Texte: THOMAS KUTSCHERA/Schweizer Illustrierte
Ce jour-là, Yamari pèse exactement 2210 grammes. «Encore 20 grammes de plus qu’hier, c’est très bien», commente Karin Federer. La jeune vétérinaire de 32 ans pèse quotidiennement le petit singe au dispensaire pour animaux du Walter Zoo. Yamari se cramponne de toutes ses forces à la serviette éponge car un bébé chimpanzé doit obligatoirement se cramponner à quelque chose, théoriquement à la poitrine de sa mère. Mais pour Yamari, il en va autrement.
12 juillet. Un groupe de 19 chimpanzés s’ébat dans l’espace aménagé des singes du Walter Zoo de Gossau (SG). Presque aucun d’eux ne remarque ce qui se passe dans un grand arbre: la guenon Balima, 22 ans, met un petit au monde! Or elle ne prend pas spontanément le nouveau-né contre son sein comme il est d’usage chez les singes mais le laisse tout simplement tomber. Plus bas, Chicca, 34 ans, est assise sur une branche: elle est la femelle dominante et la plus sociable du groupe. Elle rattrape le bébé dans sa chute comme si elle l’attendait. Et le prend immédiatement contre sa poitrine.
Les gardiens sont soufflés. En l’espace de quelques heures, la nourrice produit du lait et fait boire le bébé. Un chimpanzé nouveau-né pèse un kilo et demi et boit chaque jour trois décilitres de lait maternel, plus que ce que Chicca ne peut fournir. Les gardiens tentent de nourrir le petit au biberon à travers la grille, mais il ne prend que deux ou trois gorgées puis retourne au sein de sa nourrice. Il dépérit. Aussi, après avoir consulté le secrétaire du registre d’élevage aux Pays-Bas, la directrice du zoo, Karin Federer, décide: «Nous retirons le bébé du groupe et le plaçons sous garde humaine.» Mais comme Chicca rechigne à donner «son» bébé, il faut l’anesthésier. Au dispensaire vétérinaire, le bébé de 5 jours est ausculté pour la première fois: la balance indique 1250 grammes.
Depuis ce jour, Yamari – c’est désormais le nom de la petite femelle – est chouchoutée 24 heures sur 24. Elle passe la journée avec l’un des quatre gardiens. Afin qu’elle ne mouille pas leurs t-shirts, ils la changent plusieurs fois par jour avec des Pampers pour prématurés. Et ils la nourrissent toutes les deux heures avec du lait maternisé. Yamari passe ses nuits dans la chambre du gardien de piquet au zoo.
Brena Costa da Rocha, 26 ans, fait partie de l’équipe Yamari: «L’idée est de ramener la petite au sein du groupe de ses congénères six mois après la naissance.» A 6 mois, les chimpanzés se mettent à manger des fruits et des légumes et à déambuler en vacillant sur leurs quatre pattes. Pour préparer la réintégration, les gardiens passent avec Yamari toute la journée dans les parages des singes, ils l’amènent régulièrement à la vitre ou à la grille des deux espaces qui leur sont réservés. «Ainsi, Yamari peut observer ses copains, explique Karin Federer. Et la nourrice reprend doucement confiance en «son» bébé.» La vétérinaire est satisfaite des progrès de la petite: «Yamari est en bonne santé et se développe bien. Elle perçoit déjà bien les sons et les bruits.» Il lui a été donné le nom qui lui convient: en hindi ancien, Yamari signifie «la courageuse, la brave».
La gardienne Brena est à la vitre de l’enclos externe, Yamari se cramponne à son t-shirt. Délicatement, Brena retire quelques pellicules de la fourrure de la petite. «Nous essayons de faire tout ce qu’une maman singe ferait avec son petit. Nous ne traitons pas Yamari comme si elle était un bébé humain. La caresser sur la tête est tabou.» Fasciné, le petit singe contemple les autres chimpanzés en train de faire les fous. Soudain, des cris: un jeune mâle se met à brailler et Yamari crie à son tour. Certains singes sont fâchés parce que Yamari est dehors, pas au sein du groupe. Il leur est déjà arrivé de lui jeter des bouts de bois. «Il faut du temps et de la patience jusqu’à ce qu’on puisse la réunir aux autres, remarque Karin Federer. J’espère que le groupe l’accueillera.» Les augures sont positifs: «Hier, la nourrice a touché la main de Yamari.»