Une heure avant le spectacle, parcourant encore une fois les coulisses et l’immense scène, attentif au moindre détail, David Deppierraz, directeur artistique, dissimule sa fatigue derrière des lunettes noires. «Mon dos me rappelle que j’ai pas mal porté ces derniers temps! Au départ, au printemps 2016, il y avait seulement l’envie de faire voler un dragon!» raconte celui qui a mené à bien ces Solstices, spectacle plus grand que nature, imaginé avec Stefania Pinnelli, sa compagne, comédienne et metteuse en scène, et un couple d’amis comédiens, Yasmine Saegesser et Denis Correvon.
Deux ans et demi plus tard, après deux heures de grand spectacle, les yeux et les oreilles remplis de belles choses, on a bel et bien vu voler un dragon dantesque par-dessus les toits d’Echallens! Et puis, entre deux grues de chantier, les spectateurs magnifiquement installés face au Jura auront aussi, entre autres sortilèges, assisté au décollage du grand lit sur lequel se raconte l’histoire.
Quête fantastique
Au milieu du XIVe siècle, en plein Moyen Age, oppressés par le seigneur Girard de Montfaucon, les villageois d’Echallens, comme dans le reste du Gros-de-Vaud, eurent en plus à endurer la famine. C’est alors que trois jeunes courageux, Aurore (Stefania Pinnelli), Baral (Denis Correvon) et Lancelin (Yasmine Saegesser) se mirent en quête d’un trésor pouvant soulager les habitants, à condition d’avoir triomphé des quatre éléments (la terre, l’eau, l’air et le feu).
Sur le plateau grand comme un champ de blé vont alors entrer en scène des centaines de figurants, des villageois (hommes, femmes, enfants), des soldats jeunes ou vétérans, des trolls et des gouttes d’eau, des cracheurs de feu et des monstres sur échasses. A gauche, la fanfare La Lyre, dirigée par Marco Forlani, et un chœur de 200 chanteurs emmenés par Dominique Tille interprètent les musiques de Daniel Perrin et Lee Maddeford. Rythmées de percussions, illustrées de chansons, les musiques soulignent et entraînent, tantôt drôles tantôt dramatiques, souvent brillantes, toujours variées. Et l’on danse et l’on court et l’on se bat au milieu des lumières, des fumées et des feux d’artifice à la mesure de cette extraordinaire aventure.
«Aucun d’entre nous n’avait l’expérience d’une création de cette ampleur, mais le gros enjeu, c’est de travailler avec une équipe composée à 95% d’amateurs», résume le directeur artistique. «C’est un boulot d’équipe de fou! ajoute le metteur en scène. Quatre-vingts personnes sortent du village et ça a l’air naturel, mais vous n’imaginez pas le travail du chorégraphe.» Ce dernier, Darren Ross, a particulièrement aimé «sortir de la boîte noire professionnelle et rencontrer des gens. Il y a beaucoup d’envie et beaucoup de volonté. On peut les emmener quelque part.» Cette même énergie dont parle Scilla Ilardo qui a créé les 500 costumes avec l’aide de 70 couturières bénévoles.
Tous les dix ans, durant la Fête du blé et du pain, désormais inscrite au patrimoine immatériel vaudois, cette force particulière de plusieurs générations réunies, de passionnés et d’enthousiastes, de chanteurs et de danseurs, de musiciens et de solistes dynamise et fermente jusqu’à donner une création riche en goût et en émotion. Comme un bon pain.