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Violences sexuelles: le parcours des combattantes face à la justice

Face aux violences sexuelles qu’elles ont subies, Julie Hugo et Heidi ont refusé de se taire. Mais à quel prix? Lenteur et violence de la procédure, encadrement et prise en charge des victimes lacunaires, faire reconnaître ses droits relève du chemin de croix.

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Julie Hugo et Heidi, deux femmes ayant porté plainte contre leurs agresseurs sexuels

Julie Hugo et Heidi ont porté plainte après avoir subi des agressions sexuelles. Entre la lenteur de la procédure, la circulation inexistante de l’information, les lacunes dans la prise en charge des victimes ou encore les démarches administratives kafkaïennes, les deux femmes racontent le combat judiciaire douloureux auquel elles sont confrontées.

Julie de Tribolet

«J’ai tout perdu. Mon travail, ma vie sociale et ma santé»

Julie Hugo

«Ce soir, mes potes de mon ancien groupe de musique Solange La Frange vernissent leur nouvel album à l’Usine à Genève. Ils m’ont invitée, mais je ne sais pas si j’aurai la force d’y aller. L’idée de prendre le train jusque là-bas me plonge dans un état de stress extrême.» Julie Hugo essuie une larme. «J’ai voyagé dans le monde entier et regarde-moi maintenant, je ne suis même plus capable d’aller à Genève.»

La vie de la chanteuse bascule un soir de décembre 2021. Elle invite une connaissance à prendre un verre chez elle. Julie Hugo raconte que le rendez-vous tourne au drame. «Durant plusieurs heures, il m’a tabassée avec une extrême violence, contrainte à des actes sexuels et m’a violée.» Elle est en état de choc et grièvement blessée. Elle hésite à porter plainte – «J’avais peur de ne pas être crue» – mais les médecins ainsi que son entourage la convainquent. Accompagnée de son avocate, la Fribourgeoise se rend au poste de police une semaine après l’agression. L’avocate la met en garde: «J’espère que vous tiendrez jusqu’au bout, car la procédure va durer longtemps. Ce sera plus dur pour vous que pour lui.» 

Une attente insupportable


De retour chez elle, elle dit vivre la peur au ventre. «Ce type vit à proximité. J’ai demandé des mesures d’éloignement, mais on m’a répondu que ça ne servait à rien, qu’il fallait qu’il m’agresse une nouvelle fois et que j’appelle la police à ce moment-là…» Commence une longue attente, particulièrement difficile à vivre pour Julie Hugo. «On n’est mis au courant de rien. Alors j’ai publié un post sur Instagram pour interpeller la police, qui a fini par m’appeler pour m’informer que l’enquête avait été transmise au Ministère public. Un geste sympa, mais c’est trop demander de juste obtenir cette information?» La confrontation avec le prévenu aura lieu en mai 2022. «On m’a demandé si je voulais un paravent pour être séparée de lui alors que je suis susceptible de le croiser tous les jours. Bref…»

Julie Hugo a été victime de viol

Julie Hugo affronte une épreuve supplémentaire: reconnu coupable en première instance, le prévenu a l’intention de faire appel. «On ne peut pas me laisser tranquille et tenter de redevenir proche de ce que j’étais?» interroge la jeune femme.

Julie de Tribolet

Une agression racontée 27 fois


Active dans la production de publicité, elle est arrêtée une première fois pour raisons médicales. Son employeur lui demande de se rendre dans un centre spécialisé à Neuchâtel pour réaliser une expertise de sa situation. «Au travail, ils étaient déjà en possession de mes certificats médicaux, mais j’ai quand même dû me rendre seule à Neuchâtel pour prouver mon état de détresse, pour raconter encore une fois ce qui m’était arrivé…» Elle sera malgré tout licenciée en novembre 2022, près d’une année après son agression. Au total, Julie Hugo dit avoir dû raconter 27 fois son histoire traumatique: «Au médecin généraliste, au psychiatre, à la gynécologue, à la police, à l’ORP, à la caisse de chômage, à mon employeur et à son assurance, à mon avocate, au procureur, au centre LAVI... A chaque fois, ça me remet la tête dans ce viol.»

Près de deux ans après l’ouverture de la procédure, le prévenu est condamné, en première instance, pour viol, contrainte sexuelle et lésions corporelles simples. Il écope d’une peine privative de liberté de 2 ans avec sursis, et 10 000 francs de tort moral, de la même somme à titre de perte de gain et de la prise en charge des frais médicaux de sa victime.  «Il n’a pas passé une seule minute en prison alors que moi, j’ai tout perdu. Mon travail, ma vie sociale, ma santé physique et mentale et aussi mes activités musicales», déplore Julie Hugo.Si elle a éprouvé un soulagement à l’énoncé du verdict, il aura été de courte durée. L’avocat de la défense a annoncé son intention de faire appel. Les larmes coulent: «Tout est à nouveau en suspens. Je suis terrorisée à l’idée de recevoir une lettre m’indiquant que la justice relance la machine. Quel est le message qu’on fait passer? Que c’est OK de violer une femme et de n’avoir que du sursis? C’est pour cette raison que j’ai témoigné une première fois à visage découvert dans le «Blick» et que je continue de le faire. La quantité de messages que je reçois depuis me fait du bien mais me scandalise aussi. Je ne suis de loin pas la seule à vivre cette situation.»


«Je n’avais que 7 ans quand il a commencé»

Heidi

Heidi n’a que 7 ans lorsque son ex-beau-père abuse d’elle pour la première fois, 10 ans quand il lui impose des relations sexuelles complètes. Des assauts répétés qu’elle subira jusqu’à ses 15 ans. A plus de 800 reprises, a estimé le tribunal lors du procès. Lors de son réquisitoire, la procureure évoque une affaire «inqualifiable et abominable», l’une des pires qu’elle ait eu à traiter dans sa carrière. Le verdict, très attendu, tombe le 1er avril 2023. Le Romand écope de 12 ans de prison pour viol, contrainte sexuelle et actes d’ordre sexuel sur un enfant. L’abuseur est également condamné à verser 70 000 francs pour tort moral à sa victime.

«Certains imaginent que je devrais me satisfaire de ce verdict, que j’ai obtenu ce que je voulais, estime la femme âgée aujourd’hui de 22 ans. Or la manière dont l’affaire a été traitée par la justice a été extrêmement violente pour moi. La procédure a duré très longtemps…» A 19 ans, elle ose parler des abus qu’elle a subis à des amis proches et à son compagnon, qui lui conseillent de porter plainte. Elle est reçue par une inspectrice qui s’étonne de ne pas la voir pleurer lorsqu’elle lui raconte l’indicible. «Je souffrais de dissociation, je n’avais plus aucune émotion liée à ces événements», explique l’étudiante en deuxième année de psychologie.

Au bout de trois heures d’audition, Heidi fond en larmes. «Ce n’est qu’à ce moment que j’ai eu l’impression qu’elle m’avait vraiment crue.» Elle rentre chez elle la boule au ventre, car l’homme vit dans la même ville. «J’avais peur de ce qui se produirait quand il apprendrait que j’avais déposé plainte. Mais on m’a dit qu’on ne pouvait rien faire pour me protéger.» 

Heidi, fondatrice d'Amor Fati, témoignant sur les agressions sexuelles qu'elle a subies

Heidi a fondé Amor Fati, une association qui vient en aide aux victimes de violences sexuelles. Une très grande fierté pour la jeune femme.

Julie de Tribolet

«Immature» et non pédophile...


Nous sommes en juin 2020. Une longue attente commence. «Le plus dur, c’est de n’être jamais informée des avancées de la procédure», relate Heidi. Après la confrontation avec son ex-beau-père en février 2021, une expertise psychiatrique est demandée dont les conclusions seront rendues en novembre. Une gifle pour Heidi. L’homme est diagnostiqué «immature» et non pédophile. Il ne présente qu’un faible risque de récidive. «Il est écrit dans ce rapport qu’il me percevait comme une adulte. Je n’avais que 7 ans quand il a commencé…» souffle-t-elle.

Une date pour le procès est fixée, le 1er décembre 2022. Mi-novembre, le prévenu demande que les débats se tiennent à huis clos. Le procès est reporté au 21 décembre le temps que sa requête soit examinée. La veille de la date fatidique, Heidi apprend par e-mail un nouveau report. La raison? Le juge estime qu’il lui faudra plus d’une journée pour traiter l’affaire. «Ça faisait six mois qu’il avait le dossier entre ses mains. Honnêtement, je n’avais même plus envie d’y aller», s’agace la jeune femme.

«J’ai dû sortir de la salle»


Finalement, le procès a lieu le 31 mars. Une épreuve extrêmement douloureuse pour la jeune femme lors de laquelle ont été rappelés et détaillés les abus subis. Pendant sa plaidoirie, l’avocat du prévenu s’adresse directement à elle. «Il a osé reprendre une phrase du philosophe Démocrite qui dit que «celui qui commet une injustice est plus malheureux que celui qui la subit», se souvient Heidi. Il m’a dit aussi que si j’étais parvenue à faire des études, c’est que finalement je n’avais pas été touchée autant que ça. J’ai dû sortir de la salle d’audience.»

A l’énoncé du verdict, la colère. L’avocat du prévenu annonce son intention de faire appel. Malgré sa condamnation, le Romand a pu repartir chez lui avec l’obligation de se présenter trois fois par semaine au poste de police et l’interdiction de s’approcher de sa victime. «Depuis l’ouverture de la procédure, il n’aura pas passé une seule journée en détention. On qualifie ses actes d’horribles, mais on n’agit pas en conséquence», déplore celle qui a fondé l’année dernière une association pour venir en aide aux victimes de violences sexuelles, Amor Fati. «Les membres des groupes de parole m’ont offert un cadre avec de petits messages pour me dire tout ce que le groupe leur avait apporté. Ça m’a beaucoup émue et me donne de la force.»

Par Alessia Barbezat publié le 27 juin 2023 - 09:10