C’est la fin d’un rêve. Car Joel Wright était un «Dreamer», (un rêveur), surnom que l’on donne aux enfants arrivés illégalement aux Etats-Unis. Joel, lui, avait 9 ans. Nous sommes en 1999, à Kingston, en Jamaïque. Grâce à un micmac bureaucratique, le petit garçon quitte seul son île des Caraïbes pour rejoindre sa mère, son frère et sa sœur arrivés à New York un an plus tôt. Quatre heures d’avion plus tard, Joel débarque à Brooklyn, où il grandit, fait toutes ses écoles et commence le basketball. Il ne s’arrêtera jamais: il devient professionnel et atteint la D-League (une ligue d’entrée de la NBA permettant aux joueurs de s’illustrer aux yeux de nombreux recruteurs) après son bachelor en marketing à l’université. Mais les choses sont loin d’être simples pour un enfant arrivé clandestinement et, pour vivre tranquillement, mieux vaut se faire le plus petit possible. «A l’université, je ne sortais pas: j’allais en cours, à la salle de sport et au basket, c’est tout. J’ai toujours été nerveux lorsque je devais me rendre dans des bars ou même, parfois, en marchant dans la rue. Je suis grand (2 m 01) et Noir, les gens me regardent souvent, j’avais peur de me mettre dans une mauvaise situation ou de me faire remarquer», explique Joel Wright.
91,4% des «Dreamers» travaillent
Retour aux Etats-Unis. Juin 2012, le jeune homme peut enfin respirer. Barack Obama, élu président quatre ans plus tôt, met sur pied un programme qui statue sur la question des «Dreamers» et leur offre une protection: le programme DACA. Ces quatre lettres (pour Deferred Action for Childhood Arrivals) sont devenues un symbole. Tous les jeunes arrivés sur le territoire américain avant l’âge de 16 ans, âgés de moins de 31 ans au 15 juin 2012, présents sans interruption aux Etats-Unis depuis 2007 et qui n’ont pas fait l’objet d’une condamnation grave peuvent bénéficier d’un permis de séjour de deux ans renouvelable et d’un numéro de sécurité sociale: un impératif pour accéder au marché du travail, louer un appartement, payer des impôts, passer son permis de conduire ou encore acheter un abonnement téléphonique. C’est la sortie de la clandestinité pour plus de 800 000 jeunes et un bénéfice net pour la fiscalité américaine. Car plus de 91,4% d’entre eux travaillent déjà. Pourtant, six ans plus tard, en mars 2018, c’est le coup de tonnerre et un flou juridique immense qui replonge les «Dreamers» dans l’insécurité du quotidien, lorsque Donald Trump décide de mettre fin au programme DACA.
«No more DACA deal»
«Je m’en souviens comme si c’était hier, explique Joel Wright, à New York à l’époque. Un club belge avait approché mon agent pour que je vienne jouer chez eux. C’était un coup dur, je ne savais pas si en partant je pourrais revenir aux Etats-Unis. Puis ma mère et mes proches m’ont convaincu de rester. Partir, c’était finalement trop risqué.» Alors il reste. Mais aux Etats-Unis, le jeune homme ne peut plus travailler. Il approche la D-League, qui ne veut plus de lui. En cause? Sa situation irrégulière. «Les choses s’écroulaient les unes après les autres. C’était un moment terrible, je ne sais pas si je peux dire que j’ai fait une dépression, mais je n’en étais pas loin.» Le jeune homme reste chez lui, «e-mail après e-mail» essaie de trouver un moyen de travailler, sans succès.
Sans revenu, il lui est impossible d’engager un avocat pour le conseiller. Joel Wright a les mains liées. «Je ne faisais plus rien. Je restais chez moi toute la journée et me battais pour ne pas sombrer, mais ce n’était pas une vie. J’avais des rêves et je voulais les vivre, alors je suis parti, je n’en pouvais plus.» Son agent, un ami, lui parle du BBC Monthey. Le club suisse lui offre l’occasion de rejoindre l’élite du Championnat suisse de basket pour le début de la saison en septembre 2018. Il en devient l’un des piliers et est élu meilleur joueur du mois d’octobre: «Sur le terrain, je donne tout, je joue avec toute la complexité de ma vie, mes problèmes deviennent une force.» Blessé au ménisque lors d’un entraînement il y a quelques semaines, le jeune homme boite encore un peu, il ne retrouvera les terrains qu’à la mi-janvier. Un problème mineur à côté de ce qu’endure le basketteur. Car, désormais, Joel Wright ne peut plus rentrer aux Etats-Unis. «C’est comme si je n’y avais jamais vécu», nous explique-t-il en nous montrant son visa aujourd’hui périmé. Sur sa carte DACA, la mention est claire: «Non valide pour entrer aux Etats-Unis.»
Alors le jeune homme essaie de limiter au maximum les contacts avec sa famille, qu’il n’a pas vue depuis quatre mois. «Leur parler souvent fait remonter trop de souvenirs et c’est extrêmement dur car je ne sais pas quand je les reverrai.» Heureusement, sa famille arrivée avant lui aux Etats-Unis est en règle. Sa petite sœur, qui n’avait que quelques jours à l’époque, a obtenu le passeport américain et sa mère et son frère ont une carte verte.
Aujourd’hui, Joel commence, quant à lui, à imaginer sa vie future en Europe. «Tant que Donald Trump sera au pouvoir, je n’ai que très peu de chances de pouvoir rentrer. Mais la gentillesse et la bienveillance des gens qui m’entourent à Monthey et de leurs familles m’aident à tenir. Ils font tout pour que je m’y sente bien. Mais New York restera toujours mon vrai chez-moi. Quant à la Jamaïque, je n’en connais pas grand-chose et je n’en ai que très peu de souvenirs.»
Pendant ce temps, aux Etats-Unis, la mobilisation grandit. Trois tribunaux de première instance ont émis des injonctions pour empêcher l’administration de supprimer totalement le programme DACA. Donald Trump s’est donc tourné vers la Cour suprême début novembre, qui penche désormais du côté conservateur depuis que le président américain a eu l’occasion d’y nommer Brett Kavanaugh, pour entériner totalement le décret. Plus d’un million de personnes pourraient être expulsées du pays dans lequel elles ont grandi et sont arrivées il y a plusieurs décennies.
De son côté, Joel Wright perd espoir. «Ce qui fait le plus mal, c’est que j’ai toujours respecté les lois, j’ai été diplômé, je payais des impôts. On m’a jeté dehors car on me reproche d’être entré illégalement aux Etats-Unis. Mais j’avais 9 ans. Je n’étais alors qu’un enfant qui venait retrouver sa mère.»