Credit Suisse affichait par exemple un taux à dix ans de 2,80%.

2. Pour mémoire
Dans les années 1990, les taux hypothécaires sont montés jusqu’à 8, voire 9%. De nombreux propriétaires n’étaient plus en mesure d’honorer les intérêts et ont été dans l’obligation de vendre leur logement.

3. Prix surévalués
La Banque nationale suisse estime que les prix de l’immobilier sont actuellement surévalués de 10%, jusqu’à 35% selon les régions. La hausse des taux d’intérêt devrait faire chuter les prix jusqu’à 20% dans les années à venir selon elle.

4. S’endetter pour gagner plus
De 2012 à 2021, la dette hypothécaire des ménages suisses a gonflé d’un bon tiers, pour atteindre 900 milliards de francs. En face, l’actif immobilier est de l’ordre de 2382 milliards, en progression de presque 45% dans le même temps!

5. Peuple de locataires
En Suisse, seulement 40% des ménages sont propriétaires de leur logement, alors que la moyenne européenne est de 70%. Les différences par canton sont significatives. Genève, canton urbain, n’en compte que 19%, Vaud 30%, alors que le Valais est proche de 60%. Question de prix aussi sans doute. Il y a 4 637 174 logements en Suisse.

Par Christian Rappaz publié le 5 août 2022 - 08:15