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The Who, une histoire rock

Inscrits au panthéon du rock anglais, ils ont longtemps été le plus agité des groupes. Les Who ont fêté leurs 54 ans. Ils sortent bientôt un nouvel album, baptisé sobrement «Who», leur premier depuis treize ans. Retour sur une aventure jalonnée de scandales, de drames et de coups d’éclat racontée par leur chanteur, Roger Daltrey, dans «My Generation», son autobiographie.

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Les Who, ici au complet en 1969, ont toujours livré de folles prestations scéniques. Credit ©Rue des Archives/RDA

Les racines des Who plongent profondément dans les faubourgs ouvriers de l’est de Londres, dans cet univers à la Dickens où leur chanteur, Roger Daltrey, fils d’un modeste employé dans une fabrique de «porcelaine sanitaire», a grandi après sa naissance, le 1er mars 1944. Dans son autobiographie, intitulée «My Generation», le rocker, aujourd’hui âgé de 75 ans, raconte avoir commencé à chanter au sein du chœur de l’église de Ravenscourt Park Road. La vie était rude. «Ce dont je me souviens, c’est que je devais me battre pour obtenir ce que je voulais», écrit-il.

Gueule en coin

A son entrée au collège, l’Acton County School, il se brise la mâchoire en jouant sur un chantier. «J’ai perdu toute sensibilité au visage. Cela a probablement eu une influence significative sur ma vie.» Avec sa gueule en coin, le gamin est malmené. On le surnomme Trog, «tête de zombie». Il a des pensées suicidaires quand il découvre… Elvis. La révélation. Un autre artiste, Lonnie Donegan, va l’influencer plus encore, dans l’interprétation. Habile de ses mains, l’adolescent se bricole une guitare. Par la suite, il confectionnera lui-même ses costumes.

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Sur cette photo réalisée en juillet 1969 pour le magazine «Vogue», on reconnaît John Entwistle (basse), Keith Moon (batterie), Pete Townshend (guitare) et Roger Daltrey (chant, de g. à dr.). Getty Images

En le virant du bahut, le jour de ses 15 ans, le proviseur Kibblewhite lui lance: «Vous ne ferez jamais rien de bon de votre vie, Daltrey.» Un visionnaire, à coup sûr. Le jeune Roger enchaîne les petits boulots et monte un premier groupe de skiffle baptisé The Detours, qui se disloque plus vite qu’il ne progresse. L’arrivée de deux mecs aperçus au collège va tout changer: le bassiste John Entwistle, «un grand type avec une démarche à la John Wayne», et le guitariste Pete Townshend, un maigrichon «avec ce tarin considérable». Tous deux jouent du jazz ensemble. Pete tient aussi le banjo dans le groupe de son père, saxophoniste à la Royal Air Force.

Nouveaux horizons

Quand ils rejoignent Daltrey, Entwistle est stagiaire au service des impôts et Townshend en deuxième année au collège technique d’Ealing et à l’école des beaux-arts. «Pete est arrivé et il a ouvert de nouveaux horizons. Tout de suite.» Betty Townshend, sa mère, s’improvise imprésario et chauffeur, convaincue que son fiston va réussir.

En 1963, les Detours, inspirés par les Rolling Stones, se lancent dans le rhythm and blues. Le public, bien que modeste, les suit. Débarque alors le rouquin Keith Moon, un fils de prolo lui aussi, «insupportable petit frimeur» qu’un prof d’Alperton avait ainsi décrit: «Retardé sur le plan artistique, idiot sous tous les autres aspects.» Le musicien est pourtant éblouissant. «C’est très mathématique, la batterie, écrit Daltrey, mais les maths du Moonie arrivaient d’une autre planète.»

Le groupe veut changer de nom. En février 1963, lors d’un tour de table animé, quelqu’un propose un truc que les autres ne captent pas. «The who?» («les qui?») répètent-ils en chœur. Eurêka!

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Septembre 1975. Roger Daltrey, sa seconde femme Heather et leurs filles Rosie et Willow. Sygma via Getty Images

Parfaite alchimie

Au sein du groupe, l’alchimie est parfaite, mais les ego surdimensionnés. Townshend compose seul, dans son coin. Un soir de septembre 1964, à la Railway Tavern, bondissant avec sa six-cordes, il crève le faux plafond. Rires moqueurs dans la salle. Vexé, le guitariste détruit son instrument. «Pour moi, c’était comme assister à l’abattage d’un animal», écrit Roger Daltrey. Le public est bouche bée, la facture sera salée, mais la signature scénique est là. Lors du concert suivant, Keith Moon massacre sa batterie. Bis repetita.

Le premier tube des Who, «I Can’t Explain», sort début 1965, mais Pete Townshend est frustré. En studio, la guitare solo a été confiée à un certain Jimmy Page, futur guitariste de Led Zeppelin. Compositeur brillant, en avance sur son temps, Pete Townshend est un mec compliqué. «Discuter avec Pete, c’était parfois comme traverser un champ de mines avec des godasses de clown aux pieds», note Roger Daltrey. Au sein du groupe, les conflits sont fréquents.

Véritable hymne des sixties, «My Generation» sort le 13 octobre 1965. Il est le premier d’une série de tubes. «Tommy», le tout premier opéra rock de l’histoire, marque l’apogée du groupe en mars 1969. «Tout ce que j’ai appris à faire avec ma voix, je le dois à "Tommy"», insiste Roger Daltrey.

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Des membres originaux, il ne reste aujourd’hui que Roger Daltrey au chant et le guitariste Pete Townshend, 75 et 74 ans, lors de la cérémonie de clôture des JO 2012 à Londres. Getty Images

Jackpot

Durant l’été 1969, les Who se produisent à Woodstock. Le festival en fait des stars planétaires. L’argent coule à flots, mais il passe en grande partie dans les narines des managers Kit et Chris, accros à la poudre blanche. Daltrey enregistre un album solo et mise sur un nouveau manager. Jackpot. Jamais toutefois il n’envisagera de quitter les Who.

Les frasques de Keith Moon, rongé par le cognac et les cachetons, commencent à coûter cher. Incontrôlable, le batteur fou mettra à sac des dizaines de chambres d’hôtel, détruisant le mobilier ou l’enduisant de super glue pour le coller au sol. Souvent emmenés en taule pour la nuit, les Who se lassent des bouffonneries du Moonie, qui se marrera beaucoup moins quand Kim, son épouse, mettra les voiles après s’être pris le coup de poing de trop. Il sombrera corps et âme, jusqu’à ne plus savoir jouer. Le 7 septembre 1978, il succombe à une overdose de clométhiazole, un sédatif alors prescrit contre l’alcoolisme, à l’âge de 32 ans.

Sa mort traumatise le groupe, qui fait appel au batteur des Faces, Kenney Jones, pour le remplacer. Sans convaincre. Il faudra attendre 1999 et l’arrivée de Zak Starkey, fils du Beatle Ringo Starr, pour que les Who retrouvent une vraie puissance de frappe. Dans l’intervalle, Pete Townshend a basculé dans l’héroïne. Pire, le 3 décembre 1979, lors d’un concert à Cincinnati, une bousculade fait 11 morts. Les Who sont au tapis.

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Intitulé sobrement «Who», le nouvel album devrait sortir le 6 décembre. C’est le premier depuis 2006. L’artiste Peter Blake a signé la pochette. DR

Impératifs pécuniaires

Durant les années 1980, on ne les voit guère qu’au Live Aid. Townshend se soigne. «Finalement, écrit Daltrey, ce sont les impératifs pécuniaires qui nous ont remis ensemble.» Les Who sont des légendes, les cachets royaux. Lors de la cérémonie de clôture des Jeux olympiques de Londres, en 2012, ils épatent, mais il ne reste plus que deux des membres originaux. Le bassiste John Entwistle s’est éteint au Hard Rock Hotel à Las Vegas, le 27 juin 2002, à l’âge de 57 ans. «Il aurait aimé la manière dont il est parti, je crois, écrit Roger Daltrey. La veille au soir, il s’était mis au lit avec une gente dame et toute la poudre magique qu’il pouvait avoir sous la main et il ne s’est jamais réveillé.» Plus rock, tu meurs.

Depuis, avec Pino Palladino à la basse et Zac à la batterie, Townshend et Daltrey continuent de faire vivre les Who, tout en profitant de leur vie de famille, un luxe qui leur a longtemps été interdit. Daltrey s’est même découvert des enfants. Il a aussi fait une méningite qui l’a fragilisé, mais sa voix est toujours là. Ce qui le fait encore vibrer? «Etre sur scène, jouer la musique de Pete et la chanter comme elle mérite de l’être.»


 

Par Blaise Calame publié le 24 novembre 2019 - 11:13, modifié 18 janvier 2021 - 21:07