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Le Trafalgar des démocrates américains

A l'issue d'une nuit électorale à suspense, notre chroniqueur Alain Campiotti livre son analyse sur la situation exceptionnelle dans laquelle se trouvent les Etats-Unis. Même si Joe Biden finissait par être élu, le 3 novembre aura été un rude revers pour son parti.

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Joe Biden sur un  écran installé près de son QG de campagne à Wilmington, dans l'Etat du Delaware, lors de son intervention du 4 novembre. Win McNamee / Getty Images

Pour Joe Biden et le parti démocrate, c’est Trafalgar. Napoléon, le 21 octobre 1805, avait perdu sa flotte. Le 3 novembre 2020, le centre-gauche américain a vu couler les vaisseaux de ses illusions. Au moment où ceci est écrit (le 4 novembre en fin de matinée), la victoire de Donald Trump est probable mais pas confirmée. Biden, même s’il l’emportait finalement, entrerait à la Maison Blanche, avec un Sénat hostile, dans un piètre état.

Trafalgar, c’est aussi le nom de l’unique institut de sondage d’opinion qui avait annoncé, de manière obstinée et contre tous les autres, la victoire du président sortant. On prenait ses prévisions avec des pincettes (y compris l’auteur de ces lignes) parce qu’il est très proche du Parti républicain. Mais il avait déjà prédit, il y a quatre ans, la victoire de Trump. Trafalgar fonde son travail sur la conviction qu’une partie des électeurs du républicain flamboyant sont des timides, des prudents («shy trumpists»), petites gens qui n’avouent pas aux sondeurs qu’ils vont voter pour le milliardaire. Les autres instituts avaient pris note de cette hypothèse, et avait adapté cette année leurs logiciels pour tenir compte de ces possibles distorsions.

Ça n’a pas suffi. Il y a donc autre chose.

Malgré la gestion mortifère de la pandémie, malgré l’effondrement économique qui a suivi, malgré les millions de dollars qui ont afflué récemment dans les coffres démocrates, la vague bleue (couleur du centre-gauche) ne s’est pas matérialisée. La recherche des causes de ce revers va occuper de longs mois les rédactions outre-Atlantique. On peut déjà explorer quelques pistes.

Qu’a-t-il manqué aux démocrates? Leur programme était plébiscité. Développement du système de santé et des assurances, lutte contre le dérèglement climatique, fiscalité plus équitable: toutes les études d’opinion montrent qu’une majorité d’Américains y sont favorables. L’augmentation du salaire minimum a ainsi été approuvé mardi par plus de 60% des électeurs de Floride, alors que l’Etat a préféré Trump à Biden.

Mais un programme ne suffit pas. Le vieux candidat (ou le vieux président, si le vent tourne) et sa campagne manquaient d’allant. Le respect des consignes sanitaires est louable, mais on ne mène pas bataille du fond d’une cave ou face à des automobiles alignées devant un podium. Ce n’est pas ainsi qu’on mobilise les foules.

Trump l’a compris. Il a multiplié les meetings jusqu’au dernier moment, se moquant de la circulation du virus. Et ce côté bravache, y compris la mise en scène de sa victoire personnelle contre le Covid-19, a fouetté l’ardeur de ses partisans. Manière de dire: il faut défier la mort, c’est américain. Il faisait apparaître ceux de l’autre camp comme des peureux et des frileux, à la grande horreur du Dr Fauci, le conseiller médical, que le président sortant promet de virer. Trump cultivait la mobilité, quand le démocrate semblait statique.

>> Lire aussi:  le portrait de Joe Biden

Sa campagne sur le thème de la loi et de l’ordre a sans doute aussi payé. Les violences qui ont parfois accompagné les manifestations de protestations contre les bavures policières, les démocrates le savaient, sont contre-productives. Le candidat républicain est retourné la veille du scrutin à Kenosha, dans le Wisconsin, où des émeutes avaient suivi, en septembre, un incident au cours duquel un jeune Noir avait été grièvement blessé par balles. Résultat du scrutin sans appel: 60% des voix pour Trump.

Les démocrates ont probablement été trahis par une partie des minorités qu’ils tiennent témérairement pour un électorat acquis. C’est sans doute vrai des latinos, venus de pays où domine un catholicisme conservateur. C’est aussi peut-être vrai des Noirs, qui ont de la peine à se reconnaître dans l’élite intellectuelle, souvent blanche, qui inspire le parti. Et les Africains-Américains sont souvent tentés par l’abstention.

Surtout, ce 3 novembre a confirmé que les Etats-Unis sont coupés en deux parts inégales, dressées l’une contre l’autre. Une majorité qui rêve d’un pays plus ouvert et plus protecteur de ses citoyens les plus faibles. De l’autre une minorité, dont le cœur est soudé par l’identité blanche, qui craint un déclassement national et personnel, cherche une restauration et un homme fort. Cette minorité, par le jeu du Collège électoral et d’un Sénat dont le mode d’élection la favorise, parvient plus aisément au pouvoir.


Par Alain Campiotti publié le 4 novembre 2020 - 13:21, modifié 18 janvier 2021 - 21:15