Ce samedi après-midi d’hiver, dans la petite ville fribourgeoise de Dompierre, Elsa Ducry vient de se réveiller de sa sieste. Elsa a 5 ans et est atteinte d’un trouble génétique ultra-rare: la maladie du cri du chat. L’un des deux chromosomes 5 d’Elsa présente une délétion et est plus court que l’autre, ce qui engendre chez la petite fille à la chevelure blonde et aux yeux clairs un fort retard moteur, un manque de tonus musculaire, des troubles de la concentration, une difficulté à s’alimenter ou encore dans l’apprentissage du langage.
Maryline et Julien Ducry, ses parents, prennent place autour de la table rectangulaire de la salle à manger et racontent la grossesse paisible de Maryline, il y a six ans: «Il y avait eu une petite alerte au dernier contrôle, car Elsa n’avait pas grandi, mais ce n’est qu’à la naissance que nous avons découvert son syndrome.»
Le nourrisson ne pèse que 2,100 kilos pour une taille de 44 centimètres et présente un périmètre crânien inférieur à la moyenne. Le pédiatre de la maternité a des doutes. «Ne trouvez-vous pas qu’elle a un faciès particulier?» dit-il à Julien, peu après l’accouchement, tout en lui demandant de ne pas inquiéter sa femme. «C’est le genre de phrase qui marque et dont on se souvient toute sa vie», souffle le papa d’Elsa. La petite fille est transférée au CHUV en ambulance pour des examens approfondis. L’attente est longue pour les parents. «Nous savions qu’il y avait quelque chose qui ne jouait pas, mais personne ne nous disait exactement ce qu’il se tramait.» Puis le diagnostic tombe: «Une claque, une espèce de processus de deuil et un dur retour à la réalité.» Le CHUV propose un accompagnement psychologique aux parents. Maryline acceptera, Julien pas. Aujourd’hui, il n’existe aucune thérapie, aucun médicament, ni aucune opération pour soigner le syndrome du cri du chat et, en Suisse, la maladie n’est toujours pas reconnue par l’assurance invalidité.
Une journée par mois avec Elsa
Il y a un peu plus d’un an, un habitant de Dompierre frappe à la porte de la famille Ducry. C’est David Marchon, il est photographe. «Nous venons du même village et je connaissais la famille Ducry. Cela faisait longtemps que je voulais faire quelque chose sur la petite Elsa et je me suis lancé sans savoir vraiment ce que cela allait donner.» Les parents acceptent tout de suite. «On connaissait David, c’était plus facile.» Ils apprécient la démarche du photographe qui, dorénavant, passera environ une journée par mois avec Elsa, «du réveil au coucher», l’accompagnera à la crèche, à la piscine, lors des balades en famille et jusqu’à son cinquième anniversaire, le 21 octobre dernier.
La petite fille, très sociable et «qui aime les gens», adopte vite le photographe: «Une complicité est née et nous sommes devenus potes», sourit-il. Pourtant, les débuts ne sont pas simples, David a du mal à se faire «oublier» et doit trouver des stratagèmes pour qu’Elsa ne fasse plus attention à lui. Le photographe veut donner une voix à Elsa, qui ne parle pas. «Elle dit «papa», «maman» et «An» pour Soan (ndlr: le nom de son grand frère). Mais pour communiquer, généralement, Elsa utilise le langage des signes. Grâce à elle, nous apprenons beaucoup de choses et toute la famille s’est mise à signer», explique Julien.
Stimulation permanente
Elsa doit être stimulée. C’est la seule thérapie qui améliorera sa vie. Grâce à David, Maryline et Julien découvrent le monde d’Elsa au jardin d’enfants spécialisé Le Bosquet. Et, en septembre dernier, la petite fille a fait sa rentrée à l’école primaire de la fondation Les Buissonnets, à Fribourg. Une école spécialisée pour enfants en situation de handicap, dans laquelle Elsa a accès à des séances de physiothérapie, de logopédie ou encore de psychomotricité. Son activité préférée? «La piscine! Elsa adore l’eau, mais elle adore aussi les balades en famille, le toboggan et la sensation de vitesse. Il y a trois semaines, grâce à Handiconcept, Elsa a pu faire du ski pour la toute première fois.» Mais surtout, la fillette adore les câlins, aller à l’école et le contact avec les autres.
Changer les regards
Quelques mois après le début de son travail avec Elsa, David Marchon reçoit la bourse de la Société de médecine sportive NE JMM. Cinq mille francs et un travail à livrer pour la 8e Nuit de la photo de La Chaux-de-Fonds, le 16 février prochain. Le photographe ajoute 3000 francs de sa poche pour éditer le livre Elsa, dont la moitié des bénéfices sera reversée à l’association Au contour d’Elsa, créée par des proches de Maryline et de Julien à la naissance de la petite fille. «Que ce soit par le biais de l’association ou par le travail de David, tout cela nous permet de parler de la maladie, pour sensibiliser, explique Maryline. Changer les regards, ce regard interrogateur, blessant quelquefois, et que nous avons sûrement posé sur d’autres personnes avant d’avoir Elsa. Car, dès que quelque chose sort de la normalité, l’homme regarde, observe.»
Lorsque David a montré ses photos à Elsa, la petite fille était très intéressée. «Et pourtant, elle n’aime pas beaucoup se voir en photo ou en vidéo, ça la trouble», explique son père. Mais ce jour-là, assise sur la table, alors que le photographe faisait défiler les photos sur son ordinateur, Elsa signait «encore» en touchant sa paume gauche avec les doigts de sa main droite.
* «Elsa», le livre de 36 photos de David Marchon sort le 16 février pour la Nuit de la photo de La Chaux-de-Fonds.