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Horlogerie

Thomas Baillod, l’inventeur de l’heure qui ne tourne pas rond

Comment crée-t-on une marque de montres sans le vouloir? C’est ce qui est arrivé au Chaux-de-Fonnier Thomas Baillod. Et même si cela n’était pas sa volonté au départ, aujourd’hui, BA111OD existe depuis bientôt quatre ans, le fondateur s’est entouré d’une équipe de dix personnes et son chiffre d’affaires a atteint 3 millions en 2022. Mais avant d’en arriver là, il a connu des hauts et des bas.

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Thomas Baillod dans ses bureaux de la Villa Castellane

L’entrepreneur dans ses bureaux de la Villa Castellane, à Neuchâtel. Au rez-de-chaussée se trouve un café où les personnes qui portent une BA111OD peuvent prendre une boisson gratuitement.

DAVID MARCHON/MaVu

La trajectoire professionnelle de Thomas Baillod est exemplaire dans le sens où elle n’est pas linéaire: elle est émaillée de ruptures qui l’ont conduit à créer de manière fortuite la marque BA111OD en octobre 2019. Cette aventure professionnelle fait fortement écho à son histoire personnelle. On ne réussit pas par hasard…

Les origines de la famille Baillod dans le canton de Neuchâtel remontent au XIVe siècle. C’est dire l’attachement de Thomas Baillod à cette terre qui l’a vu naître et cela explique pourquoi c’est ici qu’il veut faire fabriquer ses garde-temps et les assembler. En effectuant des recherches, on découvre d’ailleurs qu’il avait un ancêtre horloger au Locle: Ulysse Baillod. «Je n’en ai jamais parlé. En son honneur, je voulais appeler ma marque Ulysse & Son, mais parce que c’était trop proche du nom de deux autres marques horlogères, j’ai utilisé mon patronyme.»

A table, chez les Baillod, entre son père Gil, qui fut orfèvre avant de devenir journaliste d’investigation et le rédacteur en chef très respecté de «L’Impartial», et sa mère, Mouna, d’origine libanaise, règne une générosité à la fois toute moyen-orientale et des débats d’idées sur l’état du monde en flux constant. Thomas et ses frères aînés, Grégoire et Alexandre, ont grandi dans un bouillon de culture hétéroclite et cosmopolite. 

Thomas Baillod enfant sur les genoux de son père Gil Baillod

Thomas Baillod sur les genoux de son papa, aujourd’hui décédé. Gil Baillod, anciennement rédacteur en chef de «L’Impartial», fut pour son fils «un phare» et une source de grande inspiration.

Archive personnelle

Toujours rebondir


Après des études en économie et en relations internationales à Neuchâtel et à Saint-Gall, Thomas Baillod a eu plusieurs vies. Il a travaillé chez Publicitas, puis s’est fait licencier après deux ans. Le chômage ne faisait pas partie du plan de carrière de ce travailleur jusqu’au-boutiste, mais on n’a pas toujours le choix. Arrivé à la limite de la fin de droits et de ses espérances, une porte s’ouvre, enfin. «Je me voyais au bord du ravin et j’ai été engagé par Victorinox. Cette chance que l’on m’offrait, après la peur de sombrer, m’a permis de me démultiplier. Je suis resté dix ans dans cette entreprise, arpentant le monde et m’occupant de deux tiers des marchés. Je me suis donné à fond.» Une décennie plus tard, il quitte son poste pour une marque horlogère. Mais, pas de chance, il se fait licencier une seconde fois et retourne à la case chômage. «On m’avait fait venir pour amener des idées nouvelles et on m’a remercié à cause de cela. C’était très déstabilisant. J’aurais dû accompagner le changement plutôt que de le provoquer de manière trop radicale.» 

Nous sommes à la fin de l’année 2016, Thomas Baillod a 45 ans, il n’est pas resté suffisamment longtemps à son poste de vice-président pour le faire valoir auprès d’autres marques et, surtout, il n’est plus seul: il est marié et père de deux filles, Cataleya, qui avait 2 ans à l’époque, et Salomé, qui venait de naître. Un an plus tôt, il avait perdu son père. Son monde a recommencé à vaciller. «Mon père était mon phare, mon roc. Une semaine après son décès, Alain Berset, qui est un ami, m’a appelé pour me raconter une histoire, celle d’un homme qui va voir un devin. Celui-ci lui dit: «Vous avez beaucoup de chance: votre père va mourir, vous allez mourir, puis vos enfants vont mourir.» L’homme ne comprend pas en quoi c’est une bonne nouvelle et le devin répond: «Imaginez que cela se passe dans l’autre sens. Cela m’a aidé à admettre que c’était dans l’ordre des choses de mourir après ses parents.» 

Un esprit entrepreneurial 


Thomas Baillod met à profit cette nouvelle période de chômage pour faire du «consulting», enseigner et donner des cours en ligne sur la distribution internationale. Il applique les principes appris pendant les gardes de nuit à l’armée: «La seule manière de se réchauffer, c’est de sauter sur place et la seule manière d’amener de l’énergie dans une vie, c’est de ne pas rester immobile.» Alors il ne cesse d’avancer.

C’est sur les bancs de l’école CREA, où il était inscrit pour une formation en stratégie numérique, qu’a lieu son épiphanie. Il y découvre la puissance du numérique et notamment «le contenu généré par l’utilisateur» qui lui donnera l’idée d’un modèle de distribution révolutionnaire: la vente générée par l’utilisateur. «Je voulais réconcilier le physique et le digital, le commerce et l’e-commerce. Mais je suis allé plus loin en ajoutant une composante communautaire, que j’ai appelée le «we-commerce», qui permet de ramener de l’émotion et un contact physique au sein du digital. Mon modèle s’appuie sur le «social selling», où le client occupe une place centrale», explique-t-il. Fort de cette découverte, il a approché de nombreuses marques horlogères, mais aucune n’a pris le risque d’abandonner le système de distribution traditionnel. 

De guerre lasse et pour prouver qu’il avait raison, il a fait sa révolution tout seul et a décidé de tester son système. Il a fait fabriquer des montres en Asie et les a vendues pour moins de 400 francs pièce grâce à un teasing très bien mené sur le réseau social LinkedIn. Son client est au cœur de son système: il est à la fois acheteur, influenceur et vendeur, d’où le nom d’«afluendor» inventé par Thomas Baillod.

De la Chine à la Suisse


Premier pari réussi: à la fin de l’année 2020, 2000 montres avaient été vendues. Mais fallait-il aller plus loin et créer une nouvelle marque horlogère dans un marché déjà saturé? C’est là que les synchronicités sont entrées en jeu. «Fin 2019, une personne que j’appréciais m’a proposé un emploi avec un très bon salaire, mais j’ai refusé. Je sentais que si j’acceptais, je passerais à côté de mon destin. Je suis quelqu’un d’extrêmement cartésien, or je sentais une petite voix en moi qui me disait: «Lance-toi.» Un soir que le doute m’empêchait de dormir, je suis sorti sur mon balcon et j’ai demandé à mon père ce qu’il en pensait, si j’aurais le courage de m’affirmer. J’ai levé les yeux au ciel et, je vous jure, une énorme étoile filante est passée au-dessus de moi juste à ce moment-là! J’ai pris cela comme un signe et je me suis lancé.» 

Depuis 2021, les choses ont évolué et l’entrepreneur a décidé de ne plus faire que du «Swiss made», se lançant même quelques défis au passage, comme la création d’une complication horlogère, un tourbillon entièrement conçu et réalisé dans la région de Neuchâtel, développé par le brillant concepteur horloger Olivier Mory et vendu pour 5540 francs. Un prix qui a fait grincer des dents dans le landerneau puisque le tourbillon le moins cher du marché vaut aujourd’hui environ dix fois plus. Il avait prévu d’en fabriquer une centaine, il en a vendu 650. Sur le barillet, il avait fait graver une phrase de son père: «Pour aimer du temps, celui qui ne compte pas.» 

Le 11 octobre 2022, Thomas Baillod a mis en vente un chronographe doté d’un mouvement Valjoux 7750 au prix de lancement de 975 francs. Quant à sa plus étonnante création, le modèle Delta lancé en avril dernier, il s’agit d’une nouvelle manière de donner l’heure. «Le mouvement décrit une deltoïde. Ce n’est ni un temps circulaire, comme le fait l’aiguille des heures sur un cadran normal, ni un temps linéaire, qui est le temps digital, mais triangulaire, hypocycloïdal. Il est à l’image de mon modèle d’affaires: personne ne comprend comment il fonctionne (rires). C’est la valse de deux aiguilles circulaires, deux cercles qui vont enfanter un triangle, un peu comme les spirographes de notre enfance. Sur la base d’un mouvement Soprod, nous avons développé notre propre module additionnel avec Olivier Mory, qui offre une lecture du temps qui n’existait pas. J’ai inventé l’heure qui ne tourne pas rond.» 

Après avoir réussi son pari en Suisse romande, il souhaite se faire connaître au-delà des frontières. Lui reste le monde à conquérir…

Par Isabelle Cerboneschi publié le 2 septembre 2023 - 09:01